Le tribunal de Hambourg a condamné jeudi 23 juillet à deux ans de prison avec sursis un ancien garde de camp de concentration de 93 ans pour complicité dans des milliers de meurtres perpétrés entre 1944 et 1945 à Stutthof en Pologne, alors occupée par les nazis.
L’accusé Bruno Dey, ancien garde de camp de concentration de 93 ans, « est reconnu coupable de complicité dans 5 232 cas de meurtres et tentatives de meurtres », a déclaré la présidente du tribunal de Hambourg Anne Meier-Göring, ce jeudi 23 juillet, à l’issue d’un procès, probablement l’un des derniers portant sur les atrocités commises sous le IIIe Reich.
« C’était mal. C’était une terrible injustice. Vous n’auriez pas dû participer à Stutthof », a estimé la juge. « Vous vous considérez comme un observateur. Mais vous étiez un soutien de cet enfer créé par des hommes », a-t-elle dit.
Le nonagénaire, âgé de 17 à 18 ans au moment des faits, est jugé sur la base de la législation pour mineurs. Le parquet avait réclamé trois ans de prison, la défense un non-lieu.
Bruno Dey, apparu tout au long des audiences en fauteuil roulant et accompagné de ses proches, a servi entre août 1944 et avril 1945 au camp de concentration de Stutthof (Pologne), le premier établi hors d’Allemagne.
Quelque 65 000 personnes mortes dans le camp de concentration de Stutthof
Au total, quelque 65 000 personnes, essentiellement des Juifs des pays baltes et de Pologne, y sont mortes, abattues d’une balle dans la nuque, gazées au Zyklon B, pendues. Ou bien elles ont succombé au froid, aux épidémies et au travail forcé.
L’accusé, posté sur l’un des miradors le surplombant, avait pour devoir d’empêcher toute révolte ou fuite.
Cela fait-il de lui un coupable ? Il affirme que non. Jamais il n’a « directement fait de mal à quelqu’un ». Jamais il ne s’est « porté volontaire pour entrer dans les SS ou servir dans un camp de la mort », mais n’a pas eu d’autre choix que d’accepter son affectation, dit-il.
Son avocat avait plaidé la clémence, estimant difficile d’attendre d’un adolescent de 17 ans qu’il puisse se démarquer en demandant son transfert, qui aurait sans doute signifié pour lui être envoyé sur le front est.
Les juges ont aussi pris en compte cet aspect, ce qui explique la peine avec sursis.
« Il faut veiller à la dignité humaine à tout prix. Oui, et aussi si le prix à payer est sa propre sécurité », a déclaré la juge, tout en reconnaissant ensuite que du fait de son jeune âge, il s’est trouvé « confronté à une situation humainement très difficile ».
L’avocat de Bruno Dey Stefan Waterkamp s’est déclaré « d’accord avec le jugement ». Concernant un éventuel appel, il a indiqué qu’il devait auparavant consulter son client, « épuisé » et très « affecté » après l’audience.
Brièvement prisonnier de guerre après 1945
Brièvement prisonnier de guerre après 1945, Bruno Dey n’a pas été inquiété par la suite. Il a fait sa vie à Hambourg, fut boulanger, chauffeur de camion et concierge, a fondé une famille.
Lundi, il a présenté des excuses « auprès de ceux qui sont passés par cet enfer de folie », disant avoir réellement pris conscience, au fil des neuf mois de procès, de « toute l’ampleur de la cruauté » des actes commis à Stutthof.
Soixante-quinze ans après la fin de la Deuxième guerre mondiale, ce procès pourrait bien être le dernier du genre en raison du grand âge des protagonistes. Une trentaine de procédures sont encore en cours, selon des médias allemands.
Ces dernières années, l’Allemagne a jugé et condamné plusieurs anciens SS et élargi aux gardiens de camps le chef d’accusation de complicité de meurtre, illustrant la sévérité accrue, quoique jugée très tardive par les victimes, de sa justice.
Le cas le plus emblématique a été la condamnation à 5 ans de prison de l’ancien gardien du camp d’extermination de Sobibor, John Demjanjuk en 2011.
Pour les plaignants, de tels procès restent essentiels, malgré les décennies écoulées.
Le jugement contre Bruno Dey « est un signal important montrant qu’il n’y a pas prescription pour des tels actes », a déclaré l’avocat Christoph Rückel, qui représente 5 co-plaignants. « Même après 75 ans ». (Ouest France)