Seuls quatre candidats sur 44 ont été autorisés par la Cour constitutionnelle à briguer l’élection présidentielle ivoirienne du 31 octobre prochain. Portraits des quatre adversaires lancés dans une campagne sous haute tension.
Parce qu’ils font face à des condamnations pénales, l’ex-président Laurent Gbagbo et l’ancien chef rebelle Guillaume Soro, poids lourds de la politique ivoirienne, n’ont pas été autorisés par la Cour constitutionnelle à se présenter à l’élection présidentielle. Les 38 autres candidatures ont été jugées invalides, faute de soutien suffisant du public. Une nouvelle réforme électorale exige, en effet, que les candidats recueillent les signatures d’au moins 1 % de l’électorat dans 17 des régions du pays pour se présenter.
Le scrutin se jouera donc entre le président sortant Alassane Ouattara, l’ex-président Henri Konan Bédié, l’ancien Premier ministre, Pascal Affi N’guessan et Kouadio Konan Bertin (KKB). Le vainqueur de l’échéance électorale du 31 octobre aura la lourde tâche d’assurer le retour de la stabilité politique, dont pâtit la Côte d’Ivoire depuis la crise post-électorale de 2010 qui a fait près de 3 000 morts, des centaines de milliers de blessés et autant d’exilés.
Alassane Ouattara
Il est l’espoir d’une très grande partie de l’électorat, mais sa candidature est aussi la plus controversée. Président de la République de Côte d’Ivoire depuis le 6 mai 2011, Alassane Ouattara brigue un troisième mandat alors qu’il avait promis à de nombreuses reprises de laisser la place à la « jeune génération ». À sa décharge, l’homme qu’il avait désigné en mars pour prendre sa succession, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, est brutalement décédé d’une crise cardiaque en juillet à l’âge de 61 ans, obligeant Alassane Ouattara à revoir ses plans.
Après des semaines de spéculations, le président sortant de 78 ans a annoncé, lors d’un discours diffusé à la télévision d’État le 6 août, qu’il se présentait à nouveau, faisant fi de sa promesse. Cette décision, qu’il a qualifiée de « véritable sacrifice », est mal vécue par ses opposants. Certains juristes et adversaires politiques jugent sa candidature irrecevable au regard de la constitution de 2016. De son côté, le gouvernement soutient que le changement de Constitution permet au contraire de remettre les compteurs à zéro. Sur le terrain, l’annonce a déclenché des manifestations dans tout le pays, faisant quatre morts lors d’affrontements avec la police. Finalement, le 14 septembre, la Cour constitutionnelle a tranché en faveur du président sortant.
Alassane Ouattara n’a pas toujours exercé de mandats politiques. Économiste de formation, il a d’abord commencé au sein du Fonds monétaire international et gouverné la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Puis, investi par le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), il devient candidat à l’élection présidentielle de 2010. Il est élu président de la République avec 54,1 % des suffrages dans un contexte de crise politique. Il est réélu en 2015 au premier tour avec 83,7 % des voix. Le président sortant fait de son bilan économique l’axe majeur de sa campagne : le PIB du pays a augmenté en moyenne de 8 % par an (bien que le taux de pauvreté reste élevé, à 46,3 %). C’est aussi sous ses deux mandatures que le gouvernement a introduit la couverture santé universelle, construit de nouvelles routes et massivement élargi l’accès à l’électricité.
« Nous croyons à une large victoire, dès le premier tour, au soir du 31 octobre 2020. Oui ! Le 31 octobre 2020, nous allons faire un coup K.O !, a-t-il lancé à la foule enthousiaste de ses supporters lors de son discours d’investiture. Pourquoi ? Parce que nous avons un bilan, un projet et une vision pour notre pays. Nous devons continuer de renforcer la paix, la stabilité, la cohésion sociale et le rayonnement de notre pays. Aujourd’hui, le peuple ivoirien sait que nous sommes la seule formation politique capable de garantir le développement et l’amélioration continue des conditions de vie de nos concitoyens dans la paix et la sécurité. »
À moins que les citoyens en décident autrement. Car le contexte s’annonce plus compliqué que lors des scrutins précédents. D’abord parce que le candidat doit faire face à la colère des partisans de Gbagbo et Soro, exclus de la course. Ensuite parce qu’il ne dispose plus du soutien d’Henri Konan Bédié, devenu son plus grand adversaire.
Henri Konan Bédié
Plus de vingt ans après avoir été renversé par un coup d’État, le « Sphinx de Daoukro » compte bien revenir au pouvoir. Sérieux concurrent du président sortant, Henri Konan Bédié s’affiche comme le candidat du rassemblement de l’opposition. « J’invite toutes les formations politiques et les plateformes politiques, qui le désirent, à soutenir ma candidature à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 (…). Je vais avec l’opposition remporter cette élection présidentielle », a déclaré Henri Konan Bédié, le 12 septembre. Pour ce faire, le candidat de 86 ans compte notamment sur le soutien des partisans de Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro.
Aux détracteurs qui le disent trop vieux pour se présenter, il assure que « l’âge est un atout ». Sous les couleurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le rival du président sortant entend prendre l’ascendant sur celui avec lequel il est en rupture politique depuis 2018. « Il veut sa revanche sur Ouattara, qu’il a soutenu [en 2010], mais qui n’a pas, selon lui, respecté son engagement de redonner le pouvoir au PDCI en 2020. Il ne veut pas rester dans l’Histoire comme celui qui a perdu le pouvoir du PDCI ».
Sous sa présidence de 1993 à 1999, Bédié s’est fait le chantre de l’Ivoirité – une idéologie xénophobe visant à discriminer les personnes d’origine burkinabè et malienne. Sous couvert de cette doctrine, Bédié avait ainsi interdit à Ouattara, dont le père était originaire du Burkina Faso, de participer à l’élection présidentielle de 1995.
Évincé du pouvoir lors du coup d’État en 1999 – le premier de l’histoire du pays -, le président déchu s’est exilé en France, avant de revenir en Côte d’Ivoire en 2002, au début de la guerre civile. Arrivé troisième du scrutin présidentiel de 2010, Bédié a alors appelé les partisans du PDCI à soutenir Ouattara au second tour dans le but d’écarter Gbagbo. En 2015, son parti soutient dès le début de la campagne le candidat Ouattara, aidant ainsi le RHDP à conquérir le pouvoir. Plusieurs membres du parti obtiennent des postes ministériels au sein du gouvernement et continuent de les occuper, en dépit de la rupture de l’alliance de 2018.
Décrit par Le Monde comme un “petit homme rond, aux yeux perçants, affichant en permanence un demi-sourire teinté d’ironie”, il est souvent considéré comme un être « impénétrable ». Il se caractérise aussi par sa pugnacité. À l’approche des élections de 2020, sa persévérance lui a permis de nouer de nouvelles alliances. S’affichant dans les réunions publiques aux côtés de délégués de l’aile pro-Gbagbo du parti FPI et de membres du parti GPS de Guillaume Soro, il appelle à la désobéissance civile en réponse à la « violation » de la Constitution par Ouattara et recueille des applaudissements enthousiastes. Bédié a, en outre, appelé au retour de tous les exilés et à la libération de tous les prisonniers politiques de la crise post-électorale de 2010. Il a également promis de baisser les taux d’imposition et d’augmenter les dépenses publiques.
Pascal Affi N’Guessan
Qu’importe que Jeune Afrique ait classé en décembre dernier Pascal Affi N’Guessan dans la liste des « dix losers » du continent africain : la Cour constitutionnelle a validé sa candidature et cet ancien proche de Laurent Gbagbo demeure dans la course présidentielle. Depuis le début de sa carrière politique en 1986, l’ancien Premier ministre de 67 ans a essuyé d’autres critiques et surmonté bien d’autres difficultés. « Ça ne m’émeut pas. Quand vous n’êtes dans aucun des extrêmes, vous êtes critiqué de tous les côtés… «
Il n’empêche que ses chances de gagner au premier tour sont minces. À la tête du Front populaire ivoirien (FPI), – le parti de gauche créé par Laurent Gbagbo -, Pascal Affi N’Guessan peine à rassembler au sein de son propre camp. Depuis le retrait du fondateur du parti, sommé de répondre des accusations de crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale, Pascal Affi N’Guessan fait face à une formation scindée en deux : d’un côté les fidèles de Gbagbo qui ont créé l’aile dissidente « Gbagbo ou rien » et comptent se ranger derrière la candidature de Bedié. De l’autre, ceux qui le reconnaissent comme remplaçant légitime du fondateur du parti.
S’il a rejeté les partisans du mouvement « Gbagbo ou rien », Pascal Affi N’Guessan n’a pourtant jamais cessé de prôner le retour de Laurent Gbagbo d’exil. En attendant, il compte bien mener le FPI à la victoire. Mais selon toutes les projections observées, son rôle devrait se limiter au report de ses voix. L’éventuel soutien au PDCI de Bédié diminuera ou non les chances de Ouattara de remporter un troisième mandat.
Kouadio Konan Bertin
Surnommé KKB, Kouadio Konan Bertin fait figure de petit poucet dans la campagne face aux mastodontes de la politique qui lui font face. Nombre d’observateurs n’ont d’ailleurs pas caché leur étonnement de le voir figurer dans la liste finale. Sur RFI, l’analyste politique Sylvain N’Guessan s’est notamment dit « surpris de voir que M. Kouadio Konan Bertin ait pu réunir les conditions tandis que M. Mamadou Koulibaly [parti LIDER, NDLR] n’est pas candidat ». Mais le Conseil constitutionnel s’est montré formel : le candidat a bien recueilli les signatures d’au moins 1 % des inscrits dans 17 régions du pays.
Kouadio Konan Bertin n’en est pas à son coup d’essai. Dissident du PDCI de Bédié, il était déjà candidat à l’élection présidentielle en 2015. Il n’avait obtenu que 3,88 % des suffrages exprimés mais continue de croire en ses chances. Seul candidat indépendant, l’ancien député de 51 ans mise sur sa jeunesse pour séduire l’électorat. Il se présente comme une alternative aux trois autres candidats qui ont en moyenne 77 ans et ont longtemps dominé la politique ivoirienne. Il faut dire que 40 % de la population ivoirienne a moins de 15 ans.
Dans ses discours, Konan Bertin fait aussi de Bédié sa cible favorite. Nombre d’opposants à Ouattara et observateurs politiques n’hésitent d’ailleurs pas à insinuer que le pouvoir a retenu la candidature de KKB pour ravir des voix à Bédié. La candidature de « KKB risque d’affaiblir le PDCI d’Henri Konan Bédié, principal concurrent du président sortant et ainsi favoriser les affaires du RHDP », relève l’hebdomadaire politique et satirique L’Éléphant déchaîné. « Pour le PDCI, la validation de la candidature de Kouadio Konan Bertin n’est pas une bonne nouvelle, parce qu’il chassera sur les terres de Bédié et pourrait rogner ses voix. […] Il est un gros caillou dans les petits souliers de Bédié. » (France24)