Scène inimaginable à Washington, des partisans de Donald Trump ont envahi mercredi le Capitole, temple de la démocratie américaine, interrompant la session qui devait confirmer la victoire de Joe Biden.
» Le Figaro Magazine consacrera le week-end prochain un dossier de dix pages à l’Amérique Fracturée.
Qui sème le vent, récolte la tempête. En soufflant une fois de trop sur les braises de la colère de ceux qui l’ont porté au pouvoir, Donald Trump a fini par déclencher une force plus grande que lui. Un ouragan. Une avalanche. Une lame de fond qui a ébranlé le sanctuaire parlementaire de l’une des plus grandes démocraties du monde. Rien, pourtant, au début de cette journée du 6 janvier, ne laisse présager de l’ampleur des événements qui vont suivre. Certes Trump et ses chantres n’ont eu de cesse, ces dernières années, d’attiser régulièrement le brasier avec des discours belliqueux et des appels à la révolution, mais imaginaient-ils seulement que leurs électeurs passeraient à l’acte? La veille, ils étaient arrivés depuis tout le pays: par les aéroports, par la route ou par des bus. Les hôtels de la ville affichaient complets. Sur les trottoirs, les pro-Trump, flanqués de leurs plus belles parures à l’effigie du président, profitaient d’un repas à emporter (confinement oblige), verre à la main. Le lendemain, rassemblée sur la pelouse qui se couche entre la Maison Blanche et l’obélisque du Washington Monument, la foule compacte était calme – et ce malgré les premiers résultats des élections en Géorgie, proclamant la victoire des démocrates. Sous un ciel gris, balayés par un vent glacial, les partisans avaient afflué dès le petit matin pour attendre le discours de Donald Trump avant de se diriger, peu après midi, vers le Capitole, bouclé par un cordon de sécurité qui s’avérera cruellement trop mince.
Pris au piège par la marée humaine
Le siège du parlement américain va durer plusieurs heures, et c’est petit à petit que les manifestants avancent. C’est petit à petit, aussi, que certains se transforment en vandales, en casseurs, en «terroristes» tentant un «coup d’État», selon les mots employés sur les réseaux sociaux. Eux, dans la foule, préfèrent se désigner comme «révolutionnaire». Cette foule, elle se compose de vieux, de jeunes, d’hommes, de femmes et même d’enfants. Une population exogène qui s’improvise en insurgés d’un soir. Faisant fi des gaz lacrymogènes et des sprays au poivre qui éparpillent les premières lignes, la masse progresse. «USA! USA! USA!» scandent les uns ; «Stop the steal! Stop the steal!» (Arrêtez le vol!) hurlent les autres. Malgré des sommations et des tentatives de désencerclement, les forces de police échouent à repousser le flot continu de manifestants. «Traîtres!», s’égosillent quelques-uns à l’intention des policiers qui tentent tant bien que mal de contenir la meute. Mais il est déjà trop tard: le cortège s’est divisé et a rapidement encerclé l’imposant édifice. Toutes les sorties sont cernées et les personnes à l’intérieur prises au piège par cette marée humaine charriant drapeaux et casquettes rouges. Les grands escaliers qui permettent d’accéder aux terrasses supérieures du côté ouest tombent aux mains des pro-Trump ; et de l’autre côté, le gigantesque terre-plein du Capitole Ground est envahi. Dans la cohue, on aperçoit Alex Jones, l’animateur d’InfoWars (une chaîne Internet pro-Trump), qui se donne en spectacle avec son escorte – huit gorilles empêchant les quidams de trop l’approcher. Véritable héraut du Trumpisme depuis la première heure, il est de ceux qui ont participé à créer ce climat de véhémence qui, cet après-midi, porte ses sinistres fruits. Mais on ne le verra pas foncer sur la barricade.
«Ils ont pris le bureau de Nancy Pelosi!»
Derrière lui, les manifestants, eux, sont devant les murs de l’aile qui héberge le Sénat et de celle qui abrite la Chambre des Représentants. Des fenêtres sont d’abord fracturées, puis les portes cèdent. Les forces de l’ordre, retranchées dans le Capitole, tentent d’empêcher les intrusions. Animés par le même jusqu’au-boutisme qui les pousse à croire coûte que coûte les mensonges les plus éhontés de leur héros, les plus belliqueux parviennent à envahir le Capitole. «Ils ont pris le bureau de Nancy Pelosi (la présidente de la chambre basse du Congrès et bête noire des Républicains pro-Trump)», s’exclame, galvanisé, un manifestant. Ils ne veulent plus reculer ; ils ne peuvent plus reculer. Médusé par tant de violence, ou paralysé par des ordres qui tardent à arriver, les policiers qui au départ tentaient de garder les casseurs hors du Capitole se contentent de les circonscrire hors des bureaux et des endroits sensibles. Certains vont même jusqu’à discuter, un peu sonné, avec les vandales. Les téléphones portables vibrent : un message d’alerte annonce la mise en place d’un couvre-feu à 18 heures. Qu’importe : l’heure est à la détente. Prise de selfie devant les tableaux et les statues du Capitole, session fumette dans les quelques bureaux dont les portes ont été forcées, hurlement des habituels slogans pro-Trump… le spectacle s’installe, et dure, pendant que les parlementaires, eux, tweetent des messages terrorisés depuis l’intérieur, protégés par des gardes armes au poing.
Finalement, c’est l’arrivée de la Garde Nationale qui mettra un terme à l’occupation à l’intérieur du bâtiment. À l’extérieur, le message vidéo de Donald Trump demandant aux gens de rentrer chez eux se répand comme une traînée de poudre. Un homme le diffuse au moyen d’un mégaphone. Rien à faire. Déchaînés par l’adrénaline, beaucoup s’affranchissent des consignes de leur leader et décident de rester pour tenter de forcer une autre entrée encore à découvert. Tout à coup, Trump n’est plus la raison de leur présence ici, et de leurs actes, mais un simple prétexte. Si même lui les lâche, alors ils n’ont plus rien à perdre. «Trump tweet beaucoup mais il ne fait rien!», scande, hystérique, un manifestant. «Que de la gueule. Trump n’est pas mon maître, il n’a pas à me dire de rentrer chez moi, il n’a pas à dire de rentrer chez vous. Chez nous, c’est ici.»
Le calme après la tempête
La nuit tombe, les derniers résistants se dispersent dans les rues d’une ville déserte. Alors que dans la journée les équipes de journalistes et de photographes couvrant l’événement avaient été raisonnablement épargnés, des incidents et des heurts avec des «Proud Boys» et autres groupuscules se produisent. Une inscription «Assassinez les journalistes» a été gravée sur une porte du Capitole. Plus loin, des voitures de polices sillonnent de gigantesques artères vides plongées dans le silence. Le calme après la tempête… Les pro-Trump, eux, sont de retour à leurs hôtels, bières à la main et fier de leur «exploit». Tous se racontent leur hauts faits tandis que les Sénateurs, eux, ont réinvesti leur Chambre pour poursuivre la certification des votes des grands électeurs de l’élection de novembre dernier. Finalement, les pro-Trump ont échoué et la victoire de Joe Biden est bel et bien confirmée et les demandes d’impeachment du président succèdent à la sidération. Mais qu’importe, semble-t-il, pour ces manifestants. «Il paraît qu’une femme est morte», dit l’un. «Ah bon? C’est vraiment des enfoirés ces flics!»… (lefigaro)