La dirigeante birmane et plusieurs hauts représentants de son parti ont été arrêtés lors d’une opération menée ce lundi à l’aube. Cette annonce survient après plusieurs jours de tensions croissantes entre le gouvernement civil et l’armée suite aux élections législatives de novembre dernier. Le parti d’Aung San Suu Ky dénonce « un coup d’État ».
Probale « coup d’État » en Birmanie. La chef de facto du gouvernement birman, Aung San Suu Kyi, a été « arrêtée » par l’armée, a indiqué lundi 1er février le porte-parole de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie. Le président Win Myint et plusieurs hauts représentants du parti au pouvoir ont également été interpellés lors d’une opération menée à l’aube.
« Nous avons entendu dire qu’elle est détenue à Naypyidaw (la capitale du pays, N.D.L.R.), nous supposons que l’armée est en train d’organiser un coup d’État », a déclaré Myo Nyunt. « Les agissements de l’armée sont des actions qui remettent le pays sous dictature », a déclaré, plus tard, la NLD dans un communiqué signé du nom d’Aung San Suu Kyi. « J’exhorte la population à ne pas accepter cela, à réagir et à manifester de tout cœur contre le putsch mené par l’armée » est-il ajouté.
Ces arrestations interviennent alors que le Parlement issu des dernières législatives devait entamer sa première session dans quelques heures.
État d’urgence
L’armée birmane a proclamé l’État d’urgence pour une période d’un an et nommé son commandant en chef, le général Min Aung Hlaing, comme président par intérim.
Cette décision est nécessaire pour préserver la « stabilité » de l’État, ont fait savoir les militaires dans une déclaration sur la chaîne de télévision de l’armée NAME.
Ils ont accusé la commission électorale de ne pas avoir remédié aux « énormes irrégularités » qui ont eu lieu, selon eux, lors des législatives de novembre, remportées massivement par le parti d’Aung San Suu Kyi.
Fraudes par millions
Les militaires dénonçaient depuis plusieurs semaines plus d’une dizaine de millions de cas de fraudes lors des législatives de novembre, remportées largement par la LND, déjà au pouvoir depuis 2015.
Ils exigeaient que la commission électorale dirigée par le gouvernement publie la liste des électeurs à des fins de vérification – ce que la commission n’a pas fait.
Sous prétexte de la pandémie de coronavirus, les élections « n’ont pas été libres, ni justes », avait assuré la semaine dernière le porte-parole de l’armée, le major général Zaw Min Tun.
L’accès à internet perturbé
Les lignes téléphoniques de la capitale Naypyitaw et de la plus grande ville du pays Rangoun semblaient coupées, tandis que la télévision publique a cessé de diffuser, évoquant sur Facebook des « problèmes techniques ».
Selon des témoins, des dizaines de soldats ont été déployés devant la mairie de Rangoun et les services de téléphonie mobile de la ville, dont les connexions internet, ne fonctionnaient plus.
L’accès à internet est gravement perturbé partout dans le pays. « Les perturbations ont commencé lundi vers 3 h du matin […] et sont susceptibles de limiter la couverture des événements » actuels, a mis en garde l’ONG Netblocks, qui fournit des données sur les activités en ligne.
Les banques ont été temporairement fermées « à partir du 1er février », selon un communiqué de l’association des banques du pays. Des personnes faisaient déjà la queue devant des distributeurs automatiques cherchant à retirer de l’argent, ont constaté des journalistes de l’AFP.
« Coup dur aux réformes démocratiques »
À Washington, le président américain Joe Biden a été informé de l’arrestation de Suu Kyi, a fait savoir la Maison blanche. « Les États-Unis s’opposent à toute tentative d’altérer l’issue des récentes élections ou d’entraver la transition démocratique en Birmanie, et agiront contre les responsables si ces mesures ne sont pas inversées », a déclaré la porte-parole de la présidence américaine, Jen Psaki, dans un communiqué.
L’Australie a déclaré pour sa part être « profondément préoccupée » par les informations selon lesquelles l’armée birmane « cherche une nouvelle fois à prendre le contrôle » du pays. Le gouvernement australien a demandé la libération immédiate des responsables politiques arrêtés illégalement.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a de son côté « condamné fermement » l’arrestation d’Aung San Suu Kyi. « La déclaration du transfert de tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires aux militaires […] porte un coup dur aux réformes démocratiques en Birmanie », a-t-il ajouté.
La Birmanie est sortie il y a tout juste 10 ans d’un régime militaire au pouvoir pendant presque un demi-siècle. Les deux derniers coups d’État depuis l’indépendance du pays en 1948, remontent à 1962 et 1988.
Délicat partage du pouvoir
Le parti d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, très critiquée à l’international pour sa gestion de la crise des musulmans rohingyas mais toujours adulée par une majorité de la population, a remporté une victoire écrasante en novembre.
Il s’agissait des deuxièmes élections générales depuis 2011, année de la dissolution de la junte.
En 2015, la LND avait obtenu une large majorité. Mais elle avait été contrainte à un délicat partage du pouvoir avec l’armée qui contrôle trois ministères clés (l’Intérieur, la Défense et les Frontières).
« La relation entre le gouvernement et les militaires était compliquée », a déclaré Hervé Lemahieu, spécialiste auprès de l’institut Lowy en Australie. « Ce régime hybride, pas tout à fait autocratique ni tout à fait démocratique, s’est effondré sous le poids de ses propres contradictions ».
Longtemps exilée en Angleterre, Aung San Suu Kyi, aujourd’hui âgée de 75 ans, est rentrée en Birmanie en 1988, devenant la figure de l’opposition face à la dictature militaire. Elle a passé 20 ans en résidence surveillée avant d’être libérée par l’armée en 2010. (ouestfrance)