Le continent africain dispose d’un marché unique depuis le 1er janvier 2021, soit plus de 1,2 milliard de consommateurs pour un PIB estimé à 2 500 milliards de dollars.
C’est le marché qui sortira peut-être les Etats africains de la pauvreté. Félix Tshisekedi, le président de la République démocratique du Congo (RDC), a assuré que « l’opérationnalisation » de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est l’un des « trois grands dossiers » de son mandat. Depuis le 7 février 2021, il succède à son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa à la tête de l’Union africaine (UA). Avec six mois de retard sur le calendrier prévu, dû à la pandémie liée au Covid-19, la ZLECAf est effective depuis le 1er janvier 2021. Une étape « historique » pour l’Union qui s’offre un marché de plus de 1,2 milliard de personnes. Valeur estimée : 2 500 milliards de dollars (plus de 2 000 milliards euros).
Cette zone « ne devrait pas être un simple accord commercial, (mais) un instrument pour le développement de l’Afrique », a déclaré lors de son lancement le Sud-Africain Wamkele Mene qui en assure le secrétariat général. Selon les prévisions de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), le marché devrait « stimuler le commerce intra-africain de 52,3% » en éliminant les barrières tarifaires. La phase de transition vers le marché unique pourrait déjà accroître ce commerce de 33%, d’après un rapport de la Conférence des Nations unies sur le développement et le commerce (Cnuced),.
Un marché unique pour démultiplier les échanges entre pays africains
Aujourd’hui, les Africains commercent plus avec le monde qu’entre eux. « En 2017, les exportations intra-africaines ont représenté 16,6% des exportations totales, contre 68,1% pour les exportations intra-européennes, 59,4 % pour les exportations intra-asiatiques, 55% pour les exportations intra-américaines et 7% pour les exportations intra-océaniques, indique la Cnuced.
Or, « l’augmentation du commerce intra-africain est une incitation à accroître les niveaux d’industrialisation des pays », rappelle le Progamme des Nations unies pour le développement (PNUD). Pour l’heure, les Etats africains n’exportent en majorité que des biens primaires qui ont moins de valeur que les produits transformés.
En outre, pointe l’UA, avec des taux « moyens de 6,1% », les entreprises paient « des droits de douane plus élevés lorsqu’elles exportent en Afrique que lorsqu’elles exportent en dehors de ce continent ».
Une mise en route retardée
En 2012, au moment de l’adoption du projet de la ZLECAf, l’Union africaine espérait sa mise en place effective en 2017. Il faudra attendre le 21 mars 2018 pour que le traité établissant le marché soit signé à Kigali, la capitale du Rwanda.
La création de la zone de libre-échange est un projet « phare » de l’Agenda 2063 de l’UA, La vision du développement propre à l’Afrique. Depuis quatre décennies, l’organisation panafricaine tente de donner corps à son rêve d’intégration. En 1980, elle s’est dotée du plan d’action de Lagos pour son développement économique. Puis, en 1991, le traité d’Abuja (conclu également au Nigeria) a institué la Communauté économique africaine à l’origine de la zone de libre-échange.
Au 3 décembre 2020, selon l’UA, « trente-six pays avaient ratifié » le traité signé par 54 des 55 membres de l’Union. Le sécrétaire général de la zone, Wamkele Mene, indiquait le 1er janvier que « plus de 40 pays avaient soumis leurs offres tarifaires » .
Des promesses : moins de taxes et plus de bien-être
L’élimination des droits de douanes « sur 90% des marchandises des Etats parties » se fera progressivement sur cinq ans. Les pays les moins avancés (PMA, plus d’une trentaine) auront un délai supplémentaire de cinq ans. Ainsi, détaille-t-on dans le rapport conjoint du PNUD et du sécrétariat de la zone, qu’« un produit exporté d’un Etat partie à la ZLECAf vers un pays non-PMA » devrait ainsi voir les droits de douane qui lui sont appliqués baisser « de 25% en 2021, de 20% en 2022 et de 15% en 2023″, jusqu’à leur élimination totale en 2025. En attendant, les échanges démarrent avec « les pays qui sont prêts », a confié mi-janvier Wamkele Mene à La Tribune Afrique.
Le processus initié par le traité se poursuivra avec des négociations sur les droits liés à la propriété intellectuelle, l’investissement et la politique de la concurrence dans une deuxième phase. Puis, dans une troisième temps, des pourparlers sur le commerce électronique seront engagés.
Des gains « entre 0,35% du PIB (28 milliards de dollars, soit plus de 23 millions d’euros) et 0,54% (44 milliards de dollars, soit plus de 36 millions d’euros) d’ici 2040, selon l’ambition de la réforme » sont attendus, indique un rapport commun produit par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le secrétariat de la ZLECAf.
La Banque mondiale prévoit « que les gains de revenus les plus importants (…) se produiront en Côte d’Ivoire, au Zimbabwe, au Kenya et en Namibie ». « Plus de 10% d’ici 2035 » pour chacun, précise le secrétaire général de la zone. Mais ces gains « dépendront non seulement de la libéralisation tarifaire – pour laquelle les avantages sont généralement faibles – mais aussi des mesures de facilitation des échanges et de la réduction des barrières non tarifaires ».
A l’échelle du continent, le marché unique permettra, entre autres, « de sortir 30 millions d’Africains de l’extrême pauvreté et d’augmenter les revenus de près de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de 5,50 dollars par jour (4,53 euros) » d’ici 2035. Le libre-échange favorisera aussi « une progression salariale plus importante pour les femmes (+10,5%) que pour les hommes (+9,9%) ».
Une zone de libre-échange contre le Covid-19
Pour l’heure, à cause du Covid, affirme le patron de la Banque africaine de développement Akinwumi Adesina, « 43 millions d’Africains supplémentaires pourraient être poussés dans la pauvreté ». La pandémie, rapporte Afrique Renouveau, a « amplifié le besoin urgent » d’accélérer l’intégration économique sur le continent, notait en août 2020 lors de l’installation du siège de la ZLECAf au Ghana le président de la Commission de l’UA Moussa Faki reconduit à son poste début février 2021.
Le Covid-19 a révélé combien les pays africains dépendent de l’extérieur pour les produits pharmaceutiques et équipements médicaux. « La grande majorité des produits pharmaceutiques sont importés de l’extérieur du continent, plus de 75% (…) provenant de l’Union européenne, de l’Inde ou de la Chine », écrit Wamkele Mene dans un article consacré à l’intégration régionale.
« Au cours des années 2020, la ZLECAf fera partie de l’effort de relance. En générant le nombre et la qualité d’emplois que la démographie africaine exige, le commerce est le moyen le plus fiable pour une croissance durable et inclusive« , résume David Luke, coordinateur du African Trade Policy Centre (Centre africain pour la politique commerciale) dans le rapport du PNUD.
Notamment pour les jeunes (18-35 ans pour l’UA) et les femmes qui constituent des cibles prioritaires dans le cadre du traité. Ces dernières représentent près de 90% de la main-d’œuvre dans le secteur informel représentant lui-même plus de 85% de l’activité économique en Afrique.
De nécessaires ajustements
Si les pays membres de l’Union se plient aux règles du marché unique, les perspectives seront alléchantes. Mais il faudra en informer les acteurs économiques dont 80% sont des petites et moyennes entreprises. « Une enquête récente, rapporte Wamkele Mene, a montré que seulement 26,2% des entreprises du Ghana, siège opérationnel du secrétariat de la ZLECAf, ont entendu parler de la zone et qu’elles sont encore moins bien préparées pour bénéficier de ses tarifs réduits ou nuls, de ses avantages en termes de prix et des autres gains de compétitivité qu’elle leur procure. »
Des gains futurs pour les entreprises, mais un manque à gagner immédiat pour les Etats. Les pertes fiscales associées à la suppression des droits de douane s’élèveraient « à plus de 4,1 milliards de dollars à court terme », selon le patron de l’Afreximbank, Benedict Okey Oramah. Son institution travaillerait « à la mise en place d’une facilité d’ajustement » de « 5 milliards de dollars » pour aider les pays à amortir l’impact de la réforme. (FranceInfo)