mercredi, novembre 20, 2024
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FRANCE-RWANDA. Alain Juppé a t-il laissé les responsables du génocide de 1994 fuir leur pays en toute impunité ?

«Droit dans ses bottes» : cette formule célèbre, Alain Juppé pourrait la ressortir pour évoquer le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Lui qui déclarait il y a deux ans (1) : «Accuser la France, le gouvernement français et l’armée française de complicité de génocide au Rwanda en 1994, c’est un mensonge et une honte.» A l’époque des faits, il était ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement dirigé par Edouard Balladur et présidé par François Mitterrand.

Une cohabitation confrontée au dernier génocide du XXe, près d’un million de morts en seulement trois mois. Or, depuis plus d’un quart de siècle, cette tragédie vient régulièrement hanter la France. Un peu à la façon du «sparadrap du capitaine Haddock», comme l’avait constaté l’hebdomadaire Jeune Afrique.

Dans le rôle du capitaine Haddock, c’est donc Alain Juppé qui se retrouve cette fois-ci sur la sellette. A cause d’un télégramme «confidentiel diplomatie» daté du 15 juillet 1994, découvert par François Graner. Membre de l’association Survie, ce chercheur a obtenu, après une longue bataille, l’accès à certains fonds d’archives encore inexploités sur cette période trouble. Celle pendant laquelle les alliés de Paris orchestraient une extermination programmée dans un petit pays de l’Afrique des Grands Lacs. Ce document, divulgué dimanche par le site Mediapart, confirme que le Quai d’Orsay, dont Juppé était le patron, a clairement donné l’ordre de laisser partir les responsables du génocide, présents à l’époque dans une zone contrôlée par l’armée française, plutôt que de les arrêter. L’intérêt essentiel de ce télégramme, c’est son auteur : Bernard Emié, alors conseiller diplomatique et aujourd’hui patron des services secrets de la DGSE. En théorie, il devrait être contraint de s’expliquer sur cette violation flagrante de la Convention pour la prévention du génocide. Mais selon Mediapart, il n’a pour l’instant pas souhaité réagir.

Pas d’arrestations

Reste que cette information ne fait que confirmer ce qu’on sait déjà. Les responsables français de l’époque ont beau se draper dans une attitude indignée en rappelant que la France est «le seul pays qui ait fait quelque chose», comme le signalait Juppé (1), en évoquant l’opération militaro-humanitaire Turquoise déclenchée à la fin du génocide (et surtout quand nos alliés perdaient du terrain), les objectifs et le modus operandi de cette intervention ne cessent d’interroger.

Des soupçons renforcés par de multiples documents et témoignages. A commencer par les révélations d’un ex-officier de Turquoise, Guillaume Ancel, l’un des rares à avoir osé briser l’omerta de la «grande muette», témoin d’une complicité gênante avec les forces génocidaires alors en déroute. Il y eut aussi, ce même 15 juillet 1994, ce document accablant : une dépêche de l’agence Reuters, évoquant l’arrestation possible des responsables du génocide, annotée par la plume manuscrite d’Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée : «Lecture du Président. Ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre». Donc pas d’arrestations en perspective, le message est limpide.

Forcément au courant

Et c’est bien avec l’aval du président François Mitterrand que le soutien puis l’exfiltration des responsables du génocide ont été avalisés. «Il n’était pas question à ses yeux (ceux de Mitterrand, NDLR) de châtier les auteurs hutus du génocide», confie Edouard Balladur dans un courrier adressé le 9 juin 1998 à l’ancien ministre de la Santé Bernard Debré. Le gouvernement génocidaire sera formé au sein de l’ambassade de France, seul pays à accepter de recevoir des ministres de ce régime criminel. Alain Juppé était forcément au courant. Il n’est pas le seul. En 2019, un transfuge, Richard Mugenzi, avait évoqué pour Libération la collaboration des militaires français avec les forces génocidaires pendant et après le drame.

Actuel chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, qui commandait à l’époque une compagnie dans la zone sous contrôle de Turquoise, aurait collaboré avec Alfred Musema, extrémiste déjà reconnu, arrêté en 1995 en Suisse et condamné plus tard pour génocide.

Divulgué en 2004, un télégramme du ministère de la Coopération française du 6 septembre 1994, évoque «la demande de visas émanant de l’ex-gouvernement rwandais» alors réfugié dans un pays voisin. Expliquant que «certains d’entre eux souhaitent bénéficier d’un visa […] pour circuler en Europe». En 1998, l’un des responsables du génocide les plus recherchés, Augustin Ngirabatware, se voit délivrer par le Quai d’Orsay une «carte spéciale» tenant lieu de titre de séjour. Ce n’était plus Alain Juppé mais Hubert Védrine qui était à la tête de la diplomatie française.

Reste ce trouble, jamais évacué, d’une compromission désastreuse dont une grande partie de la classe politique française se serait rendue coupable, impliquée dans un événement monstrueux. Pour l’instant, en toute impunité. (Libération)

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