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Djibouti, un pivot géographique cher aux puissances étrangères

À Djibouti (Afrique de l’Est).

La France, la Chine, les États-Unis, mais aussi le Japon, l’Allemagne ou encore l’Italie. La liste des forces armées implantées à Djibouti est longue. Mais dans une région agitée par des tensions, le petit État d’Afrique de l’Est affiche une stabilité qui séduit. Sa situation géographique est également une opportunité pour les pays qui veulent maintenir leurs influences dans la région.

«On a un défaut de présence ici», confesse un membre de l’État-major des FFDj, les Forces françaises stationnées à Djibouti. Pourtant, avec près de 1.500 soldats répartis sur trois sites, la France est solidement implantée ici. C’est la plus grande base de soldats français hors métropole.

Le réservoir de troupes que représentent les FFDj, avec notamment le 5e Régiment interarmes d’Outre-Mer (5e RIAOM), établi à Djibouti depuis 1969, permet à l’exécutif français de projeter rapidement des troupes lors d’opérations extérieures, comme ce fut le cas avec Sangaris en République Centrafricaine en 2015, Chammal en Irak en 2014 et 2015 ou encore plus récemment Barkhane en bande sahélo-saharienne en 2015.

Mais la France, présente depuis près de 140 ans dans la région, n’est pas seule. L’Armée populaire de libération chinoise (APL), en 2017, a débuté la construction d’une base militaire juxtaposée au port polyvalent de Doraleh, en périphérie de la capitale. Les chiffres ne sont pas clairement définis, mais on estime à 1.000 le nombre de soldats de l’APL en poste à Djibouti.

Pour le moment, seulement un hélicoptère chinois y est présent par intermittence, mais la construction d’un quai pouvant accueillir un navire de guerre préfigure une volonté plus importante. «Ce ne serait pas étonnant qu’à terme, des avions de l’APL arrivent jusqu’à Djibouti, analyse Antoine Bondaz, chercheur spécialiste de la Chine à la Fondation pour la Recherche Stratégique. La Chine a tout intérêt à démontrer qu’elle possède désormais des capacités de projection.»

Images satellites de la base chinoise de 2017 à 2020. | Sentinelhub/Copernicus

Et lorsqu’on demande au chercheur pourquoi ce pays: «Djibouti cochait toutes les cases, il y a déjà une forte présence étrangère là-bas, donc cela leur permettait d’atténuer les critiques des autres pays pour leur première base hors du pays.»

Si aucun accord sécuritaire n’a été signé avec les autorités djiboutiennes, la Chine leur a en revanche accordé des prêts importants. L’ancien commandant de l’US Africa Command, le général Thomas D. Waldhauser estimait en 2018 que Djibouti était endetté à hauteur d’1,2 milliard de dollars vis-à-vis de la Chine.

Exemple de ce partenariat économique, plusieurs dizaines de caméras de vidéosurveillance ont été installées aux carrefours des quartiers résidentiels des ambassades et à deux pas de la base navale française du Héron. Elles sont opérées, officiellement par les forces de l’ordre djiboutiennes. Mais elles ont été achetées à la Chine, qui les a fabriquées. «On ne sait pas vraiment qui regarde les images, et surtout, qui les récupère», explique un militaire français en poste ici.

Un carrefour stratégique

Consciente de l’importance de ce carrefour stratégique, la France a tenté, au cours de ces dernières années, de consolider ses emprises sur le territoire. Sur place, les FFDj dépensent près de 130 millions d’euros chaque année, ce qui représente près de 4% du PIB du pays. Un premier accord de défense entre la France et Djibouti a été signé en 1977, année de l’indépendance de l’État surnommé «État confetti». Un accord renouvelé en 2011, qui stipule notamment que la France s’engage à défendre Djibouti en cas d’agression extérieure (article 4).

Même si les effectifs des soldats français ont fondu en quarante ans (4.300 en 1978 contre 1.500 en 2021), les capacités militaires françaises permettent une bonne réactivité. «Nous pouvons toujours demander plus si nous avons besoin de plus, nous savons que cela arrivera vite», affirme le général Stéphane Dupont, commandant des Forces françaises stationnées à Djibouti.

En plus de la France et de l’armée chinoise, les Américains sont également présents depuis 2002. Le camp Lemonnier héberge officiellement 4.000 soldats de l’armée américaine ainsi que des contractuels. C’est ici qu’est situé le Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA), l’état-major US qui planifie et conduit l’ensemble des opérations menées dans la corne de l’Afrique de l’Est par l’armée américaine, conventionnelle ou forces spéciales.

De là, le département de la Défense américaine peut rayonner dans toute la zone, pour collecter des renseignements et y mener des raids volontairement gardés secrets. Du camp Lemonnier, les États-Unis et leurs alliés ont mené près de 200 opérations au sol contre le groupe terroriste Al-Chabab, présent en Somalie, entre 2017 et 2018.

En réalité, Djibouti est d’une stabilité qui se démarque de ses voisins. Dans l’arc de crise que représentent la République Centrafricaine, la Somalie, l’Érythrée, l’Éthiopie et le Yémen, l’État confetti semble épargné. L’importance de ce pivot géographique, cher aux puissances étrangères, s’étend également en mer. Le détroit de Bab-El-Mandeb, qui relie le Golfe d’Aden au sud avec la mer Rouge au nord, voit passer près de cinq millions de barils de pétrole par jour. Chiffre tout aussi important, 15% des marchandises échangées dans le monde via les voies maritimes passent dans ce détroit d’à peine 28 kilomètres de large.

L’aéroport international, centre des attentions

La France, la Chine, les États-Unis, mais aussi des éléments de l’armée italienne et allemande sont présents. Ces deux derniers pays participent à l’opération Atalante. Initiative de l’Union européenne, la mission militaire de lutte contre la piraterie s’appuie principalement sur les avions de reconnaissance maritimes allemands et italiens, stationnés sur l’aéroport de Djibouti. La base aérienne 188 (BA 188) de l’Armée de l’air française y est juxtaposée: la piste unique, qui sert au décollage comme à l’atterrissage des appareils, est utilisée à la fois par le trafic civil et militaire.

Ce site, qui mêle donc des infrastructures civiles et militaires, est une véritable plaque tournante du trafic aérien régional. Depuis leur modeste tour de contrôle, les opérateurs djiboutiens guident les avions de ligne en provenance et au départ de l’aéroport international de Djibouti. Mais ce sont bien les soldats français qui, avec leur radar de contrôle, doivent assurer la coordination de l’activité aérienne internationale militaire. Cela permet, avec une discrétion mesurée, de noter les allées et venues des appareils étrangers.

Les drones américains décollent quant à eux de la base de Chabelley, dont la piste se situe à une dizaine de kilomètres à l’est de celle de l’aéroport international de Djibouti. Le départ est géré par les militaires stationnés à Chabelley, mais une fois arrivé à son altitude de croisière, l’appareil sans pilote est opéré depuis les États-Unis. Le nombre de leurs sorties n’est pas communiqué, mais ils sont suivis par les opérateurs français de la BA 188.

Privée de Djibouti, la Russie a choisi le Soudan

La Russie, quant à elle, s’est installée près de 1.000 kilomètres plus au nord, à Port-Soudan. Dans un document daté du 16 novembre 2020, le président de la fédération de Russie Vladimir Poutine autorise l’installation d’un complexe de «soutien logistique». Une expression vague mais lourde de sens: c’est la première base militaire russe implantée sur le continent africain depuis la chute de l’URSS.

Dans son contrat, la Russie a négocié un accès total aux infrastructures aéroportuaires soudanaises, sans droit de regard des autorités locales. Pour le moment peu d’informations sont disponibles sur ce complexe, mais certains observateurs estiment qu’il abriterait environ 300 personnels. «C’est un signal fort, cela vient crédibiliser une posture du retour que les russes cherchent à implanter en Afrique», explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’observatoire franco-russe à Moscou, spécialiste des questions de défense russes.

Si la Russie n’a pas pu s’implanter à Djibouti, c’est parce que les autorités locales lui ont refusé l’accès en 2010. Mais Port-Soudan, plus au nord, se situe, là encore, à un point stratégique. «Cette zone leur permet de maintenir leur partenariat avec les monarchies du Golfe, tout en leur donnant l’opportunité de développer leurs relations sécuritaires et économiques avec les pays d’Afrique subsaharienne», détaille Igor Delanoë.

L’État confetti, mais aussi toute sa région, continue donc de concentrer de nombreuses puissances militaires importantes. Le général Stéphane Dupont, commandant des FFDj l’assure: «Demain, Djibouti sera l’épicentre d’une grosse actualité.» Et si demain était en réalité déjà là ? (

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