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BURKINA FASO. Le retour en force du « faso dan fani »

Depuis 2019, le ministère du Commerce et de l’Artisanat burkinabé poussé par des acteurs du secteur a engagé un processus de labellisation du pagne tissé traditionnel faso dan fani, qui signifie littéralement « pagne tissé de la patrie » en langue dioula, et symbole de la révolution sous Thomas Sankara. Au-delà de l’histoire, ce tissu à base de fil de coton lourd, non génétiquement modifié, est un produit stratégique pour le Burkina Faso, dont le potentiel de revenus annuels est évalué à plus de 50 milliards de F CFA (un peu de 76 millions d’euros). Deux ans après avoir pris cet engagement, le pari est plus que gagné pour le pays.

Barrer la route aux contrefaçons

Les premiers pagnes faso dan fani labellisés sont désormais disponibles sur le marché. Pour ne plus se tromper et barrer la route aux contrefaçons, les consommateurs pourront se référer à l’étiquette, qui affiche maintenant plusieurs informations, notamment sur la qualité du tissu. Ils pourront même effectuer ces vérifications depuis leurs smartphones, à l’aide d’un QR code ou un code-barres qu’il faut flasher ou aller sur le site du portail d’entrée au Burkina, a indiqué la Maison de l’entreprise du Burkina Faso, au c?ur du projet. Jusqu’ici, des pagnes imprimés en Asie coûtant dix fois moins cher que les originaux inondaient les marchés. Valoriser et protéger la filière textile artisanale locale était l’objectif principal du gouvernement alors que le secteur est pourvoyeur d’emplois et de revenus pour des millions de personnes, en majorité des femmes.

Relancer la filière coton

L’annonce de la labellisation est aussi une bonne nouvelle pour le secteur du coton, car derrière ce pagne, c’est toute une économie qui espère sortir de l’ornière. Les revenus cotonniers représentent entre 55 et 70 % des recettes d’exportation burkinabé, selon les années, contribuant pour 40 % au produit intérieur brut. Mais en 2019, le pays est tombé à la quatrième place des producteurs sur le continent africain derrière le Bénin, le Mali et la Côte d’Ivoire. Les changements climatiques et la menace terroriste sont entre autres les raisons qui ont fortement impacté la production cotonnière. Autre problème : le coton-fibre est exporté à l’état brut, faute de moyens pour le valoriser sur place.

Cahier des charges, appellation protégée et propriété intellectuelle

Pour réussir sa mission, le gouvernement a d’abord établi un catalogue de près de 400 motifs créés par les tisseuses de toutes les régions du pays. Tous ont ensuite été enregistrés auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi). Désormais, l’appellation faso dan fani ainsi que les motifs sont protégés. C’est-à-dire qu’il faut obtenir un agrément en plusieurs étapes pour produire du faso dan fani labellisé et estampillé « made in Burkina ». La liste des critères pour obtenir le graal est très précise : choix du métier à tisser, des fils utilisés, de la teinture ou encore du mécanisme de tissage peuvent faire la différence.

« Le faso dan fani est désormais une marque collective. Ça doit être tissé avec du fil burkinabé et dans un certain nombre de conditions, même en matière de teinture. Vous ne pouvez pas aller imprimer des pagnes comme ça et utiliser les motifs faso dan fani et venir les vendre sur le marché. C’est terminé. Si vous rentrez dans ce schéma de tricherie, nous, nous avons choisi de faire appel à la poche, c’est là que ça fait le plus mal », confiait à RFI Harouna Kaboré, le ministre du Commerce et l’Industrie.

À ce jour, 23 structures ont reçu leurs agréments d’utilisation du label. « Pour ce qui est de ce label en toute sincérité, c’est un moyen qui va nous galvaniser davantage pour une production de qualité. Parce qu’on ne donnera pas le label à qui doit l’utiliser, mais à qui le mérite. Donc de ce fait, nous interpellons l’ensemble des tisseuses du Burkina à faire rien que la qualité », a souligné Germaine Compaoré-Bonkoungou, secrétaire générale de la Fédération nationale des tisseuses du Burkina Faso.

Il faut noter cependant que la labellisation du faso dan fani entraîne déjà une augmentation des prix de vente. En temps normal un pagne tissé coûte entre 6 000 et 10 000 francs CFA, avec ce nouveau processus, il faudra en moyenne ajouter 800 F CFA de plus selon Louise Anne Go, la ministre déléguée, chargée de l’artisanat.

Le faso dan fani, une longue histoire

S’il est un symbole du patriotisme burkinabé, le faso dan fani est celui-là. C’est lors de l’accession au pouvoir de Thomas Sankara, qui rebaptise le pays Burkina Faso (« pays des hommes intègres »), en 1983, que la faso dan fani deviendra un symbole de sa révolution et de l’identité nationale. Porté par les idées communistes et anticolonialistes, il aimait à répéter que « porter le faso dan fani est un acte économique, culturel et politique de défi à l’impérialisme ».

Lors de la Journée internationale des droits de la femme du 8 mars 1987, Thomas Sankara, assassiné, quelques mois plus tôt, le 15 octobre 1987, défend, dans un discours demeuré historique, l’émancipation de la femme par le travail. « Dans tous les villages du Burkina Faso, l’on sait cultiver le coton. Dans tous les villages, des femmes savent filer le coton, des hommes savent tisser ce fil en pagnes et d’autres hommes savent coudre ces pagnes en vêtements. » Soucieux de mettre en avant ces tissus locaux et de développer les productions nationales, il rend obligatoire le port du faso dan fani par les fonctionnaires.

Mais pas seulement, les Naba, ces chefs de village traditionnels, dont l’empereur des Mossis fait partie, le portent à chaque occasion. Tombé en désuétude pendant quelques décennies surtout au moment de l’ouverture de l’économie, le faso dan fani est revenu en force depuis que la révolution survenue en 2014 a chassé du pouvoir l’ex-dictateur Blaise Compaoré.

Roch Marc Christian Kaboré, président élu fin 2015, a remis au goût du jour le port du faso dan fani, lui-même en portant à chacune de ses apparitions le fameux tissu. Le pagne a même trouvé son jour de célébration, le « 8 mars ». Chaque année, un nouveau modèle est créé en l’honneur de la Journée mondiale de la femme. Aujourd’hui, le faso dan fani peut se targuer d’avoir les meilleurs ambassadeurs dans le monde. Parmi eux, les créateurs Élie Kuame, Imane Ayissi, la marque Peulh Vagabond, ou encore Pathé Ouedraogo, dit Pathé’O, styliste ivoirien pour qui « c’est le tissu africain le plus cher et le meilleur de nos jours ». (Le Point Afrique)

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