Une nouvelle fois, le putsch s’est déroulé avec une déroutante facilité, du moins pour sa partie pratique. Quelques heures ont suffi. Des véhicules militaires, des soldats de la garde nationale, une double arrestation nocturne du Président et du Premier ministre, des démissions forcées et un communiqué lu à la télévision nationale. Le mode d’emploi était connu des colonels du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), qui l’avaient déjà appliqué lors du coup d’Etat mené contre le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août dernier. Ils ont récidivé ce mardi.
Mais cette fois, les lendemains semblent plus difficiles. Aucune foule n’est venue, comme cet été, acclamer les putschistes sur la place de l’indépendance à Bamako. La communauté internationale s’agace de ce «coup d’Etat dans le coup d’Etat, inacceptable», selon les mots d’Emmanuel Macron. L’Union européenne a menacé les membres de la junte de «sanctions». Les Etats-Unis, eux aussi, «envisagent des mesures ciblées à l’encontre des dirigeants politiques et militaires qui font obstacle à la transition» et ont annoncé la «suspension immédiate de l’assistance au profit des Forces de sécurité et de défense maliennes».
«Différends profonds»
Ces rodomontades n’ont pas eu l’air d’effrayer les auteurs du coup d’Etat. Le médiateur de la Cédéao, l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan, est reparti bredouille de Bamako jeudi matin, après quarante-huit heures passé dans la capitale malienne. Certes, Bah N’Daw et Moctar Ouane, le Président et le Premier ministre de la transition, ont pu quitter le camp miliaire de Kati où ils étaient retenus, pour regagner leur domicile. Mais l’ex-chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, qui assurait les fonctions de vice-président de la transition en charge des questions de sécurité, a repris les rênes du pays «jusqu’à nouvel ordre».
Devant la presse, mercredi, son chargé de communication a laborieusement tenté de justifier le coup d’Etat, en arguant de «différends profonds, sur la forme tant que sur le fond» entre le vice-président et le couple exécutif. Le commandant Baba Cissé a notamment invoqué des «limogeages abusifs [ordonnés par le président Bah N’Daw, ndlr] de nature à bouleverser l’équilibre des forces», ayant pour «conséquence une démoralisation des troupes et une rupture dans la chaîne de commandement», ainsi que «l’opposition du Président à des arrestations de certains dignitaires impliqués dans la mauvaise gestion financière et militaire du régime».
La charte de la transition, adoptée en septembre dernier, ne donne pourtant aucun pouvoir au colonel Goïta «de suspendre le président ou le Premier ministre», rappelle Jean-Hervé Jezequel, chercheur à l’International Crisis Group, dans une note publiée ce jeudi sur la situation au Mali. «A ce titre, le coup de force des militaires de l’ex-CNSP est bien une tentative de coup d’Etat pour reprendre le contrôle d’une transition en train de leur échapper, écrit-il. Ceux que des officiels occidentaux décrivaient il y a encore quelques mois comme des officiers éclairés, ne se comportent finalement pas mieux que les sous-officiers ayant pris le pouvoir en 2012. Le Mali donne parfois l’impression d’un inquiétant retour à la case départ.»
«Renversement de situation»
Le quintet de colonels à la tête du CNSP aura néanmoins besoin, rapidement, de se trouver des alliés politiques. «La communauté internationale n’insiste plus vraiment sur la réintégration de Bah N’Daw et Moctar Ouane, mais elle exige un retour du pouvoir aux civils, relève l’analyste Bokar Sangaré. C’est aussi une nécessité pour la junte, car elle souffre d’un déficit de crédibilité. Par rapport au premier coup d’Etat, le contexte a changé : dans les domaines où ils étaient attendus, comme la sécurité et la lutte contre la corruption, pas grand-chose n’a changé.»
La plupart des partis politiques maliens ont condamné le coup de force du CNSP. Les militaires pourraient donc désormais se tourner vers le Mouvement du 5 juin (M5-RFP), la coalition hétéroclite d’opposants qui avaient organisé la contestation massive contre le président Ibrahim Boubacar Keïta l’an dernier. Ses représentants ont été reçus à Kati dès la nuit du putsch. «Le M5-RFP soutient la dynamique de rectification en cours de la trajectoire de la transition, pour jeter les bases de la refondation du Mali», a indiqué un communiqué du mouvement mercredi, laissant la porte ouverte à une collaboration avec la junte.
«Ce serait un renversement total de situation, juge Bokar Sangaré. Leurs relations étaient jusque-là caractérisées par une méfiance réciproque. Après le coup d’Etat du 18 août, les militaires avaient tenu le M5-RFP à distance et celui-ci avait abandonné ses revendications initiales de co-leadership de la transition, ne cessant de critiquer l’assise militaire et les ambitions réduites de la transition.»
Ces derniers mois, le M5-RFP semblait en perte de vitesse. Son «autorité morale», l’influent imam Mahmoud Dicko, s’est éloignée du mouvement. Il est aujourd’hui divisé en plusieurs factions, dont certaines ont d’ailleurs fermement condamné le putsch de lundi. «Quelques-uns de ses leaders, attirés par le pouvoir, ont fait des appels du pied à la junte, mais ils n’ont pas d’appareil politique sérieux derrière eux, estime Boubacar Ba, du Centre d’analyse sur la gouvernance et la sécurité du Sahel. Si l’un d’entre eux est coopté par la junte, il prend un double risque. Celui de faire exploser le M5-RFP. Et celui d’être associé aux militaires, qui pourraient ne pas tenir très longtemps sous la pression conjuguée de l’intérieur et de l’extérieur.» (Liberation)