Neuf mois après avoir poussé à la démission le président Ibrahim Boubacar Keïta, l’officier a réédité la manoeuvre avec le président de transition Bah N’Daw.
Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».
Le mystère est en partie levé. En partie seulement. Neuf mois après avoir quitté les opérations militaires dans le centre du Mali pour faire irruption sur la scène politique de Bamako, Assimi Goïta demeurait jusqu’ici une énigme.
La personnalité comme les ambitions de celui qui mena le coup d’Etat contre le président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK ») en août 2020, restaient largement dissimulées. Le cache-cou censé le protéger du Covid-19 semble être devenu son meilleur outil de communication. L’instrument idoine pour conserver le silence et donc maintenir les interrogations.Mali : la reprise du pouvoir par les militaires ramène le pays neuf mois en arrière
Les fonctions de vice-président, chargé des questions de défense et de sécurité, qui lui ont été attribuées un mois après le putsch du 18 août n’ont pas rendu l’officier des forces spéciales plus prolixe, ni situées ses intentions pour l’avenir. Ces derniers jours ont cependant dévoilé sa méthode de gestion des conflits politiques et ont confirmé la mainmise que lui et ses partenaires de putsch entendent conserver sur la période de transition engagée après le renversement d’IBK.
Le masque est tombé le 24 mai après l’officialisation d’un remaniement ministériel, mettant sur la touche les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, deux des ministres qui avaient participé au coup d’Etat à ses côtés. Sous le prétexte qu’il n’avait pas été consulté au préalable, « une violation de la charte de la transition » selon lui, Assimi Goïta a alors fait arrêter, puis poussé à la démission le président Bah N’Daw et le premier ministre Moctar Ouane, tous deux nommés pour donner une couleur civile à cet intervalle de dix-huit mois devant aboutir à de nouvelles élections.
« Nouveau coup d’Etat »
Le voilà donc à 38 ans en pleine lumière. Une deuxième fois. Mais ce nouveau pronunciamiento en moins d’un an l’expose au feu des critiques et des sanctions. En août 2020, les pays de la région, les instances africaines et les partenaires occidentaux, dont la France, passées les rodomontades de circonstances, avaient accueilli avec une relative bienveillance le coup de force des militaires contre un pouvoir à bout de souffle.
La rue de Bamako applaudissait ces cinq officiers qui prétendaient avoir « pris [leurs] responsabilités » pour mettre un terme à « l’anarchie » et à « l’insécurité ». Les médiateurs régionaux avaient tout juste dû rappeler au colonel Goïta que la tête de la transition lui était interdite, qu’il ne pourrait pas remplacer le président qu’il avait pourtant largement choisi et qu’une mise à la retraite express ne faisait pas de lui un civil acceptable pour diriger le pays.France, Etats-Unis et ONU dénoncent un nouveau coup de force au Mali
« La première fois, on a fait en sorte de le contenir. Mais, là, aucun président de la région ne peut accepter ce nouveau coup d’Etat. Bah N’Daw a peut-être commis une faute en effectuant ce remaniement, mais Goïta n’a aucun argument pour le démettre », estime le sherpa d’un chef d’Etat d’Afrique de l’Ouest. Selon lui, « l’absence de condamnation du putsch au Tchad l’a sûrement incité à agir mais, là, un tour de vis s’impose pour que le système soit verrouillé jusqu’à la fin de la transition ».
Après la vague de condamnations internationales (Union africaine, Union européenne, Etats-Unis, France), la réunion des chefs d’Etat de la région, prévue dimanche 30 mai au Ghana, pourrait s’avérer décisive. Les principales menaces pour le Mali sont une fermeture des frontières terrestres, essentielles pour le ravitaillement de ce pays enclavé, et de la banque centrale par l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui étoufferaient économiquement le régime, mais aussi la population.
Calme, austère, discret
Sous la pression, l’entourage de celui qui occupe de facto pour la deuxième fois la tête de l’Etat plaide la patience et l’indulgence. « Assimi Goïta assume les fonctions de président en attendant qu’un nouveau président soit nommé. On ne peut quand même pas laisser le pays sans tête », avance l’un de ses conseillers. Jusqu’à quand ?
Réputé calme, austère, aussi discret que la tête du putsch de 2012 – le capitaine Amadou Haya Sanogo – était fantasque, Assimi Goïta, qui n’a jamais quitté son treillis de combat et apprécie de se mettre en scène au côté de la troupe, peut encore se prévaloir du soutien apparent de l’armée.Au Mali, la junte tente un coup de force pour maintenir son emprise sur le gouvernement
Aucun mouvement n’a été jusque-là noté pour résister à ce deuxième coup de force. Il faut dire que celle-ci a été bien servie ces derniers mois. Les nominations de hauts gradés à des postes de gouverneur, de directeur d’institution publique ont en effet donné le sentiment à bon nombre de Maliens que les militaires s’accaparaient l’ensemble des leviers du pouvoir.
Peut-être « prisonnier » de ceux qui l’ont placé au-devant de la scène comme le pensent plusieurs sources qui l’ont approché ces dernières semaines, Assimi Goïta, « le pur opérationnel », « l’homme de terrain », toujours entouré de ses soldats du Bataillon autonome des forces spéciales, est désormais devenu un acteur politique à part entière.
Son admiration pour le mythique capitaine burkinabé Thomas Sankara, ses rencontres avec le charismatique ghanéen Jerry Rawlings pourraient laisser poindre des ambitions hors du terrain militaire pour l’avenir. A moins qu’il ne soit déjà trop tard et que ce deuxième coup fut pour lui le coup de trop. (LeMonde)