Définitivement acquitté par la Cour pénale internationale le 31 mars dernier, l’ancien président ivoirien rentre à Abidjan jeudi 17 juin, après 10 ans d’absence.
Le retour de l’ex-président Laurent Gbagbo, ce 17 juin en Côte d’Ivoire, aura-t-il des répercussions sur la vie politique de son pays où, malgré une décennie d’absence, il reste un des acteurs majeurs depuis plus de 30 ans ? La question est sur toutes les lèvres dans le pays et bien au-delà, depuis que le président Alassane Ouattara a validé son retour, le 7 avril dernier.
Mais au-delà de l’avenir politique personnel de Gbagbo et de ses rapports avec ses rivaux ou alliés de longue date, son retour pourrait permettre au pays de tourner plusieurs chapitres de l’histoire ivoirienne.
Comment son retour a-t-il été organisé sur le plan logistique ?
Laurent Gbagbo sera de retour dans son pays par « un vol régulier » en provenance de Bruxelles qui doit atterrir à 15 h 45 (locales et GMT) à l’aéroport international d’Abidjan aux côtés de sa seconde épouse « Nady » Bamba. Des négociations sur l’organisation de cette journée ont eu lieu avec intensité ces dernières semaines entre le parti de l’ex-président et le gouvernement. Et les autorités lui avaient octroyé, fin 2020, deux passeports, un ordinaire et un diplomatique. Mais, surtout, le souci des deux parties est d’éviter tout débordement alors que les supporteurs de l’ex-président pourraient affluer massivement vers l’aéroport pour accueillir leur chef.
L’ex-président de 2000 à 2010 sera ensuite accueilli au pavillon présidentiel, comme l’a décidé le président Ouattara. « Mon souhait est qu’il n’y ait pas de triomphalisme qui pourrait engendrer des rancœurs et réveiller les vieux démons de la division au lieu d’apporter la paix en Côte d’Ivoire », a déclaré à l’AFP Joël N’Guessan, du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir.
« La Côte d’Ivoire doit se retrouver. (…) Elle est aujourd’hui en danger de déstabilisation par des djihadistes », a déclaré Assoa Adou, le secrétaire général du FPI, évoquant les récentes attaques meurtrières dans le nord du pays.
Il a appelé « tous les sympathisants » de Laurent Gbagbo à « ne pas répondre aux provocations, parce qu’ils vont nous provoquer (…) mais de dire à tous ceux qui manifestent : l’essentiel, c’est de se retrouver pour reconstruire un pays en paix, de fraternité. »
Quel est son programme ?
Pour la suite de son programme, peu d’informations ont filtré. Tout juste a-t-on appris qu’il prononcera un discours très attendu dans le quartier d’Attoban, au siège de son parti, actuellement tenu par son ex-ministre Assoa Adou, secrétaire général du FPI dit « GOR » (Gbagbo ou rien).
Pourquoi Laurent Gbagbo rentre-t-il et quel rôle va-t-il jouer ?
Le 31 mars, Laurent Gbagbo a été acquitté de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, où il était détenu depuis 2011. Il était poursuivi pour les violences postélectorales liées à son refus de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara à la présidentielle de 2010, qui ont fait quelque 3 000 morts.
Laurent Gbagbo, qui a gardé la haute main sur le parti qu’il a créé, le Front populaire ivoirien, entend participer, d’une façon qui reste encore floue, à la politique de « réconciliation nationale » d’Alassane Ouattara et n’est animé par aucun esprit de revanche après l’humiliation de 2011, selon ses proches.
Les images de son visage marqué et de son regard perdu lors de son arrestation dans sa résidence dévastée d’Abidjan, puis à l’Hôtel du Golf, quartier général des forces pro-Ouattara où il avait été transféré, restent gravées dans les mémoires des Ivoiriens. « Les blessures ouvertes (…) ne sont pas refermées et il y a une peur des autorités de voir Gbagbo ré-agiter la rue, ce qui est une de ses marques de fabrique », note Rinaldo Depagne, chercheur à l’International Crisis Group (ICG). Qu’il participe activement à une « vraie réconciliation serait une bonne chose, car il a un poids considérable dans l’histoire politique de ce pays », dit-il. Selon lui, ce serait aussi son « intérêt », pour « bien terminer une carrière qui a eu des hauts et des bas ».
Quelle est sa situation sur le plan judiciaire ?
Acquitté par la CPI de crimes contre l’humanité, l’ex-président reste sous le coup d’une condamnation en Côte d’Ivoire à 20 ans de prison et à 329 milliards de francs CFA d’amende (environ 500 millions d’euros) pour le « braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) commis à cette époque. L’actuel chef de l’État, Alassane Ouattara n’a pas mentionné cette condamnation de Laurent Gbagbo, mais Amadou Coulibaly, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, avait laissé entendre qu’elle serait levée.
De quels avantages va-t-il bénéficier ?
Le 7 avril, le président Ouattara a non seulement autorisé son rival à rentrer dans son pays quand il le souhaitait, mais il lui a également promis tous les égards liés à son statut d’ancien chef de l’État. « Les frais de voyage de M. Laurent Gbagbo, ainsi que ceux des membres de sa famille, seront pris en charge par l’État de Côte d’Ivoire » et les dispositions seront également prises pour qu’il « bénéficie, conformément aux textes en vigueur, des avantages et des indemnités dus aux anciens présidents de la République de Côte d’Ivoire », a ajouté Ouattara.
Selon la loi du 16 juin 2005 relative aux statuts d’anciens présidents, Laurent Gbagbo devrait bénéficier d’une allocation viagère d’un peu moins de 10 millions de francs CFA par mois (soit plus de 15 000 euros). À quoi il faut ajouter une indemnité contributive de logement ainsi que la prise en charge des frais d’eau, d’électricité et de téléphone, dont les montants sont fixés dans la loi de finances et payés sur le budget de la présidence.
L’ancien président de la République bénéficie également d’avantages en nature comme un service de sécurité de dix agents, sous l’autorité d’un aide de camp, officier supérieur des Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI) ou de la gendarmerie nationale. Il pourra bénéficier d’un cabinet, trois chauffeurs pour trois véhicules, un personnel domestique, une couverture médicale, etc.
Quelles seront ses relations avec le président Ouattara et l’opposant Konan Bédié ?
Avec son retour va se reformer « le trio » qui écrase la vie politique ivoirienne depuis 30 ans : Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, 79 ans, et Henri Konan Bédié, le doyen, âgé de 86 ans, qui avait succédé au président et « père de la nation » Félix Houphouët-Boigny à sa mort en 1993. Tous trois ont été alliés ou rivaux en fonction des circonstances.
Après avoir été allié à Ouattara contre Gbagbo en 2010, Bédié est aujourd’hui le chef indéboulonnable de l’ancien parti unique devenu principale formation d’opposition, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié au parti de Gbagbo aux dernières élections législatives, en mars.
Laurent Gbagbo n’a jamais admis sa défaite contre Alassane Ouattara en 2010, mais les contacts entre les camps des deux hommes se sont intensifiés ces derniers mois pour négocier son retour dans « l’apaisement ».
Avec Henri Konan Bédié, c’est pour l’instant l’entente cordiale : outre l’alliance aux législatives, le PDCI participe avec le FPI à l’organisation de l’accueil de Laurent Gbagbo.
Reste que la domination de ces trois hommes âgés sur la vie politique « témoigne d’un fonctionnement interne des partis absolument antidémocratique », selon Rinaldo Depagne. « Comme à la tête de l’État, un homme accapare l’essentiel des pouvoirs » pour qu’« aucun dauphin ne puisse apparaître ».
Le porte-parole de Gbagbo, Justin Katinan Koné, « rêve » qu’ils « se parlent et purifient l’héritage », car « si on nous laisse un héritage plein de ressentiment, on va continuer à se battre ».
Laurent Gbagbo reste populaire en Côte d’Ivoire, pourquoi ?
Malgré dix ans d’absence, Laurent Gbagbo reste populaire au-delà de sa région d’origine de Gagnoa (Centre-Ouest).
Principal opposant à Félix Houphouët-Boigny puis à Henri Konan Bédié dans les années 1980 et 1990, il s’est battu pour imposer le multipartisme, à la tête de manifestations violemment réprimées par le régime, ce qui lui a valu la prison et l’exil.
Dans un pays dominé par de grandes familles bourgeoises, Laurent Gbagbo, issu d’un milieu modeste, socialiste, « a relayé la parole des pauvres et des frustrés du développement et ça, ça ne s’oublie pas », estime Rinaldo Depagne, ajoutant qu’il est « un tribun hors norme » et « a le verbe, dans un pays où on adore parler et où on adore l’humour ».
Autre élément, « Laurent Gbagbo continue à incarner la rupture avec l’héritage colonial français », et « ça reste un élément-clé de sa popularité auprès des jeunes générations », estime Gilles Yabi, fondateur de Wathi, un centre d’analyse politique ouest-africain. C’est vrai dans sa région d’origine de Gagnoa et dans son village de Mama, mais aussi dans des quartiers populaires d’Abidjan, dont son fief de Yopougon. (lepoint.fr)