vendredi, mars 29, 2024
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ÉTHIOPIE/Élections. 5 choses à savoir sur un double scrutin-test

TOURNANT. Au-delà de se tenir dans un contexte tendu, les élections nationales de ce lundi soulèvent des questions sur le choix du modèle démocratique éthiopien.

Sans surprise, le Premier ministre Abiy Ahmed estime que le double scrutin qui s’ouvre ce lundi 21 juin dans son pays, le premier auquel il participe directement, est historique. Il se trouve qu’il a raison. Ces élections législatives et régionales devraient offrir à son parti, le Parti de la prospérité, une majorité confortable au Parlement, permettant à Abiy Ahmed d’être élu Premier ministre. Mais à cause du contexte, de nombreux Éthiopiens et des observateurs doutent déjà de la crédibilité du processus. Il faut dire que l’Éthiopie se rend aux urnes pour des élections nationales deux fois retardées alors que le pays est confronté à des crises majeures. L’insécurité s’est généralisée avec le conflit au Tigré, la classe politique est exsangue avec nombre d’opposants privés de leurs droits ou en prison. Il y a aussi le contexte économique qui n’est pas satisfaisant à cause des effets de la pandémie, et aussi des réformes qui tardent à se concrétiser. Et même dans le cas où elles sont appliquées, les réformes tant promises ne parviennent pas vraiment à libérer les énergies. Ce qu’il faut retenir est que l’Éthiopie se trouve à la croisée des chemins et ce double scrutin illustre les difficultés de ce vaste pays à l’histoire millénaire à se choisir un modèle, que ce soit sur le plan de la démocratie, sur le plan social ou du développement.

Quelque 37 millions de personnes sur les quelque 110 millions que compte l’Éthiopie se sont inscrites pour voter pour ces élections législatives et régionales, mais beaucoup devront attendre le mois de septembre pour voter en raison de problèmes logistiques, juridiques et liés à la sécurité. Questions-réponses autour des principaux enjeux autour de ces scrutins cruciaux dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique.

Abiy Ahmed peut-il asseoir son pouvoir ?

Pour saisir combien ces élections sont importantes pour l’Éthiopie, la sous-région, et surtout pour son Premier ministre, en quête d’une légitimité pour asseoir son pouvoir et poursuivre ses réformes, il faut retourner en 2018. Abiy Ahmed, jeune espoir politique Oromo, réputé ouvert, est désigné Premier ministre par la coalition de l’EPRDF, au pouvoir depuis 1991, et dont il est issu, vacille sur ses fondations, remises en cause par des manifestations au sein des deux plus importantes ethnies du pays, les Oromo et les Amhara. Les premiers pas d’Abiy Ahmed vers plus d’ouverture des libertés politiques et médiatiques ont été largement salués, et son engagement pour la paix en Érythrée, qui a mis officiellement fin à une guerre longue et brutale, lui ont valu un prix Nobel de la paix en 2019, même si le comité Nobel note que le processus de réconciliation n’est pas achevé.

Il annonce également l’ouverture du capital de grandes entreprises publiques (Ethio télécom, Ethiopian Airlines) aux investisseurs étrangers et la création d’un marché boursier. Son train de réformes à marche forcée, jusque dans les rangs de l’appareil sécuritaire, lui vaut une grande popularité, mais également de fortes inimitiés : deux mois après son arrivée au pouvoir, il est visé par une attaque à la grenade lors d’un rassemblement à Addis-Abeba.

En effet, l’ouverture de l’espace politique s’accompagne d’une résurgence de différends locaux, souvent territoriaux, et de sentiments nationalistes ethniques que les prédécesseurs d’Abiy Ahmed avaient étouffés par une répression de tous les instants. Exemple : dans le Sud, les Sidama ont voté en 2019 par référendum pour la création de leur propre État régional. D’autres groupes se positionnent pour suivre cette voie et morceler un peu plus un pays abritant une mosaïque de peuples réunis au sein d’un « fédéralisme ethnique ».

Pour ne rien arranger, en juin 2020, le meurtre d’un chanteur populaire oromo déclenche des violences interethniques et des affrontements avec les forces de sécurité qui font 160 victimes. Des dirigeants de l’opposition sont arrêtés et accusés de terrorisme. La région de l’Oromia est le théâtre de massacres, attribués à des groupes rebelles. Dans la région voisine de l’Amhara, des centaines de personnes sont tuées dans des violences politico-ethniques.

Fin 2019, Abiy Ahmed démantèle la coalition de partis qui dirige le pays depuis 1991 – l’EPRDF – pour la fondre dans une formation unifiée, le Parti de la prospérité. Le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui a dominé la coalition avant Abiy Ahmed, refuse de rejoindre le nouveau parti. Le TPLF accuse le Premier ministre de l’avoir marginalisé, en écartant ses membres de postes à responsabilité ou en suscitant des enquêtes pour malversations.

En septembre 2020, le TPLF, qui s’est replié dans son fief de la région du Tigré, défie le pouvoir central en organisant des élections régionales malgré le report édicté par Addis-Abeba à l’échelle nationale pour cause de pandémie. Le 4 novembre 2020, Abiy lance une opération militaire d’envergure au Tigré pour renverser le TPLF, qu’il accuse d’avoir attaqué deux bases de l’armée fédérale. Fin novembre, Addis-Abeba proclame la victoire avec la prise de la capitale régionale Mekele.

Où en est le conflit avec le Tigré ?

Sept mois plus tard, le conflit se poursuit, doublé d’une crise humanitaire majeure avec 350 000 personnes menacées par la famine. « La situation devrait empirer dans les mois à venir, non seulement dans le Tigré mais aussi dans l’Afar et l’Amhara », a affirmé au Conseil le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les affaires humanitaires, Mark Lowcock, lors d’une réunion à huis clos du Conseil de sécurité. Une assertion rejetée par l’Éthiopie.

La guerre a été marquée par des massacres de populations civiles et le recours massif au viol. Les soldats érythréens, qui ont combattu le TPLF aux côtés de l’armée éthiopienne, sont notamment pointés du doigt.

Mais jusqu’au dernier jour de campagne, le Premier ministre a martelé sa vision d’une Éthiopie unie coûte que coûte, puissante et rayonnante, loin de la guerre et des violences communautaires qui minent le pays. « Je dis à tous les Éthiopiens qui se battent pour une Éthiopie pacifique, démocratique et prospère : tant que les Éthiopiens se serreront les coudes dans un esprit commun et avec un seul cœur, aucune force sur terre ne pourra nous arrêter », a-t-il déclaré en meeting dans la ville de Jimma, située à une soixantaine de kilomètres de sa ville natale de Beshasha. « Notre problème n’est pas de protéger l’unité de l’Éthiopie, mais plutôt de faire de l’Éthiopie la force de la Corne de l’Afrique », a-t-il affirmé, arborant lunettes de soleil et veste de costume blanche à revers verts (les couleurs de l’Oromia).

Ces élections peuvent-elles être équitables ?

Les élections générales étaient initialement prévues en août 2020. Elles ont été reportées au 5 juin 2021 en raison de la pandémie de coronavirus, puis au 21 juin pour des retards logistiques.

La guerre au Tigré et les nombreuses violences ailleurs font que le scrutin n’aura pas lieu dans près d’un cinquième des 547 circonscriptions que compte ce pays de quelque 110 millions d’habitants. Dans 64 d’entre elles, le vote a été reporté au 6 septembre.

Dans certaines pour des questions sécuritaires, en raison d’insurrections armées et de violences intercommunautaires qui se sont aggravées sous le mandat d’Abiy Ahmed. Dans d’autres en raison de difficultés logistiques dues également à la saison des pluies qui retardent le déploiement du matériel. Quant aux 38 circonscriptions du Tigré, où la guerre fait rage depuis plus de sept mois, aucune date de scrutin n’y a été fixée.

Chargée d’organiser les scrutins, la commission électorale éthiopienne assure que les élections de ce 21 juin seront crédibles, malgré les doutes exprimés par certains observateurs. « Nous sommes très confiants », déclarait il y a quelques jours à l’AFP la porte-parole de la commission, Solyana Shimeles, disant espérer que ces élections seraient « meilleures, participatives et crédibles ».

Certains observateurs s’inquiètent pourtant de la crédibilité de ce double scrutin, et à raison, en région Oromia, la plus peuplée du pays et d’où le Premier ministre est originaire, la majorité des sièges à pourvoir ne sont brigués que par un candidat du parti au pouvoir, selon les données officielles. Force est de constater que les bureaux de vote fermés ont tendance à se trouver dans des zones où les partis d’opposition boycottent le scrutin pour protester contre l’emprisonnement de leurs dirigeants ou pour dénoncer un scrutin qu’ils jugent non équitable. Selon Mme Solyana, seuls 3 des 49 partis enregistrés ne participent pas au scrutin, et plus de 9 500 candidats concourent pour les deux scrutins – un record absolu dans l’histoire de l’Éthiopie.

La commission actuelle a été formée à l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed en 2018, dans un mouvement de démocratisation après des décennies de régime autoritaire. Ainsi, la nomination à sa tête de Birtukan Mideska – ancienne magistrate et leader de l’opposition en exil – fut perçue comme un signe d’ouverture.

L’autre bémol, ce sont les ressources. La commission électorale en a manqué. Faute de pouvoir recruter et former les dizaines de milliers d’assesseurs nécessaires, elle a été contrainte de repousser de nouveau les élections, initialement prévues le 5 juin. Vendredi encore, Mme Birtukan a réclamé dans une lettre au Premier ministre l’aide urgente du gouvernement, affirmant avoir besoin d’avions et de camions pour livrer le matériel à temps. « Nous travaillons 24 heures sur 24, à plein régime », a-t-elle écrit.

Cela sera-t-il suffisant ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, le vote sera suivi par cinq missions d’observation et par des milliers de membres de la société civile. En raison de désaccords avec le gouvernement, l’Union européenne (UE) a décidé de ne pas envoyer d’observateurs. La Commission éthiopienne des droits de l’Homme, un organisme indépendant mais nommé par le gouvernement, a, elle, été empêchée de suivre le scrutin.

Comment la communauté internationale se positionne-t-elle ?

Ces élections seront scrutées de près par les Occidentaux : les États-Unis ont exprimé leur inquiétude quant à l’exclusion d’un si grand nombre d’électeurs du processus et l’Union européenne a renoncé à envoyer une mission d’observation, faute de garantie du gouvernement sur ses conditions de travail.

Elles le seront aussi par les voisins de l’Éthiopie, Égypte et Soudan en tête. Ces deux pays s’opposent au « Grand barrage de la renaissance », titanesque projet hydroélectrique sur le Nil Bleu, source de fierté nationale en Éthiopie où il est considéré comme fondamental pour l’autonomie énergétique et le développement du pays. Abiy Ahmed s’est engagé à remplir le barrage, d’une capacité totale de 74 milliards de m3, à la grande colère du Caire et de Khartoum, qui voient le GERD comme une menace pour leur approvisionnement en eau. « Le Premier ministre n’a pas besoin d’être le chouchou de l’ouest, de l’est, du sud ou du nord », a déclaré la porte-parole d’Abiy, Billene Seyoum, aux journalistes la semaine dernière. « Il suffit qu’il défende le peuple éthiopien et le développement de la nation. Et le 21 juin, le peuple éthiopien décidera. »

Quelle conséquence pour l’avenir politique et économique de l’Éthiopie ?

Pour de nombreux experts, bien qu’il existe des risques de violences électorales, il est peu probable qu’elles soient importantes dans un contexte où la violence politique s’exprime de manière plus diffuse. Contrariant la croissance économique et l’image positive du pays, le conflit du Tigré et les élections ne font qu’une chose : préparer un peu plus le régime d’Addis-Abeba à des lendemains incertains. (lepoint.fr)

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