vendredi, novembre 22, 2024
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La fabrique à milliards du groupe Bolloré

Cession d’Universal Music Group, mainmise sur Lagardère… Vincent Bolloré redimensionne un groupe devenu une machine à cash. Pour passer la main ? Suspense entier.

Ces derniers jours de juin ont été un festival Bolloré. Le 23, c’était la promesse de voir 5,6 milliards d’euros tomber après l’été dans l’escarcelle de la famille : l’assemblée générale de Vivendi, qu’elle contrôle avec 27 % du capital, a en effet autorisé une « distribution exceptionnelle en nature » de 20 milliards d’euros, avec le projet de cotation séparée de la filiale Universal Music Group (UMG). Et le 30 juin a consacré la victoire en rase campagne de Vincent Bolloré chez Lagardère, avec la fin de la commandite qui protégeait Arnaud Lagardère, l’héritier de Jean-Luc, lui abandonnant le rôle d’actionnaire dominant, avec 29 % des titres. « C’est un génie », a salué, tout en sobriété, Nicolas Sarkozy, administrateur de Lagardère qui était pourtant allé le chercher pour jouer le « chevalier blanc ».

Mais l’ancien président de la République n’a pas été seulement séduit par la manière dont Vincent Bolloré, une fois de plus, a su montrer que « les circonstances créent des actions », comme « euphémise » un dirigeant de Vivendi ; il a par-dessus tout été fasciné par sa capacité à « faire de l’argent ». Un autre allié de Lagardère se souvient avoir entendu l’entrepreneur confesser sans aucun complexe : « Il n’y a qu’une seule chose qui m’intéresse, c’est l’argent. » Mais l’argent considéré comme une matière première, qu’il faut savoir repérer, exploiter, développer, échanger et valoriser. Et il n’est pas au bout : la dernière estimation dans notre classement des fortunes (8,2 milliards d’euros) ne prend pas encore en compte l’effet de la future « distribution exceptionnelle ». Qui se souvient que Vincent Bolloré est parti de rien il y a quarante ans, et qu’au tournant du siècle, Challenges s’interrogeait encore sur sa capacité à mobiliser 1 milliard d’euros pour emporter une affaire ?

Mauvaise question, car Bolloré avance différemment : « C’est une chance de pouvoir monter sur la banquette arrière des meilleurs », nous répondait l’homme d’affaires en 2011, après avoir échangé ses chaînes Direct 8 et Direct Star contre 2 % du capital de Vivendi. « Je m’imaginais qu’ils allaient prendre des tomates en annonçant cette transaction au marché, se souvient un parfait connaisseur de la Bourse. Or, ce jour-là, Vivendi a surperformé de 4 points le CAC 40. Preuve que la meilleure motivation pour un investisseur reste d’être associé à quelqu’un qui sait fabriquer des milliards. » Ceux qui l’ont fait ne l’ont pas regretté : depuis, le cours de Vivendi a doublé, tout comme le patrimoine professionnel de Bolloré. Entre-temps, il avait, comme d’habitude, abandonné la banquette arrière et pris le volant.

Un « Vivendi pérenne »

Mais aujourd’hui, c’est à un autre rôle qu’il se prépare. Car il a promis, lui qui n’a jamais eu de chauffeur, d’abandonner l’année prochaine la conduite du groupe : « Le 17 février 2022, à l’occasion de son bicentenaire, je disparaîtrai. » Ses enfants, qu’il a mis en situation de le piloter, n’en croient rien : « Je ne pense pas un instant qu’il se mettra ce jour-là au golf et restera devant sa cheminée », avait pouffé son fils Yannick, aujourd’hui président du conseil de surveillance de Vivendi, lors d’un Matin HEC-Challenges. Et effectivement, de son bureau d’angle qui donne sur l’Arc de Triomphe, au siège de Vivendi, le rôle du père va bien au-delà de son strapontin officiel de censeur du conseil. « Il s’active pour mettre l’ensemble du groupe d’équerre pour la fin de l’année, après avoir pris le contrôle de fait de Lagardère », assure un proche. Et quand, à l’assemblée de Vivendi, le président du directoire Arnaud de Puyfontaine promet d’ »aller de l’avant », en coulisses Bolloré évoque, lui, un « Vivendi pérenne ». Précision d’un de ses anciens conseillers : « un Vivendi qui soit surtout à la dimension de Yannick, et c’est très intelligent ».

Le seul métier qui gardera la taille mondiale dans la communication, c’est donc l’édition. Arnaud de Puyfontaine sera là pour ça, et donner une nouvelle chance aux médias, avec le rachat de l’allemand Prisma. « Un jour, Vincent passera à l’action sur Hachette, anticipe l’un de ceux qui ont tout fait pour le contrer. Dans les prochains mois, à l’occasion d’un avertissement sur résultat, ou après la présidentielle, ou dans trois ou quatre ans. Il est seul à le savoir et joue du temps comme personne. » Et sur Europe 1, qui fait couler tellement d’encre ? « Aucun des autres actionnaires ne s’opposera à ce que Canal prenne le lead sur ce business. Vincent a toutes les cartes, les autres joueurs ont abattu leur jeu, et le meilleur est toujours là, autour de la table… »

La logistique en héritage

Pourtant le jeu n’est pas sans fin. « Vincent est conscient de sa force, mais aussi de ses limites, observe Claude Bébéar, l’ancien patron d’Axa, allié de toujours. Par exemple, il ne comprend pas la manière des Américains de faire du business. Et il préfèrera laisser un groupe gouvernable par ses enfants plutôt que de tenter une aventure mondiale comme nous l’avions fait avec Axa. » C’est une des clés de lecture de l’opération UMG, en plus de l’incroyable valorisation obtenue pour la major de la musique ragaillardie par le streaming. « Songez qu’UMG avait connu dix-sept exercices en récession de suite », constatait Yannick Bolloré, avant que les chiffres ne s’inversent. Alors pourquoi s’en séparer ? « Au moins a-t-il été patient, remarque un banquier d’affaires. Car quand il est arrivé dans Vivendi, il avait poussé en 2013 à la vente d’Activision, autre leader mondial américain, dans l’industrie du jeu vidéo qu’il ne comprenait guère : Activision vaut désormais sept fois plus ! » On ne peut pas gagner à tous les coups…

Vient alors une question : dans cette grande toilette d’actifs en prévision de son soi-disant retrait, que va faire Bolloré de son ticket de 16 % dans UMG ? Toucher de confortables dividendes ? Ou utiliser cette carte à 5,6 milliards pour un nouveau mouvement ? Dans la communication ? Certains évoquent une OPA sur un Vivendi rabougri qui ne lui coûterait même pas 10 milliards d’euros. Ou dans le transport-logistique, l’autre facette du conglomérat ? Et là, nouveauté, toujours liée à l’échéance du 17 février 2022 : ce n’est pas Vincent Bolloré qui sera forcément le maître des horloges. « Cyrille décidera », assure un proche. Le troisième fils de Vincent est « le plus pacifique, le plus raisonné de la famille », comme nous l’avait confié son père avant de le nommer à la tête de Bolloré. Depuis, il a pris le bureau paternel dans la tour Bolloré à Puteaux et dirige les 34 000 collaborateurs du transport et de la logistique, qui font l’essentiel du résultat du groupe, en dehors de Vivendi. Surtout, il en pilote, seul paraît-il, le comité d’investissements. Notamment en Afrique, que son père délaisse depuis sa mise en examen.

« Faut-il abandonner l’Afrique ? » C’était l’interrogation du patron en 2018, dans Le Journal du Dimanche, après ses deux jours de garde à vue. Sur le plan des résultats, certainement pas. Mais la magie ne fonctionne plus. « Vincent n’a plus d’attachement pour ce continent, les investissements sont lourds, et les infrastructures portuaires ne sont pas illimitées », éclaire un compagnon de route. Un des meilleurs connaisseurs de cette zone est certain que des acheteurs chinois ou moyen-orientaux paieraient cher pour ce réseau de concessions portuaires : « Il n’est pas forcé de tout vendre, poursuit ce compagnon. Il pourrait garder la logistique, que Cyrille a bien développée dans le monde, et dans laquelle il excelle parce que c’est une activité B to B et où il n’a pas besoin de faire comme s’il avait le charisme de son père. En Afrique, il est important de se montrer, d’y croire, d’insuffler une dynamique, de prouver que le groupe avance. Or, à cette étape de sa vie, Vincent donne l’impression de privilégier la transmission patrimoniale de son groupe à son intérêt social. » Tiens, venue d’un autre admirateur de l’entrepreneur, c’est la même musique que celle de Claude Bébéar qui résonne. Comme si, à l’approche de ses 70 ans, Bolloré se découvrait soudain davantage des airs de rentier que d’aventurier. A vérifier. (Challenges)

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