dimanche, novembre 24, 2024
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La TUNISIE attend une opération mains propres

Soixante-douze heures après la prise de tous les pouvoirs par le président de la République, l’opinion attend et espère une traque envers la corruption.

Il est le seul à connaître le calendrier. Le seul à savoir dans quelle direction son pays ira. L’unique maître des heures politiques à venir dans un pays dénué de ce garde-fou vital nommé Cour constitutionnelle. Lui et quelques généraux. Depuis le palais de Carthage, Kaïs Saïed, 63 ans, a « gelé » l’Assemblée des représentants du peuple pour « trente jours », empêchant les 217 députés de se rendre au palais du Bardo, démis de leurs fonctions le président du gouvernement, les ministres de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur (qu’occupait depuis sept mois, « par intérim », le chef du gouvernement). Le journal officiel a publié une liste de personnalités dont les fonctions ont pris fin le 25 juillet, jour de la prise du pouvoir par Kaïs Saïed. On y trouve la plupart des conseillers d’Hichem Mechichi, son directeur de cabinet, le secrétaire-général du gouvernement, Moez Mkaddem ainsi que neuf chargés de mission.

Deux jours avant l’activation de l’article 80, il a mis un terme aux fonctions du colonel-major Taoufik Ayouni, procureur général, directeur de la justice militaire. Il est désormais « le premier procureur ». Quels que soient les cercles de pouvoirs, économiques, politiques et/ou familiaux, ça bruisse de rumeurs d’une lutte anticorruption féroce. On parle d’arrestations, certains ne trouvent plus le sommeil. Les douanes ont reçu des consignes pour que certains politiques et affairistes ne puissent pas quitter le territoire. Un scénario qui rappelle celui de mai 2017 : le président du gouvernement d’alors, Youssef Chahed, avait fait arrêter Chafik Jarraya, affairiste patenté, surnommé « Mister Banana » pour ses contrebandes dudit fruit sous Ben Ali. L’homme se vantait sur certains plateaux télé d’avoir acheté une partie des députés et bon nombre de journalistes. Banquier occulte de certains politiques, acoquiné avec fils de Béji Caïd Essebsi, Hafedh, son arrestation suscita un grand espoir parmi la population, la popularité de Youssef Chahed avait alors tutoyé les zéniths. Las, la « purge » prévue s’arrêta net à cette unique arrestation. La « purge » s’est révélée un simple règlement de comptes à l’intérieur du même parti politique. Et Youssef Chahed n’obtint que 6 % à la présidentielle.

Un passe-muraille doté de tous les pouvoirs

Kaïs Saïed a fait campagne en 2019 sur le thème de l’intégrité. Une petite musique sans orchestre symphonique. Il affiche un profil passe-muraille, prend le bus, sirote un capucin au comptoir des cafés populaires (800 millimes, 20 centimes d’euro), tient le même discours depuis ses premières apparitions médiatiques, des propos hostiles au régime parlementaire et aux partis. Les sondages le donnent gagnant. Au second tour, 72,7 % des voix, trois millions sur un corps électoral qui en compte huit.

Selim Kharrat, membre de l’ONG Al Bawsala, véritable vigie l’activité parlementaire, résume l’ADN présidentiel : « Pour lui, tout doit partir du local, on doit élire des conseils locaux qui éliront des conseils régionaux qui éliront les élus nationaux, les députés, ceux-ci étant révocables à tout instant. »

Un choc de systèmes

Source de confrontations évidentes : Saïed a été élu dans un environnement institutionnel drastiquement différent de celui qu’il veut installer. Le Parlement en est son cœur nucléaire, les députés décident du gouvernement (président et ministres) quand la présidence de la République n’a pour prérogatives « que » la Défense et les Affaires étrangères. L’article 80 de la Constitution, son interprétation, a brisé la donnée institutionnelle.

Les scènes de liesse observées dimanche soir traduisent avant tout le dégoût des Tunisiens envers une classe politique qui a failli à améliorer son quotidien. Si les institutions politiques sont devenues démocratiques, la structure oligarchique de l’économie n’a guère vacillé. Bon nombre de Tunisiens espèrent une opération « mains propres » à l’image de ce qui s’est passé en Italie au début des années 1990 sous la houlette du juge Di Pietro. Les deux pays sont très proches culturellement parlant, la RAI a bercé la jeune génération, Ben Ali ayant interdit France 2 à cause d’un reportage du 20 heures mettant en lumière le caractère dictatorial de son régime. Dix ans après la révolution, la situation sociale et économique, aggravée par la pandémie et sa gestion, est au plus bas quand la situation pandémique est au plus haut.

La politique vue comme un placement

Depuis l’irruption de la démocratie, la vie politique tunisienne a été envahie par l’argent. De nombreux hommes d’affaires ont investi dans des partis, devenant députés, ministres, candidats à la présidentielle. « Du remboursement de campagne », nous signifiait un dirigeant de Nidaa Tounes, parti de l’ancien président de la République Béji Caïd Essebsi. Deux partis ont majoritairement accueilli ces nouveaux venus à la politique : Ennahdha, le parti islamiste et la Nidaa Tounes, fondée autour de la candidature de BCE. Ce dernier se présentait en rempart du parti islamiste alors qu’il avait négocié un accord de gouvernement avec eux avant le scrutin.

Suspicion de financements étrangers

Un rapport de la Cour des comptes avait disséqué les comptes des campagnes électorales de 2019, expliquant que la moitié des partis n’avaient pas fourni les documents justifiant leur financement. Rapport remis fin 2020. Par un capricieux hasard du destin, des poursuites ont été annoncées ce 28 juillet contre Ennahdha, Qalb Tounes (« Au cœur de la Tunisie », parti fondé pour Nabil Karoui qui vient de sortir de six mois de détention préventive), les deux premiers partis du Parlement en nombre de députés. Le parquet suspecte des financements étrangers. Des dossiers qui dataient d’avant le 25 juillet reprennent du tonus.

Les Tunisiens attendent une feuille de route

72 heures après le coup de force, le coup d’État constitutionnel de Kaïs Saïed, les Tunisiens attendent une feuille de route. « C’est une situation à 1 000 % tunisienne », explique Selim Kharrat. « Aucune analogie n’est envisageable avec l’Égypte, Kaïs Saïed a été élu démocratiquement, pas Sissi, l’armée tunisienne est légitimiste, notre société civile a une maturité », poursuit-il. Il pointe « un homme qui concentre tous les pouvoirs sans aucun contre-pouvoir », mais se donne un peu de temps pour constater si « une guerre contre les élus corrompus est menée ». Il précise, fait notable, qu’on reprochait à « Kaïs Saïed d’observer depuis deux ans la corruption, la dénonçant sans agir, maintenant, il est passé à l’action ».

Plusieurs interlocuteurs du nouvel homme fort du pays notent mercredi « son absence de doutes. Il est persuadé qu’il a raison », des interlocuteurs d’ordinaire favorables à celui-ci. Kharrat termine : « Saïed a le bénéfice du doute pendant quelques jours, les gens sont en attente de détails, mais s’il ne clarifie pas… » (lepoint.fr)

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