Depuis le 1er septembre, les motos sont de nouveau autorisées dans les communes de la région de Tillabéri, située dans l’ouest du Niger. Cette partie du pays est en proie depuis plusieurs années à des attaques terroristes perpétrées par des groupes terroristes armés. Mais bien que la nouvelle fasse le bonheur d’une grande majorité des populations, des inquiétudes subsistent.
Dans la ville de Tillabéri, chef-lieu de la région éponyme, les cyclomoteurs roulent pour la première fois depuis janvier 2020. L’interdiction visait à lutter contre le terrorisme dans cette partie du pays où sévissent des groupes armés affiliés à l’organisation Etat islamique au Sahel ou à Al-Qaida. Les engins à deux roues étaient en effet le moyen de locomotion par prédilection des assaillants qui entraient dans les villages pour perpétrer des attaques contre les civils.
« Ici, la moto est essentielle pour se déplacer d’un point à un autre »
Djibril, chauffeur de gros-porteurs, cette décision du gouvernement est un soulagement. Le retour des motos dans la région de Tillabéri a été fêté dans la ville. Les gens ont commencé à sortir et réviser leurs engins qu’ils avaient garés pendant longtemps.
L’interdiction des motos a été vraiment dure. Ici à Tillabéri où il y a beaucoup de communautés rurales, la moto est essentielle pour se déplacer d’un point à un autre. Tout le monde n’a pas les moyens d’avoir un véhicule.
En raison de cette interdiction, il fallait attendre le jour du marché, une fois par semaine, pour espérer trouver un véhicule pour aller faire ses courses dans les villages. Vous imaginez la galère de ceux qui doivent faire du commerce au quotidien ?
En ville, les courses en taxi étaient devenues beaucoup trop chères puisqu’il n’y avait plus de taxi-motos, lesquels avaient l’avantage d’être rapides et peu onéreux. Beaucoup de personnes ont dû changer de métier. Les mécaniciens de motos sont devenus par exemple des soudeurs ou des chauffeurs. Et ceux qui ne pouvaient rien faire d’autres se sont retrouvés au chômage.
« Les femmes devaient parcourir trois, cinq kilomètres voire plus à pied pour venir en consultation prénatale »
Saidou Hangadoumbo, médecin de ville et ancien élu local de la ville de Tillabéri, estime lui qu’il était temps de lever l’interdiction. Il ne fallait pas maintenir aussi longtemps cette mesure pour des raisons économiques mais aussi sociales. Beaucoup d’enseignants utilisaient les motos pour aller travailler dans les écoles en milieu rural. Ils ont été impactés.
L’accès aux soins de santé était devenu difficile. Surtout pour les femmes qui devaient parcourir trois, cinq voire plus de kilomètres à pied pour venir en consultation prénatale.
Ceci dit, le retour des motos est assez timide sur les routes parce qu’il n’y a plus de motos. Beaucoup de personnes ont dû vendre leurs engins. Les rues sont donc moins bruyantes qu’avant.
« Comment les militaires discerneront-ils les usagers innocents des “bandits” ? »
Toutefois cette levée de l’interdiction de circulation ne fait pas l’unanimité. Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Daouda Moukaila, membre du comité local de sécurité dans la commune d’Anzourou, pense que la décision compliquera davantage la tâche de l’armée nigérienne.Dans nos revendications nous avons souhaité que ce soit juste les centres urbains de la région qui soient concernés par cette autorisation de l’utilisation des motos et non les hameaux et les villages.
Nous redoutons les conséquences que cela peut avoir sur les populations. Parce que les groupes armés opèrent à moto dans les villages. Comment les militaires discerneront-ils les usagers innocents des « bandits »?
Avant on pouvait alerter facilement l’armée dès qu’une moto circulait dans une zone. Nous craignons que l’armée dans sa lutte contre les djihadistes fasse des bavures en ne distinguant pas bien le citoyen lambda des assaillants qui profiteront de cette nouvelle autorisation pour se fondre dans la masse.
Nous nous avons sensibilisé les populations pour qu’ils ne prennent pas pour le moment leurs motos.
En mai, plus de 10 000 personnes avaient fui en 48 heures Anzourou, situé dans la zone dite des trois frontières, après des attaques répétées de djihadistes. « Les terroristes étaient entrés dans les villages à moto. Avant de tuer les habitants, ils ont volé le bétail et brûlé une cinquantaine de greniers » avait raconté à la rédaction des Observateurs de France 24, un habitant du village.
Selon l’ONG Human Rights Watch, plus de 420 civils ont été tués depuis le début de l’année dans l’ouest du pays. Ce bilan ne tient pas compte des 37 civils tués le 16 août dans une dernière attaque terroriste du village de Darey-Daye. (france24.com)