Il est la dernière figure emblématique encore en vie de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, depuis la mort de Nelson Mandela, le 5 décembre 2013. Desmond Tutu fête ses 90 ans le 7 octobre.
Ce vieux monsieur, retraité depuis 2010, dont la dernière apparition publique date du mois de mai dernier, a été le premier archevêque anglican noir du pays. Une mission ecclésiastique qui lui a permis d’être une voix essentielle dans le combat contre l’apartheid.
Desmond Tutu est né dans une famille modeste d’un bidonville de Johannesburg. Son père était instituteur et sa mère femme de ménage. Les revenus du ménage étaient modestes, et le jeune Desmond n’a pu entreprendre les études de médecine dont il rêvait. Il a une quinzaine d’années, et passe de maisons de blancs en maisons de blancs, ramasser pour le compte de sa mère le linge à laver.
Atteint de tuberculose adolescent, il est hospitalisé plus d’une année. Là il fait la connaissance d’un prêtre britannique, Trevor Huddleston. Le prêtre est proche de Nelson Mandela, et souvent en conflit avec les autorités qui multiplient les actions et décisions ségrégationnistes. Au fil du temps, Huddleston devient la bête noire du pouvoir sud-africain et doit regagner le Royaume-Uni, contraint forcé, en 1955. Il aura été le mentor du jeune Desmond Tutu.
L’entrée en résistance
Exit la médecine, ce sera donc l’enseignement comme son père, et Desmond Tutu intègre l’université de Fort Hare en 1950. Une université publique fondée en 1916 afin de permettre à l’époque aux Africains noirs des colonies britanniques de poursuivre des études supérieures.
Après avoir épousé Leah Shenxane en 1955, il entre au séminaire et est ordonné prêtre anglican en 1961. Après quelques années de sacerdoce, il est envoyé à Londres par sa hiérarchie pour des études de troisième cycle.
Il revient en Afrique du Sud en 1967, et fait le choix de vivre dans le quartier de Soweto. Lors des manifestations étudiantes de 1968 menées par le Black Consciousness Movement conduit par Steve Biko, Desmond Tutu « a plongé son orteil dans les eaux de la protestation », écrit Andrew McGowan. Les sermons deviennent plus durs à l’égard du pouvoir blanc, et de plus en plus enflammés. « Rien ne nous empêchera de devenir libres, ni les balles de la police, ni les chiens, ni les gaz lacrymogènes, ni la mort. Rien ne nous arrêtera parce que Dieu est avec nous », lance-t-il aux fidèles.
Porte-parole des anti-apartheid
Parallèlement il grimpe dans la hiérarchie ecclésiastique, et devient le premier noir à occuper le poste de doyen du diocèse de Johannesburg.
Les églises noires, et aussi quelques églises blanches se sont engagées dans la lutte contre la ségrégation. Desmond Tutu prend la tête du Conseil des Eglises sud-africaines.
En 1976, les townships se soulèvent contre la nouvelle loi qui limite l’enseignement du bantou, et contre l’usage de l’afrikaans, jugée langue de l’oppresseur. Les manifestations sont sévèrement réprimées et la police tire à balles réelles. On parle de centaines de morts. Le mouvement va se poursuivre, puis devenir sporadique jusqu’à la mort en prison en septembre 1977 de Steve Biko. Desmond Tutu accompagne la lutte et assure le prêche lors des obsèques de Biko.
Son activisme est au sommet. Il est de toutes les manifestations et de tous les boycotts. Chaque voyage à l’étranger est l’occasion de porter des coups contre l’image du pouvoir blanc dans son pays. Une lutte non violente qui lentement marque des points. Il prend à témoin les nations étrangères, leur demandant de choisir leur camp. « Si vous êtes neutre dans les situations d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur. Si un éléphant a son pied sur la queue d’une souris et que vous dites que vous êtes neutre, la souris n’appréciera pas votre neutralité. »
Le prix Nobel
« Il dénonce aussi bien l’apartheid que l’esprit de vengeance dans la population noire », écrit Slate.
En 1984,Tutu reçoit le prix Nobel de la paix. Deux ans plus tard, ultimes coup de canif au pouvoir de l’apartheid, il est élu archevêque du Cap, et évidemment premier noir à occuper ce poste, le plus élevé de l’église anglicane.
En 1993, à la libération de Nelson Mandela, le travail de l’archevêque va évoluer. Il va prêcher sans relâche la réconciliation, ce que beaucoup lui reprocheront.
En 1994, Monseigneur Tutu préside la Commission pour la vérité et la réconciliation. « Son obsession du pardon est dénoncée par une nouvelle génération de Sud-Africains, pour lesquels la population noire a fait beaucoup trop de concessions dans la transition vers la démocratie en 1994, ne demandant pas assez de comptes aux tortionnaires de l’apartheid », écrit l’AFP.
C’est lui qui invente la notion de « Nation Arc en ciel ». Une métaphore d’un pays qui s’appuie sur l’union de toutes les races, et non par leur fusion. Beaucoup d’observateurs considèrent que ce rêve s’est brisé. La corruption des élites, les inégalités sociales, un chômage endémique, des actes xénophobes à l’égard des Nigérians ou des Zimbabwéens, l’Afrique du Sud traverse une crise sans précédent, qui laisse l’utopie des pères fondateurs bien loin. (FranceInfo)