Une exposition intitulée « Souvenirs d’avant l’oubli » lui est consacrée jusqu’à fin octobre, dans un palais de la médina de Tunis, classée par l’Unesco comme l’une des plus belles du monde arabe.
« C’est l’oeil qui fait la photo, pas l’appareil » : à 90 ans, Jacques Pérez, considéré comme le père de la photographie en Tunisie, continue de « regarder » son pays avec la curiosité de ses débuts il y a plus de 50 ans.
Une exposition intitulée « Souvenirs d’avant l’oubli » lui est consacrée jusqu’à fin octobre, dans un palais de la médina de Tunis, classée par l’Unesco comme l’une des plus belles du monde arabe.
« Il n’y a pas eu une vocation, c’est venu tout seul »
« J’ai appris nulle part à faire des photos, pas besoin, c’est l’oeil avant tout qui est là. J’aime regarder à 360 degrés et montrer ce que j’ai vu. Il n’y a pas eu une vocation, c’est venu tout seul », a raconté à l’AFP celui que Frédéric Mitterrand, personnalité culturelle française, surnomme « Le Doisneau tunisien ».
Né dans la médina où il vit encore, Jacques Pérez a débuté la photo dès ses 11/12 ans: « j’ai eu la chance d’avoir une mère allemande et une grand-mère italienne qui m’ont donné des revues illustrées », lui éduquant l’oeil, raconte-t-il. Après 15 ans à pratiquer en amateur à côté de son métier d’enseignant, un grand éditeur tunisien lui commande un livre de photos sur Sidi Bou Saïd, la cité bleue et blanche au nord de Tunis, qui lancera sa carrière.
Pour l’exposition, il a choisi « des photos emblématiques » de son travail, « toujours cadrées, géométriques et toujours habitées » par des gens. « Les gens me parlent, leur visage m’intrigue, je voudrais savoir ce qu’il y a derrière. »
« Nostalgique de rien »
Ces gens sont devenus la caractéristique principale de l’oeuvre du photographe connu à l’international, des États-Unis à la France en passant par l’Italie.
Jacques « est un photographe humaniste. C’est toute une génération. Nos exemples ce sont évidemment Doisneau, Cartier-Bresson, Elliot Erwitt… », souligne à l’AFP Hamideddine Bouali, le commissaire de l’exposition.
Autre singularité de M. Pérez : ne jamais avoir voulu photographier autre chose que son pays. « Je ne me sens concerné que par la Tunisie », affirme-t-il. « Nous Tous », l’association organisatrice de l’exposition, l’a choisi pour cette raison. Tout en voulant préserver le patrimoine national, elle souhaite en effet « déconstruire le récit national » selon lequel la Tunisie serait uniquement arabo-musulmane, explique sa présidente Rabaa Ben Achour.
L’oeuvre de Jacques Pérez montre que « le pays est dans une pluralité extraordinaire », souligne-t-elle. « On y voit la rencontre de juifs, de musulmans, de travailleurs, de gens qui flânent, des traditions de la pêche, du mariage… »
Une Tunisie éternelle et « intemporelle ». D’ailleurs, il n’y a pas de dates sur les photos, qui pourraient être prises aujourd’hui. Sauf peut-être celles des clowns des fêtes foraines du ramadan. « La Tunisie qui disparaît, c’est le sens de l’histoire, on ne peut pas la retenir », sourit Jacques Pérez qui se dit « nostalgique de rien ».
Fascination d’un enfant
Les 70 photos exposées reflètent son travail : Sidi Bou Saïd, la mer et les pêcheurs, la vie quotidienne des Tunisiens, les vieux métiers de l’artisanat, et les femmes, avec deux photos très frappantes : « La Dame de Chebika » et « La Dame au lion ».
Son secret pour des portraits aussi spontanés alors qu’il ne fait « jamais de photos volées, ni au téléobjectif »? Pour la Dame de Chebika aux rides creusées par l’âge, « son visage m’intéressait mais je ne savais pas si je pouvais l’aborder, je me suis rapproché, elle n’a pas réagi, je me suis rapproché encore et elle m’a fait pratiquement un signe d’assentiment, j’ai fait la photo ».
Rien chez lui n’est calculé, « c’est intuitif tout ça », confie-t-il en soulignant que « les photographes ont cette faculté de prédire le mouvement d’après ».
Il a gardé la fascination d’un enfant, encore surpris d’avoir su saisir l’instant où une goutte est tombée de la jarre d’un porteur d’eau. Tout est question de « patience », de savoir « attendre le bon moment sans le provoquer », comme ce cliché d’une rue de la médina sous un soleil éclatant. C’était simplement « à 13H00 en plein mois d’août », s’amuse-t-il. Il reste humble: « je ne me prends pas au sérieux, une photo ça me fait plaisir de la faire, je n’en fais ni un drame ni un mystère ». « Je ne suis ni le père, ni le cousin, ni le grand-père de la photo tunisienne, je suis juste photographe en Tunisie ». (FranceInfo)