Pour les militaires français, l’accueil dépend beaucoup des villages traversés alors qu’une manifestation est organisée à Ouagadougou samedi pour dénoncer l’inefficacité de la lutte anti-jihadiste.
Dans les allées du marché couvert de Ménaka au Mali, au milieu des maillots de foot, des tongs, des sandales et des radios qui braillent, les yeux se lèvent à peine sur les soldats français de l’opération Barkhane. Comme si leurs silhouettes armées, casquées, pare-ballées étaient invisibles. C’est plutôt dans l’indifférence des populations locales que les patrouilles de Barkhane se mènent.
Dans les rues de la ville, espacés les uns des autres par quelques mètres et avançant en deux colonnes, les militaires éloignent les voitures, les motos, scrutent constamment les façades, les carrefours. « Même si la mission est répétitive et peut paraître anodine, elle ne l’est pas », affirme l’un d’eux. « On fait toujours bien attention, surtout durant les déplacements en véhicules. La menace principale reste les IED. » Ces mines artisanales sont en effet le danger le plus fréquent au Sahel.
« Voir s’il y a des choses qui sont anormales »
L’objectif de la patrouille à pied est, selon ce militaire, de « prendre des éléments d’ambiance, voir s’il y a des choses qui sont anormales, discuter avec les gens, voir s’ils ont eu des problèmes récemment ou s’ils ont des choses à nous dire. » L’accueil dépend beaucoup des villages traversés. Dans celui de Gorum près de Gao, le contact avec la population est très froid malgré les presque 40 degrés à 9 heures du matin. Les soldats quadrillent les rues et descendent jusqu’aux rives du fleuve Niger. Là ils ne trouvent plus d’indifférence mais une sorte de mépris.
La population des pays de la région reproche en fait aux soldats français de Barkhane leur inefficacité face aux attaques jihadistes. À Ouagadougou, capitale du Burkina Faso voisin, une manifestation aura lieu samedi 27 novembre, malgré l’interdiction de la mairie, pour protester contre l’incapacité du pouvoir en place comme des soldats français à maintenir la sécurité dans le pays et sa région.
Un archivage très précis des missions de chaque patrouille
Dans le village voisin de Saidu, le chef échange quelques instants avec le lieutenant qui mène le détachement en patrouille. Souvent, à la question, « Parlez-vous français ? », les têtes se secouent pour dire non. Pourtant, même s’il ne se passe rien, si aucun mot n’est prononcé, tout est noté, répertorié et archivé.
Il faut une mémoire des patrouilles, insiste le lieutenant-colonel Kevin dans son bureau de Gao, lui qui en quatre mois, a ordonné 260 de ces missions. « Ce n’est pas à la première patrouille qu’on va détecter si quelque chose d’anormal se passe », explique-t-il. « C’est au bout de la dixième, la quinzième, la vingtième. Quand c’est la trentième fois qu’on va dans ce village et qu’on voit toujours cette échoppe-là qui est ouverte, quand on sait où habite le chef de village, et qu’on va se dire : ‘Il y a quelque chose qui se passe, qui n’est pas normal, pas comme d’habitude’ ou alors : ‘La situation est normale, les gens sont là et mènent leurs activités habituelles’. On a besoin d’une récurrence importante pour bien comprendre cette situation. »
Retour sur les rives du Niger, à Thirisoro. Des enfants jouent au foot, on entend des rires, le village parait plus vivant. Le lieutenant se dirige vers un groupe d’anciens. « Qui assure la sécurité ici ? « , demande-t-il. « La faim nous protège, on n’a rien à manger, rien à prendre », répond un villageois.
Les récoltes ont été mauvaises cette année. La sécheresse d’abord, puis les orages ont tué le peu qui avait germé. Mais malgré la misère, il y a eu un échange avec les habitants. Pour les soldats de Barkhane, engager la discussion est difficile car les villageois n’ont pas la parole spontanée. Il y a donc des écueils à éviter. « Quand on rentre dans un village, on enlève les lunettes de soleil et le casque », décrit Kevin, le lieutenant-colonel de Gao. « C’est quand même mieux quand on regarde quelqu’un dans les yeux. Tout va dépendre aussi de la manière dont on va porter l’armement, s’il est dans le dos ou s’il est devant. »
« Moi je demande souvent à mes soldats : ‘Vous enlevez le casque, vous enlevez les lunettes de soleil et vous emmenez un ballon de foot.’ C’est un ordre bizarre mais ça marche. » (FranceInfo)