« Les villes d’Afrique face à leur avenir » (1). A une trentaine de kilomètres de Dakar, Diamniadio doit permettre de désengorger la capitale en accueillant entreprises et institutions.
Derrière des arbustes chétifs, les villas blanches et orange se ressemblent toutes. Sagement alignées au bord de la route, les maisons de SD-City, l’une des premières résidences de la ville nouvelle de Diamniadio, au Sénégal, tranchent avec le désordre habituel des cités subsahariennes.
Dans cet espace, où la minéralité domine, la présence humaine se résume encore à de rares habitants et aux travailleurs des chantiers toujours en cours. Seydina Touré, un commerçant installé là depuis 2018, est fier d’avoir été le premier résident. Arrivé avant même que les raccordements à l’eau et l’électricité ne soient en place.
Mais, maintenant, l’épicier-pâtissier se languit de recevoir un peu plus de voisins. Pour l’instant, il côtoie surtout les cadres et ingénieurs des sociétés de construction turques, chinoises ou indiennes venues œuvrer à ce vaste projet lancé par l’Etat sénégalais en 2014 : créer de toutes pièces une ville, à une trentaine de kilomètres de Dakar, sur 1 644 hectares. Une zone urbaine moderne, ordonnée et durable, sorte de ville modèle, financée en bonne partie par des partenariats public-privé.
Tant que le train express régional ne circule pas entre Dakar et Diamniadio, c’est comme si la vie n’était pas vraiment entrée dans le grand corps urbain. L’activité y prend de façon éparse. Ici un centre de recherche, là une entreprise… Mais une fois passée cette étape cruciale – prévue pour décembre 2021 –, les livraisons de programmes d’habitations devraient s’accélérer et donner une âme au lieu.
Le stade olympique et l’université Amadou-Mahtar-Mbow suivront. Comme l’imposant bâtiment circulaire des Nations unies qui doit réunir les trente-quatre agences – soit plus de 1 000 employés – aujourd’hui encore éparpillées dans Dakar. L’idée étant que ces structures, qui viendront jouxter la zone économique spéciale ou le centre de conférences, créent un pôle économique dynamique, tout près de l’aéroport international.
Fibre optique mutualisée
La Délégation générale de la promotion des pôles urbains (DGPU) chargée de la mise en œuvre de cette ville nouvelle a aussi validé une série de dix nouveaux projets prêts à s’enclencher. Car « la construction de la ville de Diamniadio s’inscrit dans l’ambition nationale de booster la croissance par l’investissement », rappelle Diène Farba Sarr, le délégué général. La mission de ce dernier passe donc par un suivi rigoureux des travaux, car cette ville, qui se veut innovante, durable et verte, « ne doit surtout pas répéter les erreurs d’aménagement et d’urbanisation du passé », assure-t-il.
Sur le papier, Diamniadio tient du rêve futuriste. Alors que l’accès à Internet reste un luxe sur le continent, « là, une fibre optique mutualisée permettra de proposer un Wi-Fi public en plus de desservir les administrations et grandes entreprises », se projette Dieynaba Diop Gueye, la chef de la cellule smart city à la DGPU. Cette dernière ajoute que l’épisode 2 du développement du lieu passera par « une vidéosurveillance et une gestion numérique des déchets et de l’éclairage public ».
Un projet est à l’étude avec l’aide du cabinet de conseil français Tactis, spécialisé dans l’aménagement numérique des territoires. Pour Stéphane Lelux, son président, « Diamniadio est la première ville d’Afrique à faire l’objet d’une véritable planification numérique globale au moment de sa construction ». Ce qui ne signifie pas que le projet aboutira… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle « il va falloir éviter que les opérateurs de télécommunication occupent l’espace de façon sauvage », poursuit-il, faute de quoi le beau rêve de smart city sera compliqué à réaliser.
D’ailleurs, l’architecte Mamy Tall, qui pose un œil intéressé sur ce gigantesque chantier, estime que ce qui est en train de sortir de terre dans cette plaine rouge est encore bien loin de ressembler à une véritable ville, moins encore à une smart city. « Cela manque de cohésion, de planification intelligente », regrette-t-elle, d’autant que « ce n’est pas une urbanisation qui prend en compte les besoins des hommes ».
Pour l’heure, difficile d’imaginer la phase finale. Quelques grandes avenues de bitume, sans passage pour les piétons, ni trottoirs ni feux de circulation, font la jonction entre des infrastructures indépendantes les unes des autres. La nouvelle ville est coupée par une autoroute à péage, traversée par un seul pont.
« D’autres échangeurs seront installés pour créer de nouvelles sorties, justifie M. Farba Sarr. Au moment de construire l’autoroute, nous ne savions pas qu’il y aurait des stades ou de grosses infrastructures drainant des foules. » Le risque est réel de voir reproduits les défauts de Dakar, par exemple : coincée sur une presqu’île étriquée, la capitale abrite tant bien que mal 17 % des 17 millions de Sénégalais sur seulement 0,3 % du territoire.
« Nous acceptons sur nos terres cultivables les projets d’utilité publique comme les ministères ou l’Institut Pasteur, mais sûrement pas un hôtel cinq étoiles. » Mamadou Mbengue, président du collectif pour la défense des terres de Déni Malick Guèye
Si le résultat n’est pas garanti, un effort a bien été fait pour que Diamniadio soit un pôle écologique. Les bâtiments y sont blancs, bien isolés, et les panneaux photovoltaïques se multiplient pour alimenter des constructions pour la plupart érigées dans le cadre d’un partenariat public-privé et disponibles en location-vente.
« Nous avons eu un accès facilité au foncier, puis nous avons construit les bâtiments dont nous avons encore la gérance pour cinq ans avant que l’Etat nous ait payés et devienne propriétaire », précise El Hadji Hamidou Badji, directeur stratégie et développement chez Teyliom, un opérateur chargé de construire l’une des sphères ministérielles qui accueillent depuis deux ans quatorze ministères délocalisés.
Reste que cet usage du foncier rural ne plaît pas à tout le monde et que les habitants des communes voisines ne partagent pas tous ce rêve d’une smart city à leur porte. Des champs de gombo s’étendent à deux pas d’une villa témoin à l’abandon ; ils font partie d’un village de 3 000 personnes nommé Déni Malick Guèye. « Nous acceptons sur nos terres cultivables les projets d’utilité publique comme les ministères ou l’Institut Pasteur, mais sûrement pas un hôtel cinq étoiles », lance Mamadou Mbengue, président du collectif pour la défense des terres de Déni Malick Guèye.
Il demande une extension de la réserve foncière pour que les habitants puissent continuer à vivre de l’agriculture. Même si certains travaillent maintenant dans les chantiers ou dans les nouvelles infrastructures, « ce ne sont que les emplois non valorisés alors que certains d’entre nous ont fait des études », désole Gora Sylla, jeune militant du village. Et puis, « seules des pistes accidentées nous permettent de rentrer dans le village », constate Mamadou Mbengue, qui a de plus en plus l’impression que même les miettes du développement urbain voisin lui échapperont. (lemonde.fr)