Les élections locales du 23 janvier 2022 constituent une première pour les Sénégalais qui vont désormais élire leurs maires au suffrage universel direct.
Le mandat des conseillers départementaux et municipaux seront renouvelés le 23 janvier 2022. Plus de 6,8 millions de Sénégalais sont appelés à départager 3 200 listes dans plus de 500 communes et 46 départements. Ces élections locales, plusieurs fois reportées, s’inscrivent dans un paysage politique en pleine effervescence. Entretien avec Mamadou Seck, expert électoral et fondateur de l’entreprise de conseil Synapsus Consulting.
Le mandat des conseillers départementaux et municipaux seront renouvelés le 23 janvier 2022. Plus de 6,8 millions de Sénégalais sont appelés à départager 3 200 listes dans plus de 500 communes et 46 départements. Ces élections locales, plusieurs fois reportées, s’inscrivent dans un paysage politique en pleine effervescence. Entretien avec Mamadou Seck, expert électoral et fondateur de l’entreprise de conseil Synapsus Consulting.
franceinfo Afrique : pourquoi ces élections qui devaient se tenir en 2019 ont-elles été reportées ?
Mamadou Seck : le Sénégal n’a jamais tenu d’élections locales à date échue. Ce pays, où l’on vote depuis 1848, devrait pourtant être capable de respecter ses échéances. Tous les régimes les ont reportées. Je ne saurais dire si ces scrutins l’ont été à chaque fois pour des questions stratégiques ou juste parce que les pouvoirs successifs n’ont pas de considération pour ces élections locales par rapport aux élections générales (législatives et présidentielle). En ce qui concerne ce scrutin du 23 janvier, les reports ont été justifiés notamment par la pandémie. Mais aucune raison objectivement acceptable n’a été avancée puisque le Sénégal a toujours eu les moyens d’organiser ses élections. C’est vraiment l’Etat qui a traîné des pieds pour des questions, semble-t-il, de tactique politicienne. Le pouvoir souhaitant organiser ce scrutin au moment où il lui serait le plus favorable.
Quels sont les enjeux de ce scrutin ?
Ils sont à la fois structurels et conjoncturels. D’abord, jusque-là au Sénégal, on élisait un conseil municipal qui désignait ensuite un maire. Les électeurs ne savaient finalement pas pour qui ils votaient. Désormais, le maire sera élu au suffrage universel direct. C’est le premier enjeu structurel et c’est un changement essentiel. Le deuxième est lié au fait que l’on ne peut plus excuser, par exemple, le Sénégal sur certains errements liés à l’organisation d’élections parce que nous votons depuis très longtemps. Chaque scrutin étant un exercice d’approfondissement de notre démocratie. Le troisième enjeu renvoie à la parité, à la participation des femmes au processus politique. Le fait de tester pour la deuxième fois la loi de la parité intégrale (alternance homme/femme sur les listes électorales) s’avère important pour savoir si les Sénégalais sont prêts à être gouvernés par des femmes, notamment dans le monde rural plus réactionnaire. Ce qui n’est pas gagné. Sur les 557 conseils municipaux que compte le pays, 14 sont aujourd’hui dirigés par des femmes. Quant aux quelque 3 000 listes électorales déposées pour ces élections, seulement 104 sont menées par des femmes.
Ces élections constituent également un test pour mesurer la solidité de nos alliances politiques. De fortes coalitions ont émergé face à celle au pouvoir, Benno Bokk Yakaar, mais on a l’impression qu’elles sont contre-nature. Elles ont été constituées contre le président Macky Sall. Elles ne s’appuient pas sur des idéaux auxquels les participants auraient adhéré en amont. Par conséquent, elles risquent de voler en éclats d’ici les législatives et, surtout, dans la perspective de la présidentielle parce qu’elles sont formées, entre autres, par des personnalités qui ont déjà affiché la couleur. Exemple : la coalition Yewwi Askan Wi (Yaw) menée par Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar, et l’opposant Ousmane Sonko (devenu incontournable sur la scène politique, NDLR). Tous deux ne cachent plus leurs ambitions présidentielles.
Autre élément à souligner : ce scrutin s’apparente aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis (midterm elections) où on essaie d’intercaler des scrutins pour équilibrer les forces politiques pendant la durée d’un mandat présidentiel. Le fait d’organiser ces élections représente une opportunité pour l’opposition qui peut ainsi accéder à des mandats électifs. L’enjeu pour le pouvoir, lui, étant d’éviter une déconvenue et de voir l’opposition lui ravir la majorité à l’Assemblée. A ce titre, ce scrutin est également un test avant les législatives qui se tiendront dans cinq mois parce que les découpages électoraux pour ces deux élections sont, sous certains aspects, parfois très similaires. Une victoire du camp présidentiel aux élections locales pourrait ainsi le renseigner sur sa légitimité et sa popularité.
Enfin, jamais dans l’histoire politique du Sénégal, on a eu autant de listes déposées pour un scrutin : plus de 3 000 contre quelque 2 700 pour les précédentes en 2014 et autour de 1 900 en 2009. Nous n’avons jamais connu une compétition politique aussi dense. Cela veut dire que tous les acteurs politiques sont en train de se positionner, notamment pour la présidentielle.
Dans quelle mesure ces élections sont-elles aussi décisives pour Ousmane Sonko, candidat à la mairie de Ziguinchor, la plus grande ville de la Casamance ?
Ousmane Sonko est un jeune responsable politique qui tient la dragée haute à Macky Sall. Les jeunes peuvent s’identifier à celui qui a aussi misé sur eux et les réseaux sociaux avec les aléas que cela comporte. La population sénégalaise est majoritairement jeune. Elle ne peut donc être occultée dans l’espace politique. En ce qui concerne ses démêlés judiciaires, Ousmane Sonko a su résister. Il a compris que la riposte était essentiellement politique et il a été porté par une désapprobation quasi générale de l’opinion publique qui a vu comment Karim Wade (le fils de l’ancien président sénégalais) a été emprisonné ou encore Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar, a été incarcéré. En d’autres termes, les Sénégalais ont été témoins de la façon dont Macky Sall a écarté de potentiels adversaires. Aujourd’hui, on a l’impression que ces accusations contribuent à redorer le blason d’Ousmane Sonko. Cette histoire-là lui aura permis de tester son aura politique et de se positionner comme opposant principal à Macky Sall. La possibilité qu’il puisse devenir maire de Ziguinchor, grâce à la grande coalition à laquelle il appartient, en dit long sur sa popularité. S’il est élu, ce qui serait un pied de nez à l’appareil judiciaire, nous aurons une figure politique de premier plan député-maire et cela va le renforcer dans son positionnement politique.
Dakar reste l’objet de toutes les convoitises…
C’est la capitale et elle est très convoitée. Barthélémy Dias, proche de Khalifa Sall, est le candidat de la coalition Yewwi Askan Wi. Face à lui, il y a Doudou Wade, l’ancien président du groupe parlementaire du PDS (Parti démocratique sénégalais) ou encore Pape Diop, l’ancien président de l’Assemblée nationale issu du PDS qui a fait dissidence. Le ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr pour la coalition au pouvoir et le chef de cabinet du président de la République Mame Mbaye Niang sont également candidats. C’est dire la complexité d’une situation où le chef de l’Etat laisse la compétition se dérouler entre son ministre de la Santé et son chef de cabinet. Macky Sall semble ainsi multiplier ses chances de rester indirectement dans le jeu politique et de protéger ses arrières après son départ de la présidence. Au Sénégal, on n’a jamais eu autant de controverses autour d’élections locales et c’est justement dû à tous ces enjeux. (franceinfo)