Des militaires en uniforme ont annoncé à la télévision nationale avoir pris le pouvoir au Burkina Faso, lundi 24 janvier au soir. Cette annonce intervient au terme d’une journée confuse, marquée par les incertitudes autour du sort du président Roch Marc Christian Kaboré. La rumeur d’un potentiel coup d’État planait déjà dans le pays après des mutineries dans plusieurs villes dimanche, pour réclamer le départ des chefs de l’armée et des moyens adaptés à la lutte contre les jihadistes.
Des militaires ont annoncé, lundi 24 janvier au soir, leur prise de pouvoir au Burkina Faso, la fermeture des frontières dès minuit, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale, ainsi que la suspension de la Constitution.
Les putschistes, réunis au sein d’un nouveau groupe de transition appelé « Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration », présidé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, se sont également engagés au « retour à un ordre constitutionnel » dans « un délai raisonnable ».
Ce coup d’État, dénoncé par le Secrétaire général de l’ONU, a été annoncé à la télévision nationale après deux journées de tensions au Burkina Faso.
« On est d’abord restés silencieux, on ne savait pas vraiment ce qu’il se passait »
Les troubles ont débuté dans la nuit de samedi à dimanche, lorsque des mutineries ont éclaté dans plusieurs casernes du pays. Les premiers tirs ont été entendus vers 4h du matin à Ouagadougou, dans le quartier de Goughin, non loin du camp militaire de Sangoulé-Lamizana.
Notre Observateur Freddy Lino, qui travaille dans le secteur de la communication, se trouvait sur place à ce moment-là, et a publié plusieurs images sur les réseaux sociaux :
Je venais de rentrer, car je n’habite pas loin de l’entrée principale du camp, lorsque j’ai entendu des tirs de sommation. Ils ont continué jusqu’à 10h du matin. Puis cela s’est arrêté. Ensuite, les tirs ont repris dans la soirée, vers 23h. On est d’abord restés silencieux, on ne savait pas vraiment ce qu’il se passait.
Des tirs nourris ont également été signalés à deux autres endroits de la ville : près du camp Général-Baba-Sy et au niveau de la base aérienne. Dimanche, le gouvernement a confirmé ces tirs, tout en démentant une « prise de pouvoir par l’armée ». Un couvre-feu a toutefois été mis en place de 20h à 5h30.
Interrogations quant au sort du président Roch Marc Christian Kaboré
Dimanche soir, des tirs ont également été entendus près du palais présidentiel. Lundi 24 janvier, des images publiées en ligne ont montré des véhicules de la garde présidentielle avec des impacts de balles. L’intérieur de l’un d’eux est maculé de sang.
Tout au long de la journée de ce lundi, des informations contradictoires ont circulé quant au sort du président Roch Marc Christian Kaboré. Des sources sécuritaires ont d’abord indiqué à France 24 et à l’AFP que le président était détenu dans un camp militaire. Mais des informations de source gouvernementale ont ensuite assuré qu’il avait été « exfiltré » par sa garde afin d’échapper à une arrestation.
En début d’après-midi, un message appelant à déposer les armes pour « sauvegarder [les] acquis démocratiques » du Burkina Faso a été publié sur le compte Twitter du président – sans qu’il ne soit possible de savoir qui l’avait écrit.
« On avait l’impression de ne pas savoir où le pays allait »
La déclaration des militaires à la télévision nationale était attendue ce lundi 24 janvier. Dans la matinée, des soldats encagoulés avaient pris position devant le siège de la télévision nationale du Burkina Faso. Des manifestants s’étaient également déplacés vers la place de la Nation pour soutenir les mutins.
Clément Bassolé, habitant de Ouagadougou, raconte son ressenti à notre rédaction, après deux journées d’incertitude : Dimanche, nous avons été réveillés vers 4h par des tirs intenses. La connexion Internet était restreinte, alors il fallait appeler des amis pour comprendre ce qu’il se passait. Des amis m’ont d’abord parlé d’un mouvement d’humeur, mais dans la journée, les tirs se sont intensifiés, alors j’ai commencé à barricader ma maison.
Je pense que la majorité des personnes au Burkina Faso voulaient que les choses s’arrêtent, parce qu’on avait l’impression de ne pas savoir où le pays allait. D’ailleurs, aujourd’hui, les gens ont vaqué à leurs occupations, ce qui veut bien dire que les gens s’attendaient à ce dénouement.
Ce lundi après-midi, le parti au pouvoir a diffusé un communiqué pour appeler les gens à manifester, mais il n’a pas été suivi d’effet. [Le communiqué dénonce notamment une « tentative avortée d’assassinat du président », NDLR.]
Ensuite, quand il y a eu l’annonce du renversement du président par l’armée, j’étais dans un bar, et les gens ont réagi en criant de joie, car beaucoup étaient déçus depuis 2015. Ce coup d’État n’est pas une surprise. Mais je suis prudent face à ces militaires et leurs réelles ambitions.
Pour Freddy Lino, ce coup d’État n’est pas une surprise non plus : Ce n’est pas une surprise, surtout qu’il y avait du mécontentement, du fait notamment de la coupure d’Internet [le gouvernement a notamment coupé l’Internet mobile durant plusieurs jours fin novembre, NDLR], donc on se disait que ça allait arriver un jour au l’autre… Mais on se demandait de qui ça allait venir, et quand.
Après une annonce comme cela, on se demande toujours ce qui va se passer, on reste sur le qui-vive pour la suite, sachant que la situation est déjà très compliquée dans le pays. Là, on voit que ce sont des jeunes qui ont fait cette annonce. Sauf qu’il est compliqué de diriger un pays quand on n’a pas d’expérience en politique. Donc on verra, car “on juge le maçon au pied du mur”.
« L’incapacité » à combattre le terrorisme au cœur de la crise politique
Interrogé sur France 24 avant l’annonce des putschistes, Jean-Claude Félix Tchicaya, chercheur à l’institut Prospective et Sécurité en Europe, estime que la situation était en effet « prévisible depuis 2015 » : « Monsieur Kaboré est arrivé au pouvoir après une colère populaire et 27 ans de Monsieur Compaoré, et au sein de ce pouvoir, il y avait déjà un schisme entre les anciens militaires proches de Compaoré […] et le pouvoir civil de M. Kaboré. […] Ce qui préside à cette crise majeure, c’est bien ce qui est dit par certains comme une incapacité ou en tout cas une inconsistance en terme de stratégie pour combattre le jihadisme, le terrorisme, les insécurités économiques et sociales. » (