L’ancien ministre éthiopien de la Santé et des Affaires étrangères revient de loin. Au début de la pandémie, en 2020, Tedros Adhanom Ghebreyesus était souvent qualifié de « marionnette chinoise », et Donald Trump rêvait d’accrocher son scalp. Deux ans plus tard, seul candidat au poste de directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, il a été confirmé aujourd’hui dans ses fonctions par les 34 membres du conseil exécutif de l’OMS. Mieux, le docteur en santé communautaire de l’université de Nottingham est aujourd’hui plébiscité par les grandes puissances, États-Unis, Russie, Chine. Sans oublier les Européens, qui lui ont apporté leur soutien dès septembre 2021.
D’où vient ce retournement de situation ? « Docteur » Tedros (bien qu’il ne soit pas médecin) apparaît finalement comme le moins mauvais candidat pour diriger cette agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies qui n’a pas les moyens de lutter efficacement contre la pandémie. Elle ne dispose que d’un budget inférieur? à 6 milliards d’euros. Une aumône en comparaison avec les milliards que peuvent dépenser les trusts pharmaceutiques. Plus grave encore, les contributions obligatoires des 194 États membres de l’OMS ne représentent que 16 %. Le reste est apporté par les contributions volontaires. Or les riches donateurs, par exemple Bill Gates, entendent financer des projets précis. « Les donateurs privés contrôlent pleinement la manière dont les fonds sont utilisés. Si les États acceptent d’augmenter leurs contributions obligatoires, c’est surtout l’OMS qui va décider de ses priorités », souligne Imre Hollo, directeur de la planification stratégique et du budget à l’OMS, interrogé par le quotidien Le Temps.
Addis-Abeba pire que Damas
Cela fait des décennies que l’OMS réclame un budget lui permettant de faire face aux défis sanitaires. D’autant que ceux-ci risquent de se multiplier. Mais les pays les plus riches ne semblent pas prêts à mettre la main à la poche. Est-ce en raison des contraintes budgétaires dues à la pandémie de Covid-19 ? À moins qu’aucune des grandes puissances ne souhaite véritablement octroyer davantage de pouvoir à l’OMS. Non seulement la précarité de son financement limite son indépendance, mais l’agence onusienne ne bénéficie pas d’une véritable marge de man?uvre qui lui permettrait, par exemple, d’envoyer des experts sur le terrain lors du déclenchement d’une épidémie. Sans que les États puissent s’y opposer. À l’image des inspections dans le domaine nucléaire. Ce n’est pas pour demain. On imagine mal la Chine laisser des inspecteurs de l’OMS débarquer début 2020 à Wuhan et mener leur propre enquête.
Si « docteur » Tedros fait aujourd’hui (presque) l’unanimité sur la planète, en revanche, l’Éthiopie ne lui pardonne pas les accusations qu’il a portées sur le régime d’Addis-Abeba. Il l’accuse de bloquer l’aide humanitaire dans la province du Tigré (dont il est originaire), malgré une situation catastrophique. Lors d’un point de presse, le patron de l’OMS a dénoncé une situation « épouvantable » et « inimaginable ». Et, de la part du pouvoir éthiopien, un comportement pire que celui de Damas durant la guerre civile en Syrie? Les convois de médicaments et de matériel médical seraient bloqués. Ceux contenant des vivres n’entreraient au Tigré qu’au compte-gouttes. Addis-Abeba a aussitôt répliqué en réclamant au conseil exécutif de l’OMS une enquête sur les « manquements » dont se serait rendu coupable Tedros Adhanom Ghebreyesus et qui nuiraient à « l’intégrité » de l’Organisation mondiale de la santé.
Le premier Africain à diriger l’OMS a bien été ministre de la Santé d’Éthiopie de 2005 à 2012, puis des Affaires étrangères de 2012 et 2016, mais à une époque où les Tigréens du FLPT (Front de libération du peuple du Tigré) étaient au pouvoir.
Aujourd’hui marginalisés, ils sont en guerre contre le régime. (LePoint)