À mesure que la guerre en Ukraine s’enlise, les alertes sur les risques d’une crise alimentaire se multiplient. L’Afrique de l’Ouest est en première ligne. Les sécheresses extrêmes, l’épidémie de Covid-19 et maintenant la guerre en Ukraine sont « autant de facteurs qui exacerbent » les risques de famine au Sahel et en Afrique de l’Ouest, alertent les spécialistes internationaux qui tiennent ce mercredi 6 avril une réunion de haut niveau sur le sujet. Une réunion virtuelle à laquelle prendront part l’Union européenne, le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, et le Réseau mondial contre les crises alimentaires (RPCA) pour la région, à laquelle participeront le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell et deux commissaires européens.
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Les chiffres sont alarmants : la faim et la malnutrition pourraient toucher 38,3 millions de personnes d’ici à juin, « si des mesures appropriées ne sont pas prises », avertit l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) dans un communiqué, évoquant une crise d’une « ampleur exceptionnelle ». Et selon les données publiées en mars par le « Cadre harmonisé », un outil d’identification des zones à risques, 27 millions de personnes souffrent déjà de malnutrition dans la région du Sahel central (Mali, Niger, Burkina Faso) et du bassin du lac Tchad, qui inclut aussi le Cameroun et le Nigeria. « Onze millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la faim au cours des trois prochains mois », alertent une dizaine d’associations, dont Oxfam, Action contre la faim ou Save the Children dans un communiqué publié mardi, estimant qu’il s’agit de la « pire situation en dix ans ».
L’objectif de cette réunion sera de « mobiliser une assistance alimentaire et nutritionnelle d’urgence », tout en se penchant sur les causes structurelles de ces crises « multiformes et récurrentes », indique la FAO. Parmi elles, « la sécheresse, les inondations, les conflits et les impacts économiques du Covid-19 ont forcé des millions de personnes à quitter leurs terres », détaille Assalama Dawalack Sidi, directrice régionale de l’ONG Oxfam en Afrique de l’Ouest et centrale.
Une déferlante qui pénalise les plus pauvres
La guerre en Ukraine va encore empirer la situation, provoquant « une baisse de la disponibilité du blé pour six pays de l’Afrique de l’Ouest qui importent au moins 30 % de cette denrée, voire plus de 50 % pour certains, de Russie ou d’Ukraine », prédisent les associations.
Elles s’inquiètent également d’une « chute brutale de l’aide internationale en Afrique », s’appuyant sur l’exemple du Danemark qui a réaffecté en mars 2 milliards de couronnes (environ 269 millions d’euros) alloués à des programmes au Sahel pour financer l’accueil de réfugiés ukrainiens.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a alerté mardi sur la crise alimentaire majeure qui touche actuellement l’Afrique, mais « passe inaperçue » en raison de la guerre en Ukraine.
Au-delà de l’Afrique de l’Ouest, cette crise alimentaire frappe l’ensemble du continent, depuis l’Éthiopie et la Somalie touchées par la sécheresse jusqu’à la Mauritanie et le Burkina Faso. En effet, quelque 346 millions de personnes, soit plus d’un Africain sur quatre, souffrent de faim « alarmante » et ce chiffre va probablement augmenter dans les mois à venir, a dit le CICR. Le PAM a mis en garde le mois dernier sur le fait que plus de 70 % de la population du Soudan du Sud ferait face à une faim extrême cette année, en raison de l’instabilité politique et des désastres naturels. Plus de 6 millions de personnes dans l’est et le sud de l’Éthiopie ont besoin d’une intervention « d’urgence » cette année face à l’intense sécheresse qui sévit dans la Corne de l’Afrique, a averti l’ONU en janvier.
Au Burkina Faso, le nombre de personnes déplacées par la faim a plus que doublé au cours de l’année écoulée. « Il s’agit d’une catastrophe qui passe largement inaperçue. Des millions de familles ont faim et des enfants meurent en raison de la malnutrition », a déclaré le directeur monde des opérations du CICR, Dominik Stillhart, lors d’une conférence de presse dans la capitale kényane, Nairobi. Selon lui, l’attention portée au « terrible » sort des Ukrainiens « ne devrait pas empêcher le monde de voir d’autres crises ». L’organisation veut consacrer un milliard d’euros cette année à sa réponse humanitaire en Afrique, mais il lui manque quelque 800 millions d’euros.
Mesures tous azimuts
Les États sont loin de rester les bras croisés : certains ont décidé d’une hausse des subventions, organisent plus régulièrement des distributions de vivres aux populations les plus pauvres tandis que d’autres prennent des mesures contre les spéculations ou interdisent d’exporter. L’objectif : contenir à tout prix la flambée des prix des matières premières alimentaires et énergétiques. Au Sénégal, l’heure est plus qu’à la mobilisation, surtout dans le contexte du ramadan, mois sacré de jeûne pour les musulmans. « Considérant le risque élevé de pénurie et de flambée des prix en raison de la crise mondiale, j’appelle à une mobilisation générale pour accroître et valoriser davantage nos produits agricoles, d’élevage et de pêche », a résumé sans fard, Macky Sall.
Le président sénégalais s’est adressé à la nation à la veille du 62e anniversaire de l’indépendance du pays. Le Sénégal est frappé lui aussi par la flambée des prix. De nombreuses denrées alimentaires ont augmenté. Le riz, aliment de base de la population, est particulièrement touché. Le gouvernement a annoncé des mesures pour tenter de juguler cette augmentation. « Mais, pour être à l’abri des aléas de la conjoncture internationale, nous devons faire preuve de résilience en gagnant au plus vite la bataille de la souveraineté alimentaire. Ce sont des investissements massifs que l’État continue de consacrer à la modernisation et à la diversification des secteurs de l’élevage, de la pêche et de l’agriculture. Relever le défi de l’autosuffisance alimentaire, c’est aussi faciliter les échanges entre les zones de production et les marchés. » Le Sénégal importe 57 % de son blé de Russie et d’Ukraine et cela crée d’importantes difficultés, jusqu’à une contraction de 3 % du PIB, à cause des subventions rendues nécessaires. (Le Point)