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ALGERIE. Caricature et satire sont des disciplines à haut risque

Plus exposés que les journalistes eux-mêmes, car tenus de garder quotidiennement leur sens de l’humour couplé à un esprit subversif à toute épreuve, le tout dans un climat fait de morosité et d’autocensure généralisées, les caricaturistes et dessinateurs de presse algériens traversent aujourd’hui une conjoncture difficile. La plus difficile peut-être depuis la «décennie noire», où il leur fallait apporter un zest d’humour et toujours trouver mots d’esprit et sarcasmes pour commenter une actualité des plus dramatiques.

C’est pourquoi, il ne faut jamais s’étonner du décalage qu’il y a, aujourd’hui, entre le ton de liberté qu’on trouve chez certains dessinateurs et l’extrême platitude qui caractérise la ligne éditoriale de la plupart des titres.

Un ancien collaborateur de Charlie Hebdo poursuivi en justice

Pour contourner l’autocensure et l’imprimatur, d’aucuns choisissent de publier leurs croquis dans des blogs personnels ou, comme c’est le cas le plus souvent, sur les réseaux sociaux, permettant ainsi un accès gratuit au public. Cela ne les a pas mis, toutefois, à l’abri des pressions, voire des poursuites.

C’est le cas du jeune caricaturiste Ghilas Aïnouche, 34 ans, ancien collaborateur de Charlie Hebdo, qui vient d’être convoqué par la justice algérienne pour ses caricatures jugées diffamantes, ce qui inclut notamment celles évoquant le président de la République, Abdelmadjid Tebboune. L’information nous a été confirmée par une source proche du dessinateur.Voir cette publication sur Instagram

Ghilas Aïnouche, qui vit depuis quelques années en France, doit faire l’objet d’un mandat d’arrêt international s’il ne se présente pas devant la juridiction qui a lancé la procédure. Il risque d’être condamné à une lourde peine pour atteinte aux «symboles de l’État».Ghilas Aïnouche n’épargne aucune autorité politique, président de la République en tête.

L’article 144 bis du Code pénal stipule: «Est punie d’une amende de cent mille (100.000) dinars à cinq cents mille (500.000) dinars toute personne qui offense le président de la République par une expression outrageante, injurieuse ou diffamatoire, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration, ou de tout autre support de la parole ou de l’image, ou que ce soit par tout autre support électronique, informatique ou informationnel.»

«Atteinte aux symboles de l’État»

Dans ces dessins qu’il publie dans son blog personnel ou, plus souvent, dans des journaux en ligne opposants, eux-mêmes censurés, Ghilas Aïnouche n’épargne aucune autorité politique, président de la République en tête, et ne se gêne pas pour caricaturer, avec des traits parfois bruts et sciemment provocateurs, tous ceux qui, y compris dans l’opposition, lui semblent s’opposer au hirak, le mouvement de contestation du 22 février 2019.

Le dessin de presse est ambigu, et c’est précisément ce pourquoi il faut le défendre

Il faut dire que ce caricaturiste est aussi soupçonné de promouvoir des idées partisanes proches de celles que défend le Mouvement séparatiste kabyle (MAK), classé, depuis une année, comme organisation terroriste. Ce qui ne peut qu’aggraver son cas.

Algérie : le détenu politique Hakim Debazi, père de trois enfants, mort en prison#Debazi #Algerie #Algeria #Hirak #Dictature >> https://t.co/sOywOYUmqY pic.twitter.com/HznsOL1tJN— Ghilas Ainouche (@GhilasAinouche) April 25, 2022

Dans un de ces croquis critiques envers le chef de l’État, on voit celui-ci au milieu de bâtiments en ruine (à la suite d’un séisme), et de tentes occupées par des sinistrés: «Je promets de régler la crise du pays… comme j’ai déjà réglé la crise du logement.»

Ghilas Aïnouche n’est pourtant pas le seul à brocarder le président Tebboune ou les chefs de l’armée. Dilem, célèbre caricaturiste des quotidiens Le Matin, puis de Libertéaujourd’hui disparus, dans un dessin paru le 24 avril, jour de vote en France, diffusé sur Facebook, montre Abdelmadjid Tebboune, accompagné d’un gradé de l’armée, faire ce commentaire devant un écran de télévision sur lequel apparait un bulletin de vote glissé dans une urne en France: «Allahouma inni saïm!» (littéralement: «Dieu, pardonne-moi, je suis jeûneur!»). Une expression habituellement utilisée à la vue d’une scène impudique ou immorale susceptible d’altérer la pureté du jeûne.

Rire et pouvoir sont-ils incompatibles?

Cela dit, la procédure lancée contre Ghilas Aïnouche pose à nouveau en Algérie la délicate question de savoir si on peut rire de tout –donc y compris du président, de la religion et des autres sujets tabous– et quelle est, surtout, la limite fixée à la liberté d’expression dans ce pays.«Dès qu’un titre émerge, le pouvoir se précipite pour lui mettre des entraves, l’assiéger, l’étouffer en prison, et, parfois, le confisquer et jeter ses rédacteurs en prison.» Kamel Karour, éditeur, écrivain et auteur satirique

Réagissant à la nouvelle de la convocation de Ghilas Aïnouche, un internaute explique cet «acharnement» contre un jeune caricaturiste par le fait que les gens du pouvoir «n’aiment pas rire et, par conséquent, n’aiment pas les caricatures».

De façon plus large, ce constat rappelle la situation de la liberté de la presse en Algérie. Les journalistes redoutent, en effet, un retour à la pénalisation des délits de presse, alors que, officiellement, cette mesure est levée depuis 2012. Les premiers à en avoir fait les frais sont les journalistes et contributeurs de la presse satirique.

Le mauvais sort

Interrogé par Slate.fr, Kamel Karour, éditeur, écrivain et auteur satirique, estime que «la presse satirique attire le lecteur algérien et forme facilement une opinion. C’est pourquoi le pouvoir ne l’accepte pas et la combat par divers moyens. Seule la satire arrive à entamer la puissance et la sacralité du pouvoir. C’est pour cela qu’on l’empêche de prospérer et de s’épanouir.»

Pour cet éditeur, qui a eu, dans les années 1990, à lancer un journal satirique, l’histoire de la presse satirique en Algérie se résume à une expérience «très douloureuse». «Dès qu’un titre émerge, soutient-il, le pouvoir se précipite pour lui mettre des entraves, l’assiéger, l’étouffer en prison, et, parfois, le confisquer et jeter ses rédacteurs en prison.»

Un bon caricaturiste ne démontre pas, il met un coup de projecteur sur un événement

En plus de trente ans d’existence, la presse satirique algérienne, héritière d’une longue tradition en BD, a toujours été poursuivie par le mauvais sort. D’El-Manchar, lancé en 1990 par le journaliste Saïd Mekbel, tué dans un attentat terroriste en 1994, à des journaux en ligne comme National Geotrafic, en passant par Bouzenzel et Essah-Afa, qui tirait à plus de 100.000 exemplaires avant de disparaître, il ne reste plus qu’une pâle copie du premier, dans une version électronique à la diffusion aléatoire.

Tous n’ont eu qu’une vie éphémère. Ce qui obligeait, souvent, les caricaturistes et autres journalistes satiriques à se contenter de la moindre lucarne qui leur était cédée dans la plus lugubre des rédactions. (Slate.fr)

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