La nouvelle Constitution tunisienne approuvée ce mardi par une écrasante majorité de votants sur fond d’abstention tout aussi écrasante, donne quasiment les plein pouvoirs au président de la République Kais Saied. Mais vainqueurs et vaincus ont déjà l’esprit tourné vers la prochaine échéance : les élections législatives du 17 décembre.
Les partisans du chef de l’Etat ont sans conteste remporté la bataille du référendum constitutionnel. Selon Sigma, le principal institut de sondages de Tunisie, le oui a recueilli, lundi, plus de 92 % des suffrages exprimés. Anouar Trabelsi, un pro oui, salue «une journée assez exceptionnelle». L’aboutissement d’une réforme entamée le 25 juillet 2021, quand Kais Saied avait gelé les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). «Maintenant, on est sur le bon chemin. Vive la République !» La IIIe République aurait pu ajouter le jeune entrepreneur.
Une étape
Car, c’est acté maintenant la IIe République et son système parlementaire apparu en 2014 dans le sillage de la révolution de 2011 est morte et enterrée. Place au régime présidentiel où le chef de l’État sera inamovible, pourra dissoudre l’assemblée législative principale et passer en priorité des projets de lois tout en nommant les juges clés du pays. Une énumération qui ne choque pas Khaled, qui a passé toute sa carrière en France avant de revenir passer sa retraite à Tunis : «La nuit, ça ne va pas du tout. Il y a des cambriolages et des vols tout le temps. Il faut de l’ordre. Ça commence par un homme fort à la tête du pays.» Pour le membre du bureau politique du parti panarabe Hirak Ecchaab (Mouvement du peuple), Moncef Bouzazi, cette victoire, bien qu’éclatante, n’est qu’une étape : «L’objectif, c’était de mettre fin à dix ans de règne d’Ennahdha [parti islamiste présent dans toutes les coalitions gouvernementales depuis 2011] qui a fait de la Tunisie une terre de violence et d’assassinats. Maintenant, on a conscience que ce n’est pas une Constitution qui suffit à réaliser les progrès économiques et sociaux.» Le dirigeant politique espère que la mobilisation de son parti durant la campagne renforcera le tropisme panarabe de Kais Saied et se traduira électoralement par le renforcement de Hirak Ecchaab au prochain parlement. Le chef de l’État n’a jamais voulu créer de parti politique et méprise les corps intermédiaires en général. Sauf que, tout croupion qu’elle risque d’être, une Assemblée des représentants du peuple est prévue dans cette IIIe République.
Et c’est bien par l’hémicycle que l’opposition compte mettre en échec le président roi. Bien que ne reconnaissant pas la légitimité du scrutin, miné par «des chiffres gonflés» et une instance électorale (ISIE) «nommée par le Président», Chaïma Issa, membre du bureau politique du Front du salut national (FSN), coalition de partis politiques et d’associations opposés à Kais Saied, a assuré, mardi, lors d’une conférence de presse que son organisation ne déposera pas de recours, «car la justice est aux mains du président». «Nous demandons la démission du Président car il n’est plus légitime, exige Chaïma Issa. Malgré les fraudes – entre midi et 17 heures, les chiffres de participation ont gonflé subitement alors que c’était en pleine chaleur [les bureaux de vote étaient ouverts de 6 heures à 22 heures]-, la Constitution passe avec l’accord de seulement 25 % des Tunisiens.»
Microciblage
Abdelhamid Hamzaoui, a sorti sa calculette : en additionnant les 2 % du corps électoral qui a voté non et les 21 % d’abstentionnistes qui disent avoir boycotté le référendum pour ne pas légitimer un processus non démocratique, selon Sigma, on arrive peu ou prou au même nombre de Tunisiens que ceux qui ont voté oui. Le porte-parole du micro-parti Le Peuple veut est convaincu que la victoire est possible le 17 décembre. Son analyse prend d’autant plus de poids qu’en 2019, c’est lui qui avait grandement participé à la victoire à l’élection présidentielle de l’outsider Kais Saied, «grâce à une campagne de microciblage sur les réseaux sociaux». Le jeune geek s’est éloigné de son mentor à mesure que celui-ci prenait les pleins pouvoirs.
L’ancienne présidente de l’Instance Vérité et dignité, en charge de la justice transitionnelle, Sihem ben Sedrine est moins optimiste à court terme : «Je suis choquée car je croyais les jalons de la démocratie solidement ancrés», déclare-t-elle à Libération. Mais elle veut croire que les dix ans de transition ont infusé dans la société, notamment parmi les jeunes comme Abdelhamid Hamzaoui. «On ne peut plus gérer les Tunisiens comme avant, en donnant des balles en guise pain», espère-t-elle. (Libération)