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En Afghanistan, « la crise économique a précipité le pays dans un désastre humanitaire »

Depuis le retour des Taliban au pouvoir le 15 août 2021, l’Afghanistan fait face à une grave crise humanitaire. Aujourd’hui, selon l’ONU, 95 % de la population ne mange pas à sa faim. Une situation précipitée par le gel des avoirs de la Banque centrale afghane aux États-Unis et les sanctions internationales qui ont mis l’économie du pays à l’arrêt.

« La vie des Afghans a totalement basculé le 15 août 2021. Aujourd’hui, ils meurent de faim et le pays est plongé dans l’une des pires crises humanitaires au monde », assène Fereshta Abbasi, spécialiste de l’Afghanistan pour l’ONG Human Rights Watch. À l’aube de la prise de Kaboul par les Taliban il y a un an, la moitié de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. Le pays, privé d’aide internationale – qui constituait jusqu’alors 80 % de son budget – a vu son système économique s’effondrer, privant de nombreux Afghans de revenus, de nourriture et de soins de santé.

À son arrivée à Kaboul en mars, Samy Guessabi, directeur régional de l’ONG Action contre la faim, a ainsi découvert une ville quasi à l’arrêt. « Beaucoup d’Afghans ont perdu leur emploi et ceux qui continuent à travailler ont vu leur salaire baisser massivement », témoigne-t-il. « En parallèle, l’arrêt des financements internationaux a entraîné une crise des liquidités. Les gens ne peuvent donc même pas retirer leurs économies à la banque. Et ceux qui ont quitté le pays ont beaucoup de mal à envoyer de l’argent à leurs proches. »

« La nourriture ne manque pas, mais la population ne peut pas l’acheter »

« Pour de nombreuses familles, il n’y a plus qu’une priorité, se loger et se nourrir. Pourtant, quand on circule au milieu des étals des marchés, la nourriture ne manque pas », poursuit l’humanitaire. « Le problème, c’est que la population n’a pas d’argent pour l’acheter. » D’autant plus qu’à cette économie en berne est venue s’ajouter une inflation galopante, liée à la crise alimentaire mondiale initiée par le conflit en Ukraine. « Le prix de certains aliments a doublé, notamment l’huile de cuisson, le riz et la farine », détaille-t-il.

Au total, près de 20 millions de personnes, soit la moitié de la population, se trouvent aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) et 95 % de la population ne mange pas à sa faim. Plus d’un million d’enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë et prolongée.

Dans la province de Ghor (centre du pays), le PAM a par ailleurs annoncé récemment que des dizaines de milliers d’habitants avaient basculé dans une « malnutrition aiguë catastrophique », l’étape précédant la famine. « Et la situation est encore pire dans le sud du pays, majoritairement agricole, qui subit des périodes fréquentes de grande sécheresse », note Samy Guessabi. Face à cette situation, Action contre la faim organise régulièrement des distributions d’argent liquide dans ses zones opérationnelles pour les populations les plus vulnérables. Une mesure d’urgence « loin d’être idéale », selon l’humanitaire, et souvent insuffisante.

Les femmes et les enfants en première ligne

Les femmes et les enfants sont les premières victimes de cette double crise économique et humanitaire. « Les enfants sont déscolarisés pour être mis au travail. Dans d’autres familles, un ou plusieurs sont vendus pour subvenir aux besoins des autres », déplore Fereshta Abbasi. Des enfants sont ainsi souvent vendus à des commerçants pour servir de main d’œuvre peu onéreuse, et des fillettes achetées dans le cadre de mariages forcés – des pratiques qui existaient déjà dans le pays mais qui ne cessent de s’accentuer.

« Les femmes, quant à elles, ont tout perdu. Comme les hommes, elles se retrouvent sans emploi et sans revenus, alors qu’elles étaient parfois les seules à travailler dans le foyer, mais elles ont aussi perdu un grand nombre de droits fondamentaux », poursuit la chercheuse. Depuis un an, les autorités talibanes ont multiplié les restrictions à leur encontre. Le port de la burqa leur est imposé et elles ne peuvent plus se déplacer seules. Si certains métiers leur restent autorisés, une séparation nette entre hommes et femmes doit s’exercer.

Multiplication des maladies

Autre conséquence directe à cette double crise : le nombre de maladies s’envole dans un système de santé à bout de souffle. « Cette crise humanitaire dure depuis des dizaines d’années, au rythme des guerres, des tourments politiques et des aléas environnementaux, mais, aujourd’hui, cela atteint une intensité inédite », résume de son côté Amber Alayyan, responsable adjointe de la région Afghanistan à l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui officie dans le pays depuis 2011. « Et plus la malnutrition s’accélère dans le pays, plus les maladies se multiplient et plus les centres de soins saturent. »

« Je me souviens d’une mère qui est venue avec son bébé d’environ huit mois. Il était minuscule », raconte-t-elle. « En discutant avec cette femme, on s’est rendu compte que la majorité de ses dîners ne se résumait qu’à une tasse de thé. Elle était totalement dénutrie et n’avait donc pas assez de lait pour nourrir son enfant. » Des cas comme celui-ci, elle en dénombre des centaines par semaine.

À Hérat, dans l’ouest du pays, où MSF dispose d’une clinique, la pédiatre voit ainsi affluer environ 800 patients par jour, contre une centaine il y a encore quelques mois. L’établissement ne dispose cependant que d’une soixantaine de lits. « On voit des gens arriver de beaucoup plus loin dans le pays », explique-t-elle. « Ils se tournent vers nos structures car la majorité des hôpitaux locaux manquent cruellement de soignants et font face à des pénuries de certains médicaments, notamment d’antibiotiques. »

>> À lire aussi : « En Afghanistan, la faim s’installe et menace ‘particulièrement des bébés de moins de six mois' »

Une pression toujours plus forte sur l’aide humanitaire

Au moment de dresser le bilan de l’année écoulée, Amber Alayyan et Samy Guessabi partagent le même constat : face à cette situation, la pression sur les organismes humanitaires se fait plus forte que jamais. Et si Action contre la faim, tout comme MSF, ont pu massivement augmenter leur budget opérationnel et renforcer leurs effectifs sur le terrain, ils s’inquiètent pour les mois à venir. « On va approcher de la période des pluies puis de l’hiver, certains villages vont devenir inaccessibles… Je ne veux pas imaginer la situation si les habitants n’ont pas pu faire de réserves », craint Samy Guessabi.

« Il faut une prise de conscience de la part de la communauté internationale », estime-t-il. « Les sanctions internationales sont en train de tuer la population. La seule façon de sortir de cette crise humanitaire est de permettre à l’économie de redémarrer et pour cela, il n’y a qu’une solution, rouvrir la porte aux investissements étrangers. »

La communauté internationale a fait de la question des droits humains, et notamment des droits des femmes, une condition à l’octroi de l’aide internationale. En mars, au moment où les Taliban décidaient d’interdire l’accès à l’école secondaire aux filles, la Banque mondiale avait ainsi choisi de suspendre une aide d’environ 600 millions de dollars (541 millions d’euros).

« Depuis un an, les Taliban ont montré qu’ils préféraient imposer de plus en plus de restrictions plutôt que d’accéder aux demandes de la communauté internationale pour améliorer les conditions de vie de la population », dénonce Fereshta Abbasi, de Human Rights Watch. « Ils doivent de toute urgence prendre leurs responsabilités. Mais les grandes organisations internationales, elles, doivent continuer à se battre pour trouver une solution pour aider davantage la population sur place. »

Outre cette affluence toujours plus massive, Amber Alayyan observe aussi de plus en plus de patients arriver dans un état grave. « On assiste à une explosion des cas de diarrhée aiguë, de rougeole ou encore de choléra. C’est la conséquence directe du difficile accès aux services de santé et d’une mauvaise alimentation… On est dans un cercle vicieux », déplore-t-elle. (France 24)

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