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Crise alimentaire : où en est vraiment l’Afrique ?

Nous avons retenu cinq faits marquants autour de cette crise alimentaire qui frappe l’Afrique : l’inflation galopante, qui touche tous les pays et qui laisse planer l’ombre des émeutes de la faim, qui avaient secoué le continent en 2008 ; la pénurie et le prix des engrais qui a explosé menacent la production des prochaines campagnes agricoles ; enfin, un petit espoir vient de la reprise des exportations de céréales ukrainiennes. De leur côté, les bailleurs de fonds tentent d’intervenir en débloquant des fonds d’urgence pour soutenir l’agriculture et les personnes les plus vulnérables.

1. L’inflation mondiale menace la sécurité alimentaire en Afrique

« Le niveau record des prix alimentaires est à l’origine d’une crise mondiale qui va plonger plusieurs millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté et aggraver la faim et la malnutrition, menaçant des gains durement acquis en matière de développement », s’alarmait la Banque mondiale (BM) dans une note d’information publiée le 15 août.

Les facteurs déclenchant cette flambée des prix sont multiples et se combinent. L’élément déclencheur remonte à la crise du Covid-19 qui a profondément désorganisé les chaînes d’approvisionnement et dont les répercussions se font toujours ressentir. À peine la reprise économique pointait-elle son nez, que les premières tensions sur les cours du pétrole et du gaz sont apparues. Le renchérissement de l’énergie se répercute sur les prix alimentaires, notamment à travers la hausse des coûts des transports. La guerre en Ukraine a jeté de l’huile sur le feu, faisant flamber les cours internationaux des céréales (blé et maïs) et de l’huile.

Loin du conflit, l’Afrique n’en est pas moins une victime collatérale. Le Zimbabwe arrive en tête des pays africains les plus durement touchés avec une inflation des prix des denrées alimentaires qui a atteint 255 % en juin dernier, et ce malgré les mesures prises comme la suspension des droits de douane à l’importation sur les produits de base comme l’huile, le riz et la farine. La situation se détériore dans tout le continent. Le Nigeria a enregistré son taux d’inflation le plus élevé depuis 17 ans et l’Afrique du Sud affiche une hausse des prix de 7,4 %. L’Éthiopie, l’Angola, le Rwanda et la Sierra Leone ont tous connu une inflation supérieure à 20 % en avril, selon le Fonds monétaire international (FMI). « Le renchérissement de l’alimentation pénalise plus durement les habitants des pays à revenu faible et intermédiaire, qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à ces dépenses que les populations des pays à revenu élevé », prévient la BM.

2. Les émeutes de la faim redoutées mais évitées

Les taux d’inflation qui grimpent font craindre un retour des émeutes de la faim. Le spectre des années 2008 et des manifestations qui ont conduit aux printemps arabes se dessine. À Freetown, la capitale de la Sierra Leone, le 10 août, des manifestations ont tourné à l’émeute, entraînant la mort d’au moins douze civils et de quatre membres des forces de sécurité, frappés à mort par une foule appelant au départ du président. Avec plus de 43 % de Sierra-Léonais qui survivent avec moins de 1,90 dollar par jour, l’augmentation des prix de denrées alimentaires est insupportable. L’inflation des produits alimentaires de base fait craindre le pire : « un ouragan de famines », redoute l’ONU. Quant au FMI, il met en garde contre le risque de « protestations sociales ».

Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), avant même l’éclatement du conflit en Ukraine, 828 millions de personnes dans le monde étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2021. Déjà en avril, le directeur général de la FAO Qu Dongyu avait fait un parallèle entre l’explosion de 2008 et la situation actuelle : deux crises marquées par une flambée des prix alimentaires, des carburants, des engrais, ainsi que des transports.

3. Le coût des engrais, une menace pour l’avenir

Derrière la crise alimentaire actuelle se profile un risque qui pourrait encore aggraver la situation : le prix de l’engrais multiplié par trois en un an et demi, principalement à cause de la hausse du prix du gaz. Les engrais à base d’azote sont fabriqués à partir de l’hydrogène du gaz et de l’azote (dans l’air). Dans sa fabrication, le gaz est à la fois utilisé comme matière première et comme source d’énergie pour alimenter le processus de synthèse aboutissant à la production d’ammoniac. Autant dire que le prix de l’engrais azoté est étroitement lié à celui du gaz. Au niveau mondial, le risque de pénurie d’engrais azoté s’accentue avec les arrêts de production de certains fabricants européens pour tenter de maintenir leur rentabilité.

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, deux grands fournisseurs mondiaux d’engrais azotés et potassiques, fait peser un risque élevé sur la production agricole africaine. En 2021, la Russie avait fourni plus de 50 % des besoins en potasse de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Mali, du Niger et de la Sierra Leone.

« C’est en 2023-2024 que se fera sentir la hausse des prix des engrais et éventuellement leur moindre utilisation », prévient le rapport du Cyclope sur les matières premières, qui s’attend à une production agricole « sensiblement réduite » en Afrique. Selon une étude menée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la FAO et le PMA, la pénurie d’engrais, et son corollaire la hausse des prix, pourraient entraîner une baisse de production de 10 à 20 millions de tonnes, soit près de 20 % de la production céréalière (73 Mt) de 2021-2022 pour la région.

4. La reprise des livraisons de céréales ukrainiennes 

Heureusement, il y a une bonne nouvelle ! La reprise des exportations de céréales d’Ukraine fait baisser la tension sur les cours internationaux. Avec presque 4 millions de tonnes de produits agricoles exportés en août, l’Ukraine se rapproche des niveaux d’exportation observés avant la guerre, soit environ 5 millions de tonnes par mois. Les fortes tensions sur les cours internationaux des céréales se dissipent peu à peu. Six mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, le blé et le maïs se rapprochent de leurs prix d’avant-guerre.

Depuis l’accord signé le 22 juillet entre Kiev et Moscou sous l’égide des Nations unies et de la Turquie, quelque 33 bateaux ont pu quitter les ports ukrainiens. Un premier bateau chargé de 23 000 tonnes de blé destinées aux interventions humanitaires de l’ONU dans la Corne de l’Afrique a quitté l’Ukraine le 14 août. « La réouverture des ports de la mer Noire est la chose la plus importante que nous puissions faire actuellement pour aider les personnes souffrant de la faim dans le monde », a commenté le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM), David Beasley.

Pour rappel, en juin dernier, le président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine (UA), s’était rendu en Russie pour négocier avec son homologue russe, Vladimir Poutine, la libération des stocks de céréales et d’engrais bloqués en Ukraine, rappelant que les premières victimes de ce blocus sont les pays africains.

5. L’appui des institutions financières

Face à l’urgence, les institutions financières agissent en pompier. En mai, la Banque mondiale a annoncé le déploiement d’une enveloppe de 30 milliards de dollars, sur les 15 prochains mois. Ces financements débloqués en urgence sont destinés à des projets existants ou nouveaux dans des domaines tels que l’agriculture, la nutrition, la protection sociale, l’eau et l’irrigation. Il s’agit d’encourager la production agricole et d’engrais et de soutenir les ménages les plus vulnérables. Parmi les financements accordés, la Tunisie a bénéficié d’un prêt de 130 millions de dollars afin d’atténuer les répercussions de la guerre en Ukraine en finançant, entre autres, des importations de blé tendre qui sont vitales pour le pays. L’Égypte bénéficie d’un prêt de 500?millions de dollars pour accompagner les efforts du pays en vue d’assurer la continuité de l’approvisionnement en pain des ménages pauvres et vulnérables, de renforcer la résilience du pays aux crises alimentaires. Un prêt de 315 millions de dollars aidera le Tchad, le Ghana et la Sierra Leone à mieux faire face à l’insécurité alimentaire. La région de l’Afrique de l’Est et australe va bénéficier d’un prêt de 2,3 milliards de dollars.

De son côté, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé à l’occasion des assemblées générales en mai un plan d’urgence, qui a pris le nom de Facilité africaine de production alimentaire d’urgence d’un montant de 1,5 milliard de dollars. Il doit permettre de fournir des intrants ? engrais et semences certifiées ? à 20 millions de petits exploitants agricoles.

Le président de la BAD, Akinwumi Adesina, avait déclaré : « Je porte la voix des 1,3 milliard de personnes en Afrique menacées par une crise alimentaire imminente résultant de cette guerre. Pour l’Afrique, nous devons toutefois aller au-delà de l’aide alimentaire d’urgence. Nous devons donner la priorité à la production alimentaire. Nous avons la technologie pour nourrir l’Afrique ? l’Afrique n’a pas besoin de tenir des bols en main pour mendier de la nourriture. L’Afrique a besoin de semences dans le sol pour produire de la nourriture pour elle-même. » (Le Point)

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