Du 13 au 27 août, douze des pays et territoires amis de la Russie ont hébergé simultanément des événements sportifs militaires destinés à mettre en valeur les capacités des participants.
« Plus de 260 équipes venues de 34 pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique » présentes sur « 30 terrains d’entraînement et quatre mers ». À lire la présentation faite par le ministère russe de la Défense, les Jeux militaires internationaux 2022 seraient une véritable démonstration de force.
Alors que ses relations diplomatiques se sont considérablement refroidies avec de nombreuses chancelleries occidentales suite à l’invasion de l’Ukraine, la Russie a tout fait pour promouvoir la compétition. Les extraits de retransmissions de défilés et exercices de militaires biélorusses, iraniens ou chinois, acclamés par une foule de supporteurs, ont pullulé sur les réseaux sociaux.
« Du soft-power avec des tanks«
Au-delà des quelque 4 500 militaires déployés par les pays et territoires participants, les jeux militaires organisés par la Russie ont surtout été une opportunité de prouver que Vladimir Poutine n’était pas totalement isolé. Les organisateurs en voulaient pour preuve l’arrivée de nouveaux participants pour l’édition 2022, comme le Rwanda et la Bolivie, et ce, malgré les sanctions occidentales.
« C’est un moyen de montrer que la Russie n’est pas un paria. C’est important de dire “on n’est pas tout seul” », explique David E. Johnson, analyste principal au sein de la Rand Corporation. Parmi les pays présents, les habituels alliés de la Russie, comme la Chine, l’Iran ou la Biélorussie, mais aussi onze pays africains, tels que le Mali, le Soudan et le Congo, dont la Russie s’est rapprochée diplomatiquement ces dernières années. « Du soft-power avec des tanks ! », ironise-t-il.
« Business as usual »
Pour David E. Johnson, le caractère de puissance militaire de ces Jeux est secondaire. « Ce n’est pas tant une démonstration de force qu’une manière de faire comme si de rien n’était, “Business as usual” », explique-t-il à RFI. Avec ces olympiades d’un genre un peu particulier, la Russie cherche à montrer qu’en Ukraine, il s’agit bien « d’une opération spéciale et non d’une guerre, puisque nous pouvons même nous permettre d’organiser des jeux ! », analyse le colonel de l’armée américaine à la retraite.
L’événement qui aurait attiré plus de 235 000 spectateurs, selon le ministère russe de la Défense, tient beaucoup d’une compétition sportive, avec de nombreuses caméras, des ralentis et un commentateur. « Ils essayent de faire en sorte que ça ressemble à un match de foot ! », commente David E. Johnson.
Une démonstration de façade destinée à faire oublier les nombreuses pertes subies en six mois de guerre en Ukraine. Si elles sont très difficiles à quantifier (lors de sa dernière déclaration, il y a quatre mois, Moscou s’était limité à annoncer la mort de 1 351 soldats russes), les nombreuses vidéos de combats montrant des carcasses carbonisées de véhicules russes se succèdent sur les canaux de communications ukrainiens.
Stijn Mitzer et Joost Oliemans, deux chercheurs néerlandais observant les pertes matérielles de l’armée russe en Ukraine sur leur site Oryx, ont pu confirmer que quelque 980 chars d’assaut avaient été capturés, détruits ou signalés abandonnés par les forces russes, ainsi que 508 véhicules blindés de combat et 1 059 véhicules de combat d’infanterie, entre autres. La poussée éclair vers Kiev a échoué et le front s’enterre désormais dans l’est et le sud de l’Ukraine.
Le biathlon de char, vitrine d’un raté sur les réseaux sociaux
Mais la démonstration de puissance d’un front uni a aussi tourné au ridicule aux Jeux militaires. Sur les réseaux sociaux, de nombreux utilisateurs se sont réjouis des erreurs des équipages engagés dans l’épreuve star de ces jeux : le Biathlon de chars, une course alliant rapidité et tir qui se déroule sur le terrain d’entraînement d’Alabino, en banlieue de Moscou.
L’équipage vénézuélien, pays accueillant pour la première fois des épreuves de la compétition, n’a pas pu atteindre une seule cible avec son canon, provoquant un malaise dans les tribunes.
Les tankistes soudanais ont également été en grande difficulté sur le franchissement d’obstacles, arrachant des protections de chenilles sur un premier parcours avant de rester coincés dans une fosse. Une vidéo montrant un hors-piste de l’un de ces chars a par ailleurs été largement détournée, pour le plus grand plaisir des internautes.
L’équipage d’Ossétie du Sud, territoire séparatiste de la Géorgie reconnu par une poignée de pays dont la Russie, a lui provoqué des sueurs froides : prêt à tirer, le canon du tank ossète a effectué soudainement un demi-tour avant de pointer le public. Le commentateur russe a dû suspendre son commentaire quelques instants, embarrassé par cette manœuvre dangereuse.
Mais le participant le plus remarqué fut le Zimbabwe, avec ses chars sortant du parcours, incapables d’atteindre les cibles au canon et finissant hors du temps réglementaire. Les extraits vidéos où le commandant du char zimbabwéen jette, dépité, une bande de munitions après avoir échoué à recharger sa mitrailleuse ont particulièrement fait réagir sur les réseaux sociaux. Une publicité dont le pays aurait pu se passer. Le site d’information New Zimbabwe écrit ainsi : « Le Zimbabwe fait une sortie embarrassante lors des jeux de l’armée russe ; l’équipe ne parvient pas à atteindre les objectifs, se perd, prend trop de temps pour terminer les épreuves. »
Des « jeux du cirque » de plus en plus critiqués
« C’est tout sauf représentatif de ce que peut faire un char. On est pratiquement dans les jeux du cirque », commente Yann Boisvin, fondateur du blog spécialisé Blablachars. « Ça n’impressionne personne du côté de l’Otan », affirme le retraité de l’armée de terre française. « Le biathlon de tank, c’est médiatique, mais ça n’a pas une importance capitale. Vous avez des compétitions beaucoup plus sérieuses », explique-t-il, se référant aux différents exercices organisés par des pays membres de l’Alliance atlantique.
« C’est sur le terrain que l’on voit les tankistes », ajoute Yann Boisvin. En Ukraine, ce terrain a eu raison de Bato Basanov, champion russe de l’édition 2021 du biathlon de tank, qui était engagé au côté de la 37e Brigade des fusiliers motorisés.
Au sein même de l’appareil militaire russe, les critiques de l’événement se feraient de plus en plus nombreux. Selon un communiqué du ministère britannique de la Défense, « une importante partie des experts militaires et de sécurité russes pensent probablement qu’il est inapproprié de continuer à consacrer des forces à des événements militaires cérémoniels, alors que les troupes russes subissent de lourdes pertes. »
Le gouvernement britannique rappelle qu’Igor Girkin, ancien officier du renseignement russe et ministre de la République autoproclamée de Donetsk, a ouvertement critiqué ses alliés russes dans la guerre en Ukraine. Le 19 août, ce dernier a, à contrecœur, loué la gestion du président Volodymyr Zelenksy, en comparaison avec une Russie « jouant au biathlon de tank » au sixième mois de l’invasion de l’Ukraine. (rfi.fr)