La mort de l’ancien dirigeant soviétique, mardi 30 août, à l’âge de 91 ans, a déclenché de nombreux hommages élogieux dans les pays occidentaux, contrairement à la Russie de Vladimir Poutine.
Nul n’est prophète en son pays. L’adage résume parfaitement la vie de Mikhaïl Gorbatchev. Le dernier président de l’Union soviétique, mort mardi 30 août à l’âge de 91 ans, était apprécié dans le monde occidental, qui l’associe étroitement à la fin de la Guerre froide et à la chute du communisme au début des années 1990. De Washington à Berlin, en passant par Paris ou Londres, une pluie d’hommages s’est abattue à l’endroit de l’ancien dirigeant, « leader rare » et « homme de paix dont les choix ont ouvert un chemin de liberté aux Russes » pour « changer le cours de l’Histoire ».
Sa popularité était nettement plus faible en Russie, où les dirigeants sont moins dithyrambiques depuis mardi soir. « Vladimir Poutine exprime ses profondes condoléances à la suite du décès de Mikhaïl Gorbatchev, il enverra dans la matinée un télégramme de condoléances à la famille et aux proches », a succinctement déclaré le porte-parole du Kremlin, cité par l’agence de presse Tass. « Il était un homme d’État qui a eu un impact énorme sur le cours de l’Histoire du monde », écrit Vladimir Poutine, sans qualifier cet impact de positif. Il n’y aura pas non plus de funérailles d’Etat organisées par le Kremlin, selon plusieurs sources citées par l’agence officielle Interfax.
Seulement 7% disaient le « respecter » en 2017
Le service minimum du Kremlin après la mort de Mikhaïl Gorbatchev n’a rien d’étonnant au regard de la défiance que lui portaient Vladimir Poutine et la population russe depuis plusieurs décennies. En 2012, il avait été désigné comme le dirigeant russe le plus impopulaire du XXe siècle, selon un sondage de l’institut étatique VTsIOM. Cinq ans plus tard, seulement 7% des Russes interrogés dans une enquête de l’institut Levada (en anglais) éprouvaient du respect à son égard, contre 32% pour Staline et 26% pour Lénine.Comment expliquer le désintérêt, voire la rancœur des Russes envers le dernier président de l’URSS ? En 1985, lorsqu’il arrive à la tête de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev n’a aucune idée de l’héritage contesté qu’il laissera à la Russie. Retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, lutte contre l’alcoolisme, reprise du dialogue avec les pays de l’ouest du mur de Berlin… « Gorby » multiplie les projets de démocratisation et d’ouverture de l’Union soviétique dans la seconde moitié des années 1980, ce qui lui vaut le titre d' »Homme de la décennie », décerné en 1989 par le magazine Time, américain, donc occidental.
A l’origine de « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle »
Surtout, le dirigeant soviétique reçoit le prix Nobel de la paix en 1990 pour son rôle dans le réchauffement des relations entre les blocs occidental et soviétique ; il s’était par ailleurs gardé de soutenir les régimes communistes en train de s’écrouler en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Pologne.
En Russie, les réformes menées dans le cadre de la perestroïka (« reconstruction ») et de la glasnost (« transparence ») n’ont pas vraiment séduit, dans un empire moins fermé à l’influence occidentale au fil des années1980. « Les Russes n’ont jamais pardonné le fait qu’il a cru à la sincérité de l’Occident, autrefois. Tout cela a engendré des crises terribles et c’est l’origine de la crise actuelle », a estimé mardi soir sur franceinfo Vladimir Fédorovski, son ancien conseiller diplomatique.
Les nostalgiques de cette grande puissance soviétique et de ses Etats-satellites lui reprochent toujours d’avoir précipité le déclin de l’empire au tournant des années 1990. Vladimir Poutine a lui-même estimé, dès 2005, que la chute de l’URSS était « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier ». Dans son hommage à Mikhaïl Gorbatchev, le président actuel insiste d’ailleurs sur l’époque pendant laquelle le dirigeant a gouverné, plus que sur ses réalisations : « Il a dirigé notre pays pendant une période de changements complexes et dramatiques, de politique étrangère à grande échelle, de défis économiques et sociaux. »
Mikhaïl Gorbatchev avait à demi-mot reconnu la pertinence de ces critiques, il y a dix ans, dans ses mémoires : « Nous n’avons pas réformé à temps l’Union soviétique. Nous n’avons pas transformé à temps le Parti communiste en un parti démocratique moderne. Ce sont les deux principales erreurs ». Pour beaucoup de Russes, les « erreurs » de Mikhaïl Gorbatchev ont provoqué une explosion de la pauvreté dans les années 1990, qui se double d’une forme de chaos incarné par la guerre en Tchétchénie. En 2018, selon la Banque mondiale, plus d’un Russe sur deux était en insécurité économique, la situation étant particulièrement difficile dans les campagnes.
« Nous sommes tous devenus orphelins »
Toute la population russe ne partage cependant pas la relative indifférence des autorités pour Mikhaïl Gorbatchev. Plusieurs progressistes et opposants à Vladimir Poutine lui ont rendu hommage depuis mardi soir. « C’était un grand homme politique. Il n’y a jamais eu autant de liberté en Russie qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990. C’est son mérite », a salué le journaliste russe Mikhaïl Fishman.
« Nous sommes tous devenus orphelins, mais tout le monde ne l’a pas encore compris », a quant à lui assuré Alexeï Venediktov, un ami de l’ancien dirigeant, qui fut directeur d’une radio moscovite avant d’être débarqué pour sa couverture critique de la guerre en Ukraine. Ce dernier rapportait, fin juillet, que l’ancien dirigeant était « irrité » par le conflit déclenché en février par le Kremlin. (Franceinfo)