vendredi, novembre 15, 2024
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Samira Brahmia : « Rendre hommage aux femmes et à la femme africaine »

Symbole de la diversité, Samira Brahmia fait des chansons qui sont des hymnes à toutes les bonnes causes pour lesquelles l’engagement se réduit de jour en jour dans le monde d’aujourd’hui. Franco-algérienne, elle chante pour rapprocher les cultures. Son dernier album « Mama » est un hommage à la femme africaine, dont les droits ne sont pas toujours respectés dans un certain nombre de pays africains. Elle s’est confiée au Point Afrique.

Le Point Afrique : Votre nouvel album porte le nom « Awa », la traduction du prénom Ève en arabe, notre mère à tous. Dans quel état d’esprit l’avez-vous préparé ?

Samira Brahmia : J’ai mis plusieurs mois et même plusieurs années à réfléchir à ce que je voulais réellement en tant que femme, en tant qu’artiste et en tant que citoyenne du monde. Je me suis rendu compte que ce désir d’album était avant tout un besoin d’expression : le désir d’être heureuse et de partager des choses qui me touchent personnellement. Cet album est musicalement pour moi l’expression de toutes mes influences et tous mes univers qui vont des sonorités africaines en passant par le jazz, par la pop ou la folk et, sur le plan du contenu, j’ai voulu absolument dire ce que j’avais à dire, rendre hommage aux femmes, et à la femme africaine plus précisément. C’était pour moi une évidence. En vérité, j’ai laissé mon instinct parler et, surtout, j’ai fait appel aux personnes que j’aime pour m’entourer et finaliser cet album.

Désormais, vous êtes un visage et une voix de cette musique métissée où se mêlent les influences pop rock, les airs africains et les sonorités du désert. Que voulez-vous exprimer à travers ce mélange et ce genre musical ?

Cet album est un mélange de genres, parce que je viens d’un pays qui se trouve à la croisée des chemins entre le nord et le sud de l’Afrique, entre l’Orient qui est à l’est et l’Occident qui est au nord. J’ai grandi dans cette culture métissée et j’en suis très fière, je veux absolument transmettre un message aux jeunes créateurs : il ne faut pas s’enfermer dans un style ou dans une mode. Je pense sincèrement qu’un artiste doit créer librement au-delà de toute considération ?

Dans cet album, il y a la chanson « Mama » dans laquelle vous rendez hommage à la femme africaine. Même si sa situation est différente d’un pays à l’autre, sa condition reste globalement difficile sur le plan des libertés et des droits fondamentaux. Quel regard portez-vous sur la femme africaine et comment la musique peut-elle aider à sensibiliser, afin d’améliorer sa condition ?

« Mama » est un titre auquel je tiens beaucoup, les paroles m’ont été offertes par Magyd Cherfi, j’ai aussi eu la chance d’avoir une adaptation en peul par mon amie sénégalaise Penda Niang. Cet hommage était important pour moi, car derrière le mot « mama » il y a beaucoup de clichés. On met rarement en lumière le travail, la ténacité et le courage d’une mama ! Quand je chante « Mama », je chante pour toutes les femmes, qu’elles soient mères ou pas, et même cette dimension peut aller jusqu’à l’universalité. Mama, c’est la protection ; mama, c’est mama Africa ; mama, c’est la dignité. Nous savons que, à des moments et à des endroits différents, les droits fondamentaux concernant la femme sont bafoués ; à travers ce titre, je veux que l’on sache qu’une mama peut courber l’échine, mais jamais perdre de vue son objectif. Alors, oui, il y a du travail par rapport aux droits des femmes, par rapport à la visibilité de l’apport de la femme sur le continent africain, mais je suis persuadée que si nous travaillons tous et toutes ensemble afin de mettre en lumière ces femmes qui existent partout à travers le continent et qui mènent des combats acharnés afin de rendre la société meilleure, nos filles arriveront à se construire, car elles ont besoin de modèles qui leur ressemblent.

Vous êtes admiratrice de Miriam Makeba et de Cheikha Rimitti, deux grandes dames qui ont milité, chacune à sa manière, pour les droits des femmes en Afrique. Parlez-nous de ces deux femmes et pourquoi vous fascinent-elles ?

Je suis très admirative de ces deux femmes, car elles ont eu des parcours similaires et différents en même temps.

J’admire Miriam Makeba par rapport à sa vision panafricaine, j’ai beaucoup de compassion pour elle, car je sais que quitter son pays et ne pas savoir si on pourra le revoir avant de mourir est un déchirement. Je l’admire aussi, car elle nous a fait rêver quand elle est venue à Alger pour le Festival panafricain et qu’elle a chanté « Je suis libre en Algérie ». Elle a construit les prémices d’une vision que je continue à percevoir et pour laquelle je me battrai toujours. Être là pour l’autre est une valeur africaine et c’est ce qu’elle a transmis à mes yeux, car elle a, à travers ses engagements, écumé beaucoup de pays africains pour dire que la culture était importante dans la construction postcoloniale de nos pays.

Cheikha Rimitti est pour moi une icône, elle a cassé, à travers son chant et sa présence scénique, tous les tabous de notre société algérienne, elle a chanté l’amour, la nature humaine, l’Algérie profonde, cette Algérie que j’aime qui est vraie sans artifices et qui est plus africaine que jamais. Nous aimons raconter notre terre, nos récoltes, combien nous avons vendu de tête de bétail ce qui nous permettra de faire ou pas la fête.

Cette grande dame est le témoin à mes yeux d’une Algérie qui existe et qui continuera à exister, l’Algérie de l’amour, l’Algérie où on parle du désir, l’Algérie où la parole donnée vaut une vie, la force du mot et du verbe.

Cette dame représente pour moi le combat d’une vie, elle a fait face à la société et a mené sa vie comme elle le voulait.

Ce que je déplore contrairement à Miriam Makeba, c’est qu’elle est morte dans l’indifférence totale. Toutes les deux restent une énorme inspiration pour moi.

Lors de votre passage sur le plateau du télé-crochet musical The Voice, en 2015, vous avez fait trembler l’ensemble du jury avec une chanson d’amour du creuset pluriculturel de l’Andalousie médiévale, « Haramtou Bik Nouassi ». Vous maîtrisez toutes les influences musicales, pourquoi ce choix ?

J’ai choisi de défendre cette chanson, car j’avais décidé d’écouter mon instinct, je vous avoue que je l’écoute de plus en plus. Je remercie en passant l’équipe de The Voice qui a soutenu mon choix, je vous avoue que je ne m’y attendais pas.

Ce qui est incroyable, c’est la réaction des gens par la suite, je me suis rendu compte que le fait de chanter une chanson en arabe à une heure de grande écoute sur l’une des télévisions les plus regardées de France a été exceptionnel. Les gens se sont reconnus sur les écrans et dans une langue qu’ils comprenaient.

C’est pour cela que je continuerai à chanter dans toutes les langues qui font de moi ce que je suis. Dans les langues que je chante, je raconte des histoires et des mémoires qui sont essentielles à l’évolution de notre société.

D’après vous, comment la diversité peut-elle aider une société à vivre en harmonie avec toutes ses richesses culturelles ?

La richesse d’une société passe par sa culture, si elle est plurielle, diverse et cela veut dire que cette société est tolérante et respectueuse des différences. La culture est essentielle, car elle est témoin de notre histoire commune et de nos espoirs.

Si un enfant se reconnaît dans le paysage culturel qui l’entoure, cela veut dire qu’il est reconnu par sa société, si nous voulons construire un avenir meilleur pour nos enfants nous devons leur raconter leur histoire et l’histoire des autres afin d’ouvrir leurs esprits et consolider certaines valeurs, comme la tolérance et le partage.

Votre guitare acoustique vous accompagne partout, elle a une valeur symbolique et sentimentale pour vous, car c’est un cadeau de votre père. Cette guitare est-elle, un peu, votre bâton de pèlerin pour défendre vos valeurs dans votre cheminement d’artiste, où vous prônez l’amour et revendiquez votre identité plurielle ?

Ma guitare a une valeur plus que sentimentale.

C’est mon cher père qui me l’a offerte pour mon mariage. Ce que je veux dire aujourd’hui, c’est que mes parents ont préféré mettre l’accent sur la culture et la connaissance pour que l’on puisse avoir des bagages mes frères et moi dans la vie.

Ce qui est incroyable, c’est que cette même guitare m’a permis de voyager à travers le monde et de rencontrer une multitude de gens de cultures différentes.

Cette guitare m’a permis de raconter mes origines, mon histoire, mes combats, ma folie et surtout mon amour de la vie et des autres.

Je sais que mon père veille sur moi de là où il est. Pour lui et pour sa mémoire, je continuerai à travailler mon instrument et à raconter notre histoire commune et qui met en évidence nos fragilités qui font de nous des êtres humains.

Vous êtes ambassadrice du droit d’auteur en Afrique auprès de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) et en Algérie auprès de l’Office national des droits d’auteur et droits voisins (Onda). Quel constat faites-vous en ce qui concerne cette question à l’heure du développement massif de l’art africain et de la musique dématérialisée ?

Avant tout, je suis très fière de cette nomination et c’est une fonction qui me tient à c?ur !

Je pense sincèrement que la question des droits d’auteur en Afrique reste à construire ensemble, il est évident que la création africaine est omniprésente dans le monde d’aujourd’hui et que le fait de faire respecter les lois internationales au sujet des droits d’auteur est d’actualité, car elle permet aux créateurs africains de vivre dignement grâce à leurs créations. Dans le continent africain, nous n’avons pas encore pris conscience que le secteur de la culture crée de la richesse et des emplois, nous devons éduquer les prochaines générations dans ce sens.

Enfin, je pense sincèrement que la question du droit d’auteur en Afrique doit passer par la solidarité et le partage, car nous devons réussir ensemble. Nous devons aider les pays qui n’ont pas les moyens de faire respecter les lois par faute d’argent et aussi penser à créer des caravanes afin d’identifier les ?uvres africaines et de les numériser, car il est bien souvent difficile pour un auteur africain de se rendre à la capitale afin de déposer ses ?uvres j’aimerais que l’on réfléchisse ensemble afin de ne laisser personne sur le bord de la route.

Sachez enfin que je suis disposée et que je serai heureuse de venir sur le continent africain afin d’échanger avec tous les acteurs culturels accompagnés par la Cisac et l’Onda.

Vous êtes née en France et avez vécu une grande partie de votre vie en Algérie. Depuis plus de dix ans, vous excellez dans le milieu de la musique « du monde ». En regardant votre parcours, quel est votre bilan ?

Tout d’abord, je ne regrette absolument rien.

Je remercie mes musiciens et amis, comme Karim Ziad, Youcef Boukella, Khliff Miziallaoua, Meddhy Ziouche, Hicham Takaoute, Fred Soul, mon directeur artistique Slam Djerbi, mes partenaires TV5 Monde, l’Institut du monde arabe et toutes les personnes qui m’ont soutenue.

Après dix ans, et même plus, je peux vous dire qu’évoluer est la seule solution, que faire des erreurs fait partie de la vie, que la musique est un métier, que nous ne pouvons réussir que si nous nous associons à des gens qui respectent ce que nous sommes et là où nous voulons aller.

En tant que femme, artiste, mère, je souhaite juste que l’on partage des moments de bonheur ensemble.

J’ajouterai que cette musique du monde est, en fin de compte, la nourricière de toutes les musiques émergentes. J’aimerais qu’elle soit plus présente dans le paysage commun, car elle nous appartient à tous. (Le Point)

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