samedi, novembre 23, 2024
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Afrique du Sud : Jacob Zuma se déchaîne

Libre depuis le 7 octobre, l’ex-président sud-africain règle ses comptes avec la justice, la presse et son successeur, Cyril Ramaphosa. Il envisage même un retour en politique.

La prison ne l’a pas changé. Certes, Jacob Zuma n’a pas passé beaucoup de temps derrière les barreaux. Deux mois, dont un à l’hôpital, pour une condamnation à quinze mois fermes pour outrage à la justice, prononcée en juin 2021. Sa détention a pris fin dès septembre 2021 pour « raisons de santé ». Le bon de sortie était signé de la main d’Arthur Fraser, à l’époque directeur des services pénitentiaires et qui fut le chef des services de renseignements quand Zuma était au pouvoir.

Phase terminale

Malgré la fin de sa peine, officiellement éteinte le 7 octobre 2022, l’intéressé voit le régime de liberté conditionnelle qui lui avait été accordé contesté devant la justice par le parti de l’Alliance démocratique (DA, opposition) et par deux organisations de la société civile. Ses avocats avaient affirmé que leur client affrontait une maladie en phase terminale et que son état était incompatible avec en séjour un cellule. L’argumentaire a pris du plomb dans l’aile : lors de sa conférence de presse, ce 22 octobre, l’ancien président a démontré qu’il restait un solide gaillard à la langue bien pendue.

Quand un journaliste lui a demandé si son âge avancé et son état de santé ne l’empêcheraient pas de revenir en politique, l’octogénaire s’est emporté : « C’est quoi, le problème avec ma santé ? ». Et a ironisé : « Quand vous me regardez, je vous donne l’impression d’être allongé sur un lit d’hôpital ? Vous posez vraiment une drôle de question ».

Alors pourquoi ne pas remonter sur le ring ? Le Congrès national africain (ANC) doit se réunir, en décembre, pour renouveler sa direction. « J’entends dire que je suis nommé pour être président […] par des camarades. Ils doivent avoir de bonnes raisons pour le faire […]. Si des membres de l’ANC disent : “On veut que ce soit vous, Jacob Zuma”, qui suis-je pour refuser ? » fait mine de s’interroger l’ancien chef de l’État.

« Il va se ridiculiser », soupire un reporter qui connaît bien l’énergumène et ne croit pas en ses chances d’être élu. D’ailleurs, il vient d’essuyer un premier échec dans sa province du KwaZulu-Natal. Alors qu’il faisait campagne pour son ex-épouse, la ministre Nkosazana Dlamini-Zuma, déjà candidate en 2017, les représentants régionaux de l’ANC ont préféré soutenir Zweli Mkhize, l’ancien ministre de la Santé.

Règlements de comptes

En attendant, Jacob Zuma règle ses comptes avec la terre entière et se pose en victime d’un complot international. Ses anciens proches sont devenus ses pires ennemis. À commencer par Raymond Zondo. Le président de la Cour constitutionnelle est cité dix-sept fois dans l’interminable discours que Zuma a lu laborieusement. Le juge Zondo a donné son nom à la Commission anticorruption qui a enquêté sur un système de captation des finances de l’État qui aurait été établi sous la présidence Zuma. C’est parce qu’il avait refusé de témoigner devant cette commission que la Cour avait condamné l’ex-président à quinze mois de prison.

Zuma accuse le juge d’être l’artisan de sa chute et le rouage d’un vaste complot  destiné « à remplacer le groupe progressiste du mouvement de libération par une nouvelle élite politique, qui maintiendrait les structures coloniales de l’apartheid pour contrôler l’économie. » Il dit se fonder sur des rapports d’agences de renseignement, tout en refusant de présenter la moindre preuve.

« Peut-être ses fans le croient-ils, mais certainement pas le Sud-Africain moyen, estime Lukhanyo Calata, éditorialiste politique sur la chaîne Newzroom Afrika. Chacun sait que Zuma essaie toujours de se présenter comme une victime. Il nous sort ses théories sur le complot du grand capital mondialisé, alors que c’est lui qui a vendu le pays [à la famille] Gupta ! Il qualifie les autres de corrompus, mais il est le plus corrompu d’entre tous ! »

Paranoïa

Dans l’esprit paranoïaque de Zuma, les médias sont responsables d’une « vague de propagande incessante destinée à saboter la mission historique de l’ANC ». Ses attaques ont pris une autre dimension depuis qu’il a porté plainte contre une journaliste. La chroniqueuse judiciaire Karyn Maughan avait en effet dévoilé le contenu d’une lettre transmise à la justice par l’équipe médicale de Zuma et évoquant son état de santé. Depuis, Zuma l’accuse d’avoir fait fuiter le document avec la complicité du procureur Bill Downer.

Le 10 octobre, la journaliste et le procureur étaient réunis sur le banc des accusés. Presse et justice… Les deux piliers de la démocratie contre lesquels Jacob Zuma est en conflit ouvert.

S’il en avait eu la possibilité, Jacob Zuma aurait appelé Cyril Ramaphosa à la barre. « Votre président est corrompu », a-t-il lancé au milieu de sa conférence de presse. Il en veut pour preuve l’affaire Phala Phala. Ramaphosa est sous le coup de plusieurs enquêtes pour avoir caché, dans sa ferme, une importante somme d’argent en dollars, découverte par des cambrioleurs. L’origine suspecte des fonds et la dissimulation de l’affaire font l’objet d’une plainte déposée par Arthur Fraser, ce proche à qui Jacob Zuma doit sa libération.

Zuma estime que les journalistes détournent le regard quand le chef de l’État est mis en cause. « Il est intéressant d’observer le silence qui règne autour des nombreuses accusations visant le président en exercice. Aurait-ce été le cas si j’avais, moi, été accusé de cacher des millions sous mon matelas ? » s’est-il indigné.

Logorrhée autocentrée

Vendue comme une « adresse à la nation » riche en révélations, la conférence de presse de Jacob Zuma s’est révélée être une logorrhée autocentrée, truffée d’attaques ad hominem et de théories conspirationnistes. « Ce n’était pas très habile de venir s’exprimer ainsi. Quand vous restez silencieux, vous entretenez une forme de mystère sur ce que vous savez, sur votre pouvoir, résume Lukhanyo Calata. Mais quand vous vous exprimez comme Zuma l’a fait, tout cela s’évapore. Maintenant, on sait qu’il n’a pas grand-chose à dire. » (Jeune Afrique)

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