Depuis plus de trente ans, la partie est de la République démocratique du Congo (RDC) vit dans une insécurité permanente, entretenue par de nombreuses milices locales et étrangères. Ces derniers mois, la situation s’est aggravée sur le front des combats ainsi qu’au niveau politique. Hier, des dizaines de manifestants, à pied ou à moto, ont fait le tour des églises pour appeler les habitants à « une grande marche » ce lundi 31 octobre contre « l’agression du Rwanda », d’après un correspondant de l’AFP dans le chef-lieu du Nord-Kivu. Arrivés au bureau régional de la banque BDEGL (Banque de développement des États des Grands Lacs), ils ont décroché un drapeau rwandais qu’ils sont allés brûler à un poste-frontière tout proche. « On ne veut pas voir de Rwandais chez nous », criaient des manifestants. « Nous leur donnons 24 heures, si on les voit demain, c’est fini », affirmait l’un d’eux. Face à lui, un jeune brandissait une longue machette en direction du Rwanda. D’autres affirmaient leur soutien à l’armée congolaise face à la rébellion et demandaient qu’on leur donne « des armes afin de pouvoir combattre le Rwanda ».
Cette escalade des tensions intervient alors que sur le terrain, côté RDC, les rebelles du M23 poursuivent leur offensive contre l’armée congolaise et sont désormais à quelques dizaines de kilomètres de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu. Sur le front diplomatique, Kinshasa a annoncé samedi soir l’expulsion de l’ambassadeur du Rwanda en RDC, Vincent Karega, après des mois de tensions et d’accusations de soutien au M23, démenties par Kigali qui affirme en retour que la RDC collabore avec des rebelles hutus rwandais.
L’Union africaine (UA) a appelé aussitôt dimanche à « un cessez-le-feu immédiat [?] à respecter le droit international, la sécurité des civils et la stabilité aux frontières de tous les pays de la région ». Dans le même temps, le nouveau commandant de la région militaire, le général major Bruno Mpeza, arrivait à Goma. « Le défi va être relevé », a-t-il assuré aux journalistes à sa descente d’avion en appelant la population au calme. « La force sera toujours à l’État [?] Tout ce qui appartient au Congo sera récupéré », a-t-il déclaré.
Sur le terrain, le M23 gagne des villes
Le M23 (« Mouvement du 23 mars »), une ancienne rébellion tutsie, a occupé Goma pendant une dizaine de jours fin 2012, avant d’être vaincu l’année suivante par les forces armées congolaises et les Casques bleus. Il a repris les armes fin 2021 en reprochant à Kinshasa de ne pas avoir respecté des accords sur la réinsertion de ses combattants. Ces derniers jours, les rebelles ont mené une offensive qui les a conduits jusqu’à la route nationale 2, le grand axe desservant Goma, où ils se sont emparés des villes de Kiwanja et Rutshuru-centre, à quelque 70 km de la capitale régionale, qui compte plus d’un million d’habitants.
Des éléments rebelles ont aussi été signalés à environ 30 km de la ville, à Rugari, où une source sécuritaire faisait état de combats dimanche. Des affrontements sont également signalés au niveau de Rumangabo, à mi-chemin entre Rutshuru-centre et Rugari, où se trouvent une base de l’armée congolaise (FARDC) et le quartier général du parc national des Virunga, célèbre pour ses gorilles de montagne.
Selon des témoignages, la base militaire est largement désertée, mais reste sous surveillance d’un contingent de la mission de l’ONU (Monusco), tandis que les rebelles du M23 sont présents dans la localité de Rumangabo, où ils ont installé une batterie d’artillerie.
Samedi, la Monusco a annoncé avoir « élevé le niveau d’alerte de ses troupes, déployées pour soutenir les FARDC dans leurs opérations contre le M23, fournissant notamment un appui aérien, du renseignement et de l’équipement ». Quatre Casques bleus ont été blessés. Mais aucun bilan des pertes civiles provoquées par ces derniers jours de combats n’est disponible. Des dizaines de milliers de personnes ont fui leurs villages depuis la reprise des affrontements, il y a dix jours.
Sur le front diplomatique : la crise
En annonçant l’expulsion de l’ambassadeur du Rwanda en RDC, Vincent Karega, « dans les 48 heures après sa notification », le gouvernement congolais a affirmé qu’une « arrivée massive d’éléments de l’armée rwandaise » avait été observée dans la région pour appuyer le M23 « en vue d’une offensive générale ».
Le Rwanda a dit dimanche avoir « noté avec regret » la décision de Kinshasa. « Il est regrettable que le gouvernement de RDC continue de faire porter au Rwanda la responsabilité de ses propres échecs de gouvernance et de sécurité », ont affirmé dans un communiqué les autorités rwandaises, en ajoutant que les forces de sécurité rwandaises à la frontière avec la RDC avaient été placées en état d’alerte.
Les relations entre le Rwanda et la République démocratique du Congo sont aussi conflictuelles qu’historiques, engluées depuis près de 30 ans dans le contrecoup du génocide rwandais de 1994. Avant les indépendances, des milliers de paysans rwandais se sont installés dans les collines fertiles du Kivu ou l’ont été par les colons belges (présents au Congo et au « Ruanda-Urundi »), conduisant à l’implantation d’une communauté rwandophone (les « Banyarwanda », « Banyamulenge », « Banyabwisha »). Après, chaque crise à connotation ethnique au Rwanda ou au Burundi provoquait une nouvelle vague de réfugiés. De manière récurrente, ces communautés rwandophones ont vu leur nationalité et leur légitimité à vivre sur ses terres remises en cause, les conduisant à créer des milices d’autodéfense. (Le Point Afrique/Afp)