Après Alger où il a séjourné en parallèle avec la cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna qui était à Rabat au Maroc, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est arrivé le 20 décembre 2022, à Dakar au Sénégal. Qu’est-ce qui fait courir les officiels français en Afrique ? Telle est la question que l’on pourrait se poser face au ballet incessant français sur le continent. Officiellement, la visite du ministre Darmanin au pays de la Teranga, intervient dans le prolongement d’un séminaire intergouvernemental franco-français qui s’est tenu début décembre en France avec une vingtaine de ministres des deux pays.
A l’ordre du jour des échanges qu’il aura avec son homologue sénégalais, Amadou Ba, sont inscrites les questions migratoires et sécuritaires. En ce qui concerne la problématique de la gestion du flux migratoire entre le Sénégal et la France, l’enjeu est non seulement de travailler sur la coopération entre les deux Etats pour les expulsions des ressortissants en situation irrégulière, notamment les dealers de crack, mais aussi de faciliter l’immigration de « certaines catégories, notamment les professionnels et les jeunes actifs ».
Cette cour assidue à l’Afrique n’est pas étrangère au conflit russo-ukrainien
Sur le volet de la sécurité, Darmanin et Ba évoqueront la poursuite du soutien aux policiers sénégalais via leur formation, y compris en matière de lutte contre la cybercriminalité dans un contexte caractérisé par l’augmentation de la menace terroriste. Toujours dans le domaine de la sécurité, il sera abordé la question de la lutte contre le trafic de stupéfiants qui est en nette augmentation, avec pour objectif de développer le partage d’informations entre les deux pays. Enfin, dernier axe de cette coopération sécuritaire, il sera question de définir la façon dont la France contribuera à la sécurisation des Jeux olympiques de la jeunesse qui se dérouleront dans la capitale sénégalaise en 2026. Mais au-delà de ce programme officiel, il y a, à travers cette visite du ministre de l’Intérieur français, un agenda caché.
En effet, ce voyage à Dakar, tout comme les autres déplacements d’officiels français en Afrique, est à inscrire dans la droite ligne de l’appel lancé par le président français, Emmanuel Macron, aux diplomates français, à plus d’offensive en Afrique avec en ligne de mire, de contrecarrer les avancées russe et chinoise sur le continent. C’est sans doute dans la dynamique de cette nouvelle opération de charme que s’inscrit la levée des restrictions sur les visas pour l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, annoncée par Darmanin lors de son voyage au Maghreb. Cette cour assidue à l’Afrique n’est pas étrangère au conflit russo-ukrainien qui a montré toutes les faiblesses des économies européennes en général et française en particulier. En effet, on le sait, l’Europe dépend fortement, sur le plan énergétique, des hydrocarbures russes.
Le continent noir doit saisir cette nouvelle ruée des grandes puissances, comme une nouvelle opportunité
La fermeture du robinet par Vladimir Poutine, oblige les Occidentaux à rechercher de nouveaux partenaires économiques ailleurs sous peine d’assister, impuissants, à l’effondrement de leurs économies avec immanquablement de graves conséquences sociales. Mais la question que l’on peut se poser est la suivante : la France ne se réveille-t-elle pas trop tard ? Tout laisse à croire, en effet, qu’elle est aujourd’hui largement devancée par ses concurrents chinois et russe qui ont l’avantage de ne pas être handicapés par le lourd passé colonial que traîne la France comme un boulet avec les liens néocoloniaux que dénoncent aujourd’hui les opinions publiques africaines.
S’il y a bien quelque chose qui est partagé en Afrique aujourd’hui, c’est le sentiment anti-français. Mais ce qui fait le plus l’attrait des Africains pour les Russes et les Chinois, c’est sans doute le fait que leur offre de coopération n’est pas assujettie à des conditionnalités. En tout état de cause, l’on peut dire que la mission de Darmanin ressemble à une bataille titanesque, tant il parait aujourd’hui évident que la France a déjà quasiment perdu l’Afrique. Cela dit, le continent noir doit saisir cette nouvelle ruée des grandes puissances sur le continent, comme une nouvelle opportunité pour amorcer son envol économique et pour se faire une nouvelle place sur la scène mondiale où, jusque-là, sa voix est très faiblement audible.
Et pour saisir cette opportunité, il faut d’abord des dirigeants décomplexés qui puissent défendre les intérêts de leurs peuples respectifs. Il faut aussi et surtout, pour les Africains, aller à la rencontre du monde extérieur, notamment occidental, avec des projets structurants et cela, non plus en tendant la sébile, mais dans une dynamique de partenariat gagnant-gagnant. Il serait dommage que l’Afrique manque ce rendez-vous en s’enfermant dans un souverainisme de mauvais aloi qui consiste à faire le dos rond au monde occidental en général et à la France en particulier.
Car, véritablement, ce dont il doit s’agir, ce n’est sans doute pas de préférer Pierre à Paul mais de profiter des avantages que l’un et l’autre peuvent offrir en lien avec les priorités du continent. Et c’est en cela que l’on peut déjà saluer la posture du Sénégal qui, tout en gardant de bonnes relations avec l’ancienne métropole coloniale, a ouvert son économie au monde asiatique, particulièrement à la Turquie et à la Chine. L’on peut cependant regretter, au regard de l’ordre du jour de la visite du ministre français, que les vraies priorités de développement du Sénégal ne semblent pas être celles de la France qui, visiblement, est plus préoccupée par sa toilette intérieure qui lui permettra de se débarrasser des parasites et autres indésirables fournis par l’immigration. (Le Pays)