vendredi, novembre 22, 2024
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À Cannes, l’Afrique est reine

Des pionniers du genre, honorés sur la Croisette, à la nouvelle génération… Pour sa 76e édition, le festival de Cannes a mis ses pendules à l’heure africaine.

Un corps de brindille dans une tenue coquette rose bonbon, une frimousse juvénile tirant la langue en photocall devant une armada de photographes, index et majeur levés formant le « v » de victoire… Cette silhouette gracile et mutine est celle de Ramata-Toulaye Sy. Elle est le visage de la nouvelle génération du cinéma sénégalais. Et elle le sait, n’hésitant pas à faire des pieds de nez à l’industrie.

Mais n’allez pas lui parler de nouveau visage, la benjamine de la compétition risquerait de vous clouer le bec aussi sec. « Cela fait longtemps que je travaille, j’ai coécrit des scénarios, je suis allée à l’université, j’ai fait la Fémis. Peut-être que vous ne me connaissiez pas jusqu’à présent, mais mon travail ne date pas d’hier. Maintenant vous me connaissez. » Tels sont les mots qu’a prononcés, triomphante, la cinéaste de 36 ans devant le parterre de journalistes du Palais des festivals et des congrès de Cannes, au lendemain de la projection de Banel & Adama.

La relève du cinéma africain

Un aplomb qui frôle l’arrogance. Mais la scénariste de formation a de quoi être fière puisque qu’elle voit son premier film, une histoire d’amour sur fond de réalisme magique, directement sélectionné en compétition officielle. « Je suis originaire du Sénégal. Mes parents viennent de là-bas et j’ai grandi dans la tradition peul. Je ne voulais pas que l’on me cloisonne dans un univers de banlieue. Il était évident pour moi de camper mon histoire dans le village de Fouta où j’ai passé la plupart de mes vacances scolaires », défend celle qui ne se reconnaît pas dans le travail de ses aînés.

À l’évocation des grands noms du cinéma africain, comme le cinéaste malien Souleymane Cissé et l’écrivain et réalisateur sénégalais Ousmane Sembène, elle préfère mentionner la littérature et le théâtre classique français, bien qu’admirative de leur travail qu’elle a connu sur le tard.

Pourtant, c’est bien en digne héritière d’Ousmane Sembène que le ministre de la Culture et du Patrimoine sénégalais, Aliou Sow, l’a présentée lors d’un passage éclair, mais remarqué, au chapiteau des cinémas du monde longeant la baie de Cannes. Devant une foule de professionnels du secteur majoritairement sénégalais – aussitôt repartis après l’intervention de l’homme politique –, le professeur titulaire des universités d’études africaines du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) s’est dit heureux de voir l’Afrique dignement représentée sur la Croisette, avec six films nord-africains (Les Filles d’Olfa de la Tunisienne Kaouther Ben Hania, Les Meutes du Marocain Kamal Lazraq, etc.), et quasi autant de long-métrages subsahariens, lors d’un hommage au centenaire d’Ousmane Sembène.

« J’ai été bercé par les écrits de Sembène, et nous pouvons être fiers de voir cette année un premier film sénégalais directement en lice pour briguer la Palme. Avec Banel & Adama, une coproduction franco-sénégalaise, nous voyons qu’une relecture des rapports diplomatique et culturel est possible », a-t-il lancé dans un discours évoquant les récentes ruptures entre les pays d’Afrique de l’Ouest et la France.

L’heure n’est pourtant pas à la politique, mais plutôt à la célébration du patrimoine cinématographique africain, pourtant menacé. Si l’œuvre de celui qui préférait qu’on le nomme par son patronyme, rappelle Cheick Oumar Sissoko – cinéaste malien et secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) –, est reconnue par ses pairs et la profession, elle souffre d’un manque de conservation. Un vaste plan de préservation et de restauration a ainsi été lancé par la cinémathèque africaine, un élément important de la politique culturelle africaine du président Macron, pour permettre au patrimoine cinématographique africain de circuler. Et inspirer, si ce n’est Ramata-Toulaye Sy, la nouvelle génération de cinéastes du continent.

Hommage aux pionniers

Car, qu’elle le veuille ou non, que serait-elle sans ses aînés, sans ceux qui ont marqué de leur empreinte le tapis rouge du Grand Théâtre Lumière, bien avant elle. Au milieu d’un cortège de costumes tirés à quatre épingles et de robes de sirène à traîne, le réalisateur malien de 82 ans, Souleymane Cissé – Prix spécial du jury au festival de Cannes pour Yeelen en 1987 – foule les marches en boubou aux tonalités ocres. C’est entouré de sa famille qu’il rejoint la cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des cinéastes en ce deuxième soir de festival pour recevoir des mains des coprésidents de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) l’une des plus prestigieuses récompenses, le Carrosse d’or.

Ce prix, qui vient saluer l’ensemble de son œuvre, intervient près de 20 ans après la distinction d’Ousmane Sembène. Sur la scène du théâtre, le réalisateur de Den Muso – projeté un peu plus tôt ce même jour sur la Croisette – saisit sa couronne dorée avant de la tendre au-dessus de son couvre-chef, auréolant ainsi sa tenue déjà flavescente. « Seuls deux cinéastes africains ont reçu le Carrosse d’or, c’est dire combien ce cinéma a été jusqu’ici sous-exposé, combien il manque à la cinéphilie mondiale. Ainsi nous remercions infiniment Souleymane Cissé d’avoir accepté de recevoir cet hommage », a-t-on pu entendre lors de la remise.

Deux cinéastes, c’est en effet bien peu. « On se souvient du chef-d’œuvre du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako et de son long-métrage Timbuktu présenté en compétition officielle en 2014 à Cannes, qui méritait amplement la Palme d’or », glisse Xavier Leherpeur, journaliste français spécialiste du cinéma rencontré quelques jours avant le début des festivités. Mais Jane Campion, alors présidente du jury, avait estimé l’œuvre peu pertinente, se souvient-il. « Une appréciation que je ne comprends toujours pas. »

Si l’œuvre contemporaine africaine a su se distinguer cette année, avec notamment deux premiers long-métrages dont Augure (Un Certain Regard), du Belgo-Congolais Baloji, 45 ans – un film sur le retour au pays sur fond de sorcellerie acclamé lors de sa projection –, c’est aussi parce que cette nouvelle génération se réclame d’une africanité et d’un imaginaire (parfois fantasmé) propre au continent. Leurs aînés, eux, ont grandi sans supports et sans références.

« Un imaginaire propre au cinéma africain »

« J’ai passé toute mon enfance à voir des films qui ne parlent pas ma langue, mais je comprenais l’histoire. Ça me touchait », a rappelé Souleymane Cissé lors de sa remise de prix. « Le cinéma est pour moi un moyen très efficace de rapprocher les hommes. C’est pour cette raison que je ne me suis jamais senti comme étant un réalisateur noir, mais tout simplement comme un être humain. Et j’en suis fier. » Aujourd’hui, la tendance s’inverse. La fierté semble passer par la revendication et l’appartenance aux territoires africains pour mieux en raconter les histoires spécifiques.

« Ces pionniers nous ont ouvert la voie, alors qu’ils ont été confrontés à la censure », glisse la réalisatrice camerounaise Rosine Mbakam, 43 ans, à l’abri des objectifs, sur la plage privée de la Quinzaine des cinéastes, catégorie ayant sélectionné son film remarquable, Mambar Pierrette, dont l’histoire est celle d’une couturière et mère de famille isolée qui vit et travaille dans un quartier difficile de Yaoundé.

« Tous ces parcours et ces références me donnent envie de poursuivre mon travail, car on ne s’est pas suffisamment racontés. Toutes ces histoires, passées et actuelles, vont permettre de construire un imaginaire propre au cinéma africain », observe la créatrice de Caravane cinéma. Avec cette structure de projections implantée au Cameroun, la cinéaste compte continuer à « montrer les films africains là-bas, et pas seulement à Cannes et à quelques privilégiés ». Mais elle est consciente, tout comme la majorité des cinéastes de sa génération présents sur la Croisette, de « l’importance de pouvoir présenter d’autres narrations ici, au public cannois, pour que celles-ci contaminent le reste du cinéma mondial ». (Jeune Afrique)

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