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RD CONGO. Patrice Lumumba, 60 ans d’histoire inachevée

HISTOIRE. Depuis son assassinat, il y a tout juste 60 ans, le 17 janvier 1961, l’héritage de Patrice Lumumba continue de vivre bien au-delà de l’Afrique.

Mort, écrivait Jean-Paul Sartre*, Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique entière, avec sa volonté unitaire, ses désordres, sa force et son impuissance. »Soixante ans après son assassinat, la dépouille de Patrice Lumumba doit revenir en République démocratique du Congo, le 30 juin prochain, jour du 61e anniversaire de l’indépendance du pays. Retour en arrière : 17 janvier 1961, l’avion en provenance de Kinshasa se pose sur la piste de l’aéroport de Lubumbashi, capitale du Katanga minier, producteur de cobalt, de cuivre, d’uranium. Puis le convoi roule 55 km en direction de Kolwezi, bifurque à droite sur une piste en latérite rouge, parcourt encore quelques centaines de mètres, s’arrête au milieu d’une savane arborée. Au pied d’un arbre, c’est un peloton d’exécution qui attend Patrice Lumumba et ses deux compagnons, Joseph Okito et Maurice Mpolo, à la nuit tombée.

Lumumba, victime des ratés de l’indépendance

À Léopoldville, l’actuelle Kinshasa, le tout jeune Premier ministre de 35 ans avait forcé les portes de l’Histoire en remportant les premières élections démocratiques jamais organisées à la veille de l’indépendance du Congo belge. Patrice Emery Lumumba né Élias Okit’Asombo (son nom signifie héritier maudit, NDLR) le 2 juillet 1925 à Onalowa, dans la région de Katako Kombe, au nord du Kasaï, entre donc dans la légende ce 30 juin 1960 avec son discours contre le racisme des colons en présence du roi des Belges Baudouin pendant la cérémonie officielle marquant la naissance du Congo : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres. » Formé chez les frères maristes de Stanleyville, Lumumba prend conscience du nationalisme africain lors de sa participation, en décembre 1958, à la conférence des États africains indépendants d’Accra, au Ghana, où il rencontre des leaders tels Kwame Nkrumah et Sekou Touré.

En répondant au monarque qui venait de saluer l’œuvre colonisatrice de son ancêtre, Léopold II, un « civilisateur » et non un « conquérant » selon lui, le Premier ministre du président Joseph Kasa-Vubu était déjà bien imprégné par les méthodes radicales employées ailleurs sur le continent. Avait-il surestimé les rapports de force en cours ? Une chose est sûre, il n’en fallait pas plus pour que les Occidentaux se méfient du jeune dirigeant nationaliste qui aggrave son cas à leurs yeux en cherchant l’appui des Soviétiques. Pour neutraliser le fondateur du Mouvement national congolais (MNC), d’inspiration socialiste et panafricaniste, les Belges et la CIA jouent sur les ambitions des autres leaders congolais, dont le jeune chef d’état-major Joseph-Désiré Mobutu, futur maître absolu du pays entre 1965 et 1997. Renversé en septembre, Lumumba est livré pour son exécution aux autorités du Katanga, qui avait fait sécession du Congo dès juillet 1960, avec le soutien de la Belgique. Son corps, dissous dans l’acide, n’a jamais été retrouvé.

Un héritage encore méconnu

Que reste-t-il aujourd’hui du héros anticolonialiste dans la mémoire des Congolais ? « Lumumba devint en un rien de temps un martyr de la décolonisation, un héros pour tous les opprimés de la Terre, un saint du communisme sans dieu », résume David van Reybrouck dans son ouvrage Congo, une histoire. « Ce statut, il le devait plus à l’horrible fin de sa vie qu’à ses succès politiques », avec seulement deux mois et demi au pouvoir, nuance l’auteur belge de référence sur l’histoire du Congo. « Avant, on disait que c’étaient les Congolais, et plus spécialement les Katangais, qui l’avaient tué. Mais les archives ont parlé : ce sont des Belges qui ont planifié la mort de Lumumba et qui l’ont fait exécuter », insiste l’historien Guillaume Nkongolo. L’universitaire montre l’endroit précis de l’exécution sur le site de Shilatembo : au pied d’un arbre, et non là où se trouve la statue, d’après ses recherches.

À l’écart de la statue en argile, l’épave d’un vieux bimoteur DC2 symbolise le dernier voyage en avion de Lumumba, ce funeste 17 janvier 1961 – en fait c’est un DC4 qui l’avait amené de Léopoldville à Elisabethville, précise l’historien. « Généralement au Congo, surtout au Katanga, quand on parle de Lumumba, on vous dit toujours que c’est une question politique, que c’est sensible », ajoute-t-il. Les Katangais considèrent que son assassinat est « un point de déshonneur » pour leur province. « Pourtant, la réalité montre que les Katangais étaient instrumentalisés par les Belges. » Dans le secondaire, Lumumba n’est enseigné qu’aux élèves de 13 et 18 ans, regrette un autre professeur d’histoire, Jean-Marie Mwengwe. « L’histoire de notre pays est très mal connue par nous-mêmes, les Congolais. »

La RDC sur le point de faire son deuil

Cela pourrait changer dans les prochaines années. En tout cas, la volonté politique y est. À Kinshasa, le nouveau président Félix Tshisekedi a annoncé un hommage à Lumumba le 30 juin prochain, à l’occasion du rapatriement de ses « reliques » – une dent qui lui aurait appartenu, et qui aurait été prélevée sur sa dépouille par un policier belge au moment de la disparition du corps. L’idée est d’offrir enfin une sépulture à celui qui n’a jamais eu de véritables funérailles. Une faute grave dans la tradition congolaise, qui exige funérailles et deuil pour assurer le passage dans l’au-delà du défunt. « Lumumba représente le symbole de l’unité du Congo. Et en plus il est aussi le héros de l’indépendance », estime son fils aîné, François Lumumba, qui a fui en Égypte puis en Hongrie après la mort de son père. « On a réactivé le Mouvement national congolais de Patrice Lumumba », affirme le fils, allusion au parti créé par son père en 1958. La famille attend toujours un procès à Bruxelles.

« C’est un symbole important pour la famille et tout le peuple congolais », affirme à l’AFP le chef du parquet fédéral belge, Frédéric van Leeuw, à propos de cette restitution qui devrait donner lieu dans les semaines ou mois à venir à une cérémonie officielle à Bruxelles, avec les enfants du défunt. Avant l’hommage en République démocratique du Congo. Juliana Lumumba, fille du héros assassiné, en avait exprimé le souhait dans un courrier adressé au roi des Belges Philippe l’été dernier, en plein mouvement planétaire Black Lives Matter. Comme aux États-Unis, l’État belge est pointé du doigt pour son passé colonial, des effigies de Baudouin et Léopold II, accusé par le collectif « Réparons l’histoire » d’avoir tué « plus de 10 millions de Congolais », ont été vandalisées au cours du printemps dernier, à Anvers et Bruxelles. La Belgique a reconnu sa « responsabilité morale » dans l’assassinat de Lumumba, dès 2001 au terme d’une commission d’enquête parlementaire.

Le temps de la justice

Soixante ans plus tard, l’enquête judiciaire ouverte en Belgique pour « crime de guerre » est dans sa phase finale, selon l’avocat Christophe Marchand, qui a déposé une plainte en 2011 au nom de François Lumumba, l’un des fils. « On se dirige vers une audience cette année devant la chambre du conseil du tribunal de Bruxelles (juridiction de renvoi, NDLR) pour voir si le dossier peut déboucher ou pas sur un procès en cour d’assises », déclare Me Marchand à l’AFP. Pour lui, le temps presse, car seules deux des dix personnes initialement ciblées par la plainte sont encore en vie. Il s’agit de l’ancien diplomate Étienne Davignon, 88 ans, et de l’ex-haut fonctionnaire Jacques Brassinne de la Buissière, 91 ans, selon des sources proches du dossier. La plainte, consultée par l’AFP, accuse « diverses administrations de l’État belge » d’avoir « participé à un vaste complot en vue de l’élimination politique et physique de Patrice Lumumba ». Elle rappelle que l’armée belge avait déployé « quelque 200 officiers » pour encadrer les forces de l’ordre de la province sécessionniste du Katanga, où le crime a eu lieu. « Il peut y avoir des charges, mais elles doivent devenir des preuves pour justifier un procès ou une condamnation », fait valoir M. Van Leeuw, qui évoque des investigations « particulièrement difficiles » pour une poignée d’enquêteurs confrontés à « des tonnes d’archives ». « Il faut avoir la preuve qu’une personne au sein d’une chaîne de commandement avait connaissance de ce qui allait se passer et voulait vraiment ce qui est arrivé », poursuit le procureur fédéral. Il assure qu’en qualifiant en 2012 l’assassinat de « crime de guerre » (ce qui le rend imprescriptible), « la cour d’appel de Bruxelles est allée au-delà de la commission d’enquête » du Parlement belge, qui avait conclu en 2001 à la « responsabilité morale » de la Belgique. L’année suivante, le gouvernement belge avait présenté les « excuses » du pays.

Pour l’association antiraciste Bamko, Patrice Lumumba est une figure majeure qui mérite davantage que la « petite placette » à son nom inaugurée en 2018 à Bruxelles, en bordure de Matongé, le quartier de la diaspora africaine dans la capitale belge. « Des personnes comme lui nous permettent de nous tenir debout et d’être dignes », affirme Mireille-Tsheusi Robert, présidente de Bamko, Belge d’origine congolaise. « Lui rendre justice, c’est aussi rendre justice à tous les afro-descendants du Congo. » Si Patrice Lumumba figure depuis longtemps au panthéon des héros des indépendances africaines, il demeure néanmoins très peu connu, avec le retour de sa dépouille et l’hommage à venir, espérons que son legs politique sera mieux compris et partagé. (lepoint)

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