vendredi, novembre 15, 2024
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Abdelaziz al-Hilu, l’homme qui veut séculariser le Soudan

PORTRAIT. Chef d’un groupe rebelle, il refuse de signer un accord de paix tant que la laïcité ne sera pas élevée au rang de principe constitutionnel.

Le 15 juin s’est achevée la première phase de négociations entre le gouvernement de transition soudanais et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N), un groupe de rebelles armés actifs dans le sud du pays. Leur chef, Abdelaziz al-Hilu, refuse de signer un accord de paix tant que la laïcité n’est pas élevée au rang de principe supra-constitutionnel. Un béret noir vissé sur la tête, Abdelaziz al-Hilu a le rire facile. Et l’assurance de celui qui entrevoit la victoire. Après près de 40 ans de combat, le chef du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N), un puissant groupe de rebelles armés qui contrôle un vaste territoire de la partie méridionale du Soudan, ne semble en effet plus très loin d’atteindre son objectif central : faire du Soudan un État séculier.

Une exigence : la citoyenneté sans lien avec la religion

« En 1983, le dictateur Gaafar Nimeiry a imposé la loi islamique, la charia, à travers le pays. C’est à partir de ce moment que les discriminations fondées sur la religion ont commencé », résume le sexagénaire depuis son quartier général, temporairement déplacé de Kauda, la capitale du SPLM-N, à Juba, au Soudan du Sud, où vient de s’achever, le 15 juin, la première étape de négociations avec le gouvernement de transition soudanais.closevolume_off

La demande d’Abdelaziz al-Hilu est explicite. Il exige que « la citoyenneté devienne la base sur laquelle se fondent les droits et les devoirs [des Soudanais], indépendamment de leur religion et leur appartenance ethnique ». Sa stratégie pour la mettre en œuvre consiste à « conserver [ses] armes jusqu’à l’adoption d’une Constitution permanente ». Un cessez-le-feu a beau être en vigueur depuis plus de trois ans sur les terres du SPLM-N, le mouvement a refusé de parapher l’accord de paix « historique » conclu le 3 octobre dernier, qui prévoit le désarmement des groupes rebelles signataires. Et ce, car toute référence à la laïcité y demeure absente.

Une déclaration de principes

Cette obstination a permis à Abdelaziz al-Hilu de remporter une première manche, le 28 mars, lorsque le général Abdel Fattah al-Burhan, à la tête du Conseil souverain, a validé une « déclaration de principes » mentionnant la séparation de l’État et de la religion. Or, le chef rebelle veut désormais que le gouvernement s’engage à positionner la sécularisation, ainsi que la décentralisation du pouvoir ou encore la pluralité démocratique, au-dessus de la future Constitution. « Cela permettra, en cas de violation de ces principes, au peuple concerné d’exercer son droit à résister et à demander l’autodétermination », précise-t-il. Des termes qui font, pour l’heure, tiquer les représentants soudanais, pourtant déterminés à sceller un accord avec l’homme fort de la région méridionale du Soudan.

En tant que musulman, Abdelaziz al-Hilu n’a certes jamais été empêché de pratiquer sa religion, largement majoritaire au pays des deux Nils. Il estime d’ailleurs que la foi occupe une place centrale dans la vie de chaque Soudanais. Mais devrait, dans le même temps, « relever de la relation personnelle entre un individu et Dieu ». Une conviction qu’il tient de son enfance passée dans les monts Nouba, région située dans le Kordofan du Sud, où musulmans, chrétiens et animistes se répartissent à peu près équitablement. « Les trois confessions sont parfois présentes au sein d’une même famille ! » souligne ce père de huit enfants.

Les armes contre la charia

Pour contrer les tentatives d’imposer la charia sur ce territoire, Abdelaziz al-Hilu s’est engagé dans l’opposition dès ses 18 ans en tant que lycéen, puis lors de ses études d’économie à Khartoum et en parallèle de son poste de chef de service au sein de l’Autorité nationale d’électricité. « À cause de la nature du régime, nous n’avons guère eu d’autre choix que de prendre les armes, explique-t-il. Les tribus arabes ont en effet été armées par le gouvernement, officiellement pour lutter contre les guérillas, mais elles s’en sont prises aux civils, ont volé le bétail, brûlé les maisons et réduit en esclavage les femmes et les enfants », énumère celui qui a suivi, en 1987, une formation militaire de six mois à la frontière entre l’Éthiopie et l’actuel Soudan du Sud. Il obtient ainsi le grade de capitaine et rejoint les combats, qui s’intensifient après le coup d’État d’Omar el-Béchir en 1989 – le dictateur sera déchu par la rue en avril 2019.

« Ses hommes ont entamé un djihad contre le peuple Nouba. […] Nous nous sommes donc battus pour nous défendre au nom de la justice, de l’égalité, de la liberté et, avant tout, de la liberté de religion », insiste le chef du SPLM-N. À de nombreuses reprises, pendant toutes ces années, il appelle à « mettre fin à la marginalisation et à l’exclusion » de ses pairs, tandis que le pouvoir reste, jusqu’à maintenant, largement concentré à Khartoum et détenu par les Arabes musulmans. Ce sont ces mêmes revendications qui ont conduit le Soudan du Sud à déclarer son indépendance il y a tout juste 10 ans. Pour éviter qu’un tel scénario se reproduise, Abdelaziz al-Hilu affirme que la balle se trouve dans le camp du gouvernement de transition.

Une nouvelle période de transition

Face à cette alliance civilo-militaire qu’il considère comme « une extension du régime précédent » et qualifie, au passage, d’« hypocrite » au sujet des droits des femmes, le patron du SPLM-N a envoyé son secrétaire général, Amar Amoun, à la table des négociations. Avec, entre les mains, un plan détaillé qui inclut une nouvelle période de transition balisée par des échéances précises et des mécanismes de contrôle afin d’éviter de répéter le statu quo qui paralyse l’actuelle transition, incapable de former un Parlement.

Des propositions originales figurent en outre sur cette feuille de route, telle l’instauration d’un seul jour de week-end le mercredi car neutre d’un point de vue religieux. « Le Soudan est unique. Nous avons besoin de solutions exceptionnelles et non conventionnelles pour résoudre nos problèmes face à la dégradation de la situation économique », argumente Abdelaziz al-Hilu. Cette décision pourrait s’avérer temporaire, en attendant que le pays développe ses capacités de production et se positionne sur la scène internationale.

Pas d’ambition politique

Malgré sa stature, son charisme et sa vision aiguisée pour l’avenir du Soudan, le chef au béret noir et à la bonne humeur communicative nie, enfin, toute ambition politique personnelle. Il est cependant pressenti pour intégrer le Conseil souverain ou le cabinet du Premier ministre. Si, bien entendu, il parvient au préalable à faire plier les quinze négociateurs du gouvernement délégués à Juba, et à leur faire accepter d’élever la laïcité au rang de principe supra-constitutionnel. Cela dépendra de l’issue de la deuxième phase des pourparlers, dont le début est prévu, de manière officieuse, pour fin juin. D’ici là, l’équipe de médiation sud-soudanaise profite de la mi-temps pour tenter d’arrondir les angles. (lepoint.fr)

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