Les 1er, 2 et 3 avril derniers, nous sommes allés à la rencontre de la vérité en parcourant plusieurs centaines de kilomètres. Une information faisait état de ce que des hectares de forêts classées étaient tombés aux mains d’une société d’exploitation de bois de façon irrégulière. La même source avançait que ladite société coupait sans compter parce que son autorisation d’exploitation vient d’en haut. En pareille situation, notre profession nous imposant de nous rendre sur les lieux pour constater de visu avant d’affirmer ou d’infirmer l’information de base, nous avons entamé le périple.
LA ROUTE DE LA VERITE, UN VERITABLE PARCOURS DU COMBATTANT
Partis d’Adjamé (Abidjan) à 8h et demi, nous avons traversé les villes de Divo, Gagnoa, Soubré et San Pedro dans un car peu confortable malgré la climatisation et posé les pieds à Tabou à 23h passées. Allongés sur un lit de camp sans avoir fait un tour dans les toilettes de fortune, une farouche bataille s’engage contre les moustiques.A 4h, nous sommes réveillés, non pas par des klaxons, mais plutôt par le vrombissement du moteur d’un «badjan» ou «22 places». C’est ce véhicule, en très mauvais état mais très résistant, qui doit nous conduire à Mahino sur une distance estimée à plus de 120 km et dégradée à plus de 75%. Il était 11h28 quand nous rentrons en gare.Je rejoins aussitôt mon contact qui m’apprend qu’il me reste un peu plus de 60 km à parcourir pour atteindre la forêt classée Haute-Dodo. Mais cette fois-ci, nous n’aurons une moto comme moyen de transport. Selon lui, c’est plus pratique à cette étape du voyage.
17 HECTARES DEJA COUCHES, DES CACAOYERS QUI POUSSENT, DES CULTURES VIVRIERES EN PROJET ETC.
Après avoir parcouru une soixantaine de kilomètres à moto, nous arrivons à Djouma Misri. Comme la plupart des campements (que moi j’appellerai plutôt villages à cause de leur taille et nombreuses activités lucratives qui y ont cours) que nous avons traversées, Djouma Misri est situé en pleine forêt classée. Ses habitants, quand ils ne défrichent pas la forêt pour y créer des plantations, c’est aux essences forestières qu’ils s’en prennent sous le couvert d’indélicates sociétés d’exploitation.
Justement, en parlant de cela, la STBS est nommément citée dans plusieurs rapports. On dit d’elle qu’elle outrepasse ses prérogatives et s’adonne à l’abatage sauvage des essences forestières pour se faire de l’argent.
D’ailleurs, nous rencontrons l’un des chefs d’exploitation. A la question de savoir si sa société poursuit ses activités dans la Haute-Dodo, il répond par l’affirmative. Sauf que : « on n’a pas travaillé aujourd’hui parce que c’est le premier jour du jeune musulman », nous a-t-il confié. Nous venions d’avoir une certitude quant à nos doutes.
Nous décidons de nous rendre néanmoins sur le lieu d’abatage situé à quelques 5 km à vol d’oiseau de là. Deuxième certitude, l’abatage se poursuit effectivement malgré l’interdiction d’exploitation du bois dans cette zone. L’essence qui gît au sol est appelée Niangon. C’est l’une des plus prisées par les exploitants. On nous apprend que ce sont plus de 17 hectares qui sont concernés par cette exploitation abusive. Abusive pourquoi ? Eh bien, nous allons très vite être éclairés.
MINISTERE DES EAUX ET FORETS – SOCIETE DE DEVELOPPEMENT DE LA FORET, QUI A FAILLI A SON DEVOIR ?
En effet, la STBS détient une autorisation d’exploitation attestée par la décision numéro SP002/MINEF/DGFF/DPIF du 7 février 2022 portant autorisation de coupe dans la forêt classée de haute-Dodo au titre de l’année 2022. Pour être plus précis, cette décision autorise ladite société à exploiter mille (1000) tiges d’essences diverses sur une période de six (6) mois. Ce n’est pas discutable. Mais là où le bas-blesse, c’est que cette forêt classée est sous le financement du Programme d’investissement financement (Pif) pour leur restauration. Et selon des sources, le plan d’aménagement de la Haute-Dodo, qui est en cours de validation, a été visitée par une mission de la Banque mondiale entre le 11 et le 23 février 2022 dans le cadre dudit programme. Malheureusement, comme la décision a omis de désigner une structure compétente pour suivre les opérations d’abattage, alors, la STBS a carte blanche pour couper sans en être inquiétée. Conséquence immédiate ; la Haute-Dodo est sérieusement agressée par les infiltrés de tout acabit.
Avant de poursuivre, nous nous sommes intéressés à la procédure d’exécution d’une autorisation d’exploitation du bois. Comme la direction de la Sodefor n’a pas voulu se prononcer sur le sujet, nous nous sommes adressés malicieusement à un agent dont nous taisons volontairement le nom. Selon cet agent, plusieurs conditions doivent être prises en compte. Au préalable, les arbres soumis à la coupe doivent être inventoriés, marqués et leurs cordonnées Gps doivent être levées pour assurer une traçabilité. « On ne coupe pas les arbres sans repères. En plus, il y a toujours des agents de suivi pour ne pas que le partenaire outrepasse ses droits. Ce n’est malheureusement pas le cas », selon notre interlocuteur. Donc, à la question donc de savoir : entre Ministère des Eaux et Forêts et la Société de développement de la Forêt (Sodefor), qui a failli à son devoir ? La réponse est sans ambigüité. C’est l’entité qui a délivré la décision qu’il faut indexer. En clair, il aurait fallu impliquer la Sodefor qui a la technicité pour mieux suivre et veiller au bon déroulement des pratiques qui ont cours dans ces forêts.Surtout qu’une rumeur, des plus folles, circule dans la région. Selon elle, certains agents des Eaux et Forêts auraient affirmé que « la Haute-Dodo a été déclassée depuis le septembre 2021 ». La conséquence d’une telle rumeur est immédiate. Les populations ont investi, à leur tour, la forêt pour des activités agricoles. Lors de notre « visite », nous avons pu voir des pépinières, des jeunes pousses de cacaoyers et des espaces aménagés pour accueillir les cultures vivrières.
Revenus à Abidjan pour en savoir un peu sur l’autorisation d’exploitation de la SBTS, la Sodefor n’a pas osé briser l’omerta.
Un récit de Narcis’Kouassi