Le couple royal de l’ancienne puissance occupante doit arriver ce mardi après-midi à Kinshasa. Selon le palais belge et la présidence congolaise, les deux parties parleront passé colonial, diplomatie, politique, économie et sécurité. Le roi Philippe sera accompagné également de quelques membres du gouvernement. Il visitera la capitale puis Lubumbashi et Bukavu.
Après trois reports survenus depuis 2020, le roi des Belges s’envole ce mardi avec la reine Mathilde pour la RDC à la tête d’une délégation comprenant en particulier le Premier ministre Alexander De Croo et le secrétaire d’État Thomas Dermine, chargé entre autres de la restitution du patrimoine congolais.
Kinshasa attend beaucoup de cette visite repoussée à plusieurs reprises par le Covid puis la guerre en Ukraine, rapporte notre correspondant à Kinshasa, Patient Ligodi, et qui intervient douze ans après celle d’Albert II, le père de Philippe. L’entourage de Félix Tshisekedi estime qu’il s’agit des retombées de la politique d’ouverture que mène Kinshasa depuis les élections de 2018. Il considère cette visite comme un événement à forte teneur symbolique et espère en tirer un maximum de dividendes.
Politiquement, Kinshasa attend du souverain et du gouvernement belge l’expression d’un plus grand attachement à la RDC et aux intérêts congolais. Bruxelles a toujours été considérée comme une place forte du dispositif diplomatique congolais. À ce titre, Kinshasa souhaite que le royaume de Belgique porte davantage la voix du Congo sur la scène internationale. Surtout en cette période marquée par la crise rwando-congolaise.
Dans le secteur de la défense, Kinshasa souhaite renforcer la coopération militaire avec Bruxelles. Actuellement, des experts de l’armée belge sont dans la province du Maniema où ils forment la 31e brigade des FARDC notamment aux techniques de détection et de neutralisation des engins explosifs improvisés.
Sur le plan économique, les deux pays ne sont pas satisfaits de leur volume d’échanges commerciaux. Kinshasa, par exemple, estime que les diamants congolais sont sous-évalué à Dubaï est et espère réorienter ce commerce vers Anvers.
Pour Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université, « l’essentiel » portera sur « la restitution des oeuvres d’art pillées par la Belgique pendant la période coloniale et sous Léopold II ».
Le programme royal
Accompagné de la reine Mathilde et du Premier ministre Alexandre De Croo, le roi des Belges sera en RDC pendant six jours.
Le roi belge a voulu prendre son temps pour découvrir les réalités de la RDC d’aujourd’hui et poser des gestes symboliques. À Kinshasa les trois premiers jours, Philippe II et la reine Mathilde rendront un hommage aux anciens combattants. L’un d’eux, centenaire, et donc soldat sous la colonisation belge, sera décoré. Au Musée national flambant neuf de la République démocratique du Congo, le souverain belge devrait remettre un objet d’art, probablement un masque congolais, parti en Belgique sous la colonisation. Un avant-goût des restitutions dont le Parlement belge est en train d’adopter l’ambitieux cadre législatif.
Après les « regrets » exprimés il y a deux ans par Philippe II pour les blessures infligées sous la colonisation, le roi prononcera-t-il des excuses ? Son discours au Palais du Peuple devrait en tout cas faire référence au passé.
Vendredi le couple royal s’envolera pour Lubumbashi, la grande ville économique du Sud, où la jeunesse et l’éducation seront à l’honneur. Dernière étape : Bukavu, pour rendre visite au docteur Mukwege, l’homme et prix Nobel de la paix, qui répare les femmes victimes des violences dans l’Est, la région qui focalise en ce moment l’inquiétude des Congolais, avec le retour des milices pro-rwandaises du M23.
Les nombreuses attentes de la population
Envoyée spéciale de RFI à Kinshasa, Claire Fages a demandé aux habitants de la capitale ce qu’ils attendaient de cette visite. Certains Kinois n’attendent rien du souverain belge, d’autres souhaitent qu’il répare les méfaits de la colonisation. C’est le cas de cet ingénieur en télécom de 45 ans. « Il faut des réparations, que ce soit pour la famille Lumumba ou pour le peuple congolais. Et quand le roi arrivera ici au Congo, il faudra qu’il s’excuse auprès du peuple congolais par rapport à tout ce que la Belgique a fait à nos compatriotes. Les regrets ne suffisent pas. »
Réchauffer les relations belgo-congolaises permettra aussi espère ce fonctionnaire, la soixantaine, le retour des investissements européens en RDC. « Les relations de la RDC avec la Belgique étaient un peu en dents de scie ces derniers temps et nous avons intérêt à ce que cela se normalise pour que les affaires du pays puissent reprendre. Nous croyons aux investissements belges et derrière eux, ceux de toute l’Union européenne. »
Presque tous les Kinois interrogés jugent cependant que la priorité, c’est la paix dans l’Est. Cette vendeuse de vêtements lance un appel désespéré : « 1000 Congolais meurent à chaque seconde. Dites-leur de terminer d’abord la guerre au Congo et nous serons contents. »
La médiation de la Belgique voire son aide militaire sont donc attendues par les Congolais.
Philippe a pris ses responsabilités
Ces cinq jours de voyage au Congo sont attendus en Belgique de manière diverse mais ce voyage remet en particulier le roi lui-même sous le feu de projecteurs, observe notre correspondant à Bruxelles, Pierre Bénazet.
Féru d’Histoire et en particulier de celle de ses ancêtres, Philippe a pris ses responsabilités face à l’histoire coloniale et dynastique en exprimant il y a deux ans ses plus profonds regrets. Le roi Philippe a expressément évoqué les « actes de violence et de cruauté » survenus au Congo sous le règne personnel de son arrière-arrière-grand-oncle le roi Léopold II. Il énonçait ces termes le 30 juin 2020, soixantième anniversaire de l’indépendance de la RDC et il aurait dû être à Kinshasa ce jour-là.
Nul doute que dans son esprit ce voyage se réfère à celui effectué alors par son oncle le roi Baudoin dont il était proche. Le discours du roi Philippe ce mercredi à Kinshasa sera certainement une réplique au discours malheureux de son oncle lors de l’indépendance.
Pour le gouvernement belge, ce voyage n’aurait pas pu être retardé une nouvelle fois car l’élection présidentielle en RDC aura lieu en 2023 et la Belgique ne doit surtout pas paraître s’ingérer dans la politique congolaise. Pour l’opinion belge, il y a aussi en grande partie la volonté de solder un passé colonial d’autant plus lourd que la personnalité du roi colonisateur Léopold II a été au centre des revendications liées en Belgique au mouvement Black Lives Matter. (rfi.fr)