L’attribution d’un important contrat d’infrastructures – le corridor de Lobito – à un consortium européen et non chinois est la preuve d’une certaine perte d’influence de Pékin en Angola. Tribune.
La décision finale était attendue en mai. C’est finalement avec un peu de retard, vraisemblablement après des pressions diplomatiques, que la concession du Chemin de fer de Benguela (CFB), qui relie en Angola le port de Lobito à Luau, ville frontière avec la RDC, a été attribuée. Et, surprise, c’est à un consortium de sociétés privées européennes qu’elle a été octroyée, au détriment d’un cartel d’entreprises chinoises. Un choix symbolique d’une perte d’influence de la Chine dans ce pays d’Afrique australe.
Conformément à l’article 63 de la loi sur les marchés publics, l’appel d’offres fut lancé le 8 septembre 2021. Il portait sur la concession, pour une durée de trente ans, « de l’exploration, la gestion et l’entretien de l’infrastructure ferroviaire pour le transport de marchandises, de minerai, de liquide et de gaz » située entre les deux villes angolaises, aussi appelée corridor de Lobito.
Trafigura en tête de pont
Conséquent, ce contrat traduit une ambition économique de première importance pour l’Angola. Il vise d’abord à maximiser les potentialités représentées par l’exportation des minerais venant du Katanga congolais et de la Zambie. Il s’agit ensuite de promouvoir le développement des communautés locales (quelque 6 millions de personnes) éparpillées le long des 1 344 kilomètres du corridor, qui traverse 35 % des terres agricoles du pays.
Un intérêt stratégique évident avec le contrôle du Copperbelt
Certes, dans un premier temps, le chemin de fer ne bénéficiera pas des extensions vers la RDC et la Zambie, faute d’investissements réalisés dans ces deux pays. Mais, à très brève échéance, 25 000 à 30 000 tonnes de cuivre, cobalt, lithium et manganèse pourront être exportées chaque mois par camion puis chargées sur les trains à destination du port de Lobito, ouvert sur l’océan Atlantique. Ainsi, un voyage Kolwezi-Lobito, long d’environ 1 800 km, pourra s’effectuer en 7 jours alors qu’il en faut 16 via Dar es Salam en Tanzanie (2 587 km), 13 via Beira au Mozambique (2 945 km) et 10 par le port sud-africain de Durban (3 549 km).
Le comité d’évaluation de l’appel d’offres, présidé par José Roberto Fernandes da Costa, a rendu son rapport en avril dernier, classant en tête le consortium européen, devant celui constitué par les entreprises chinoises. Conduit par le groupe suisse Trafigura, leader mondial dans le négoce de matières premières, le consortium européen est complété par le géant du BTP portugais, Mota-Engil, et la société belge Vecturis, dont l’expertise en matière ferroviaire n’est plus à démontrer dans la région puisqu’elle était détentrice d’un contrat de gestion de la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC).
Omniprésence chinoise
Ce consortium européen avait fière allure, d’autant que l’alliance Trafigura-Vecturis avait déjà manifesté son intérêt pour le projet dans les années 2012-2015, créant à Lobito un centre de formation qui compte une dizaine de techniciens. Le seul bémol dans la proposition européenne était le passé du groupe suisse, accusé de liens étroits avec des dignitaires de l’ancien régime, à commencer par Manuel Vicente et le général Dino (Leopoldo Fragoso do Nascimento). Mais, depuis 2017, Trafigura a réussi à se refaire une virginité grâce notamment à une importante réorganisation interne et à l’adoption d’une politique de gouvernance rigoureuse.
Face au trio européen se trouvait un consortium composé de trois mastodontes chinois ayant raflé depuis 15 ans nombre de contrats en Angola : Citic (China International Trust and Investment Corporation), China Railway Group, géant chinois du BTP, et Sinotrans, premier groupe de logistique et de transport. Il semblait imbattable, d’autant que ce sont les mêmes Chinois qui ont reconstruit cette ligne de chemin de fer ravagée par la guerre civile et obtenu la concession (non encore signée) de la gestion du port commercial de Lobito.
S’affranchir de la toute-puissance chinoise et diversifier les relations
On se doute qu’entre le rapport d’évaluation remis en avril et la décision finale de juin, les pressions diplomatiques auront joué à fond, dans la mesure où derrière cette concession se cache un intérêt stratégique évident avec le contrôle du Copperbelt, cette région riche en minerais (notamment le cuivre) située à la croisée de la RDC, de la Zambie et de l’Angola. Tous les observateurs s’accordaient à dire qu’elle ne pouvait échapper aux Chinois, considérant leur forte implication dans la reconstruction de l’Angola et l’importance de la dette contractée par ce dernier auprès de l’Empire du Milieu (quelque 21 milliards de dollars, soit près de 19 milliards d’euros). En d’autres temps, ce simple rappel aurait suffi à faire pencher la balance.
Rôle des États-Unis
Mais l’Angola de João Lourenço n’est plus celle de José Eduardo dos Santos et le désir de s’affranchir de la toute-puissance chinoise et de diversifier les relations est une réalité palpable. L’offre de Trafigura Mota-Engil Vecturis, qualifiée de proposition « européenne » par les Angolais eux-mêmes, était intrinsèquement la meilleure et soigneusement préparée. Ce qui était loin d’être le cas de celle des Chinois. Le dossier européen avait occupé une place de choix lors du forum UE-Angola organisé en février dernier à Bruxelles et était bien défendu par une diplomatie active des ambassades concernées à Luanda.
Sans oublier le rôle, discret mais bien réel, des États-Unis qui, dans leur guerre commerciale avec la Chine, n’étaient pas disposés à accepter une nouvelle avancée chinoise dans un pays considéré comme stratégique. La visite de la sous-secrétaire d’État Wendy Sherman à Luanda début mai, suivie de celle du ministre des Affaires étrangères angolais Téte António à son homologue américain Anthony Blinken quelques semaines plus tard, comptait vraisemblablement ce dossier à l’ordre du jour des « questions bilatérales ». À moins de trois mois des élections générales, il était sans doute nécessaire de rappeler où se situait l’intérêt de l’Angola et de son président. (Jeune Afrique)