Ce fut presque une formalité. Jeudi 23 mars, les députés de l’Assemblée gabonaise ont voté à 113 voix, sur un total de 122, la future réforme constitutionnelle. Le texte instaure plusieurs nouveautés, dont le scrutin à un tour pour toutes les élections, la non-limitation des mandats ou encore une réduction de la durée des mandats présidentiel et locaux de sept à cinq ans. Ces mesures, qui doivent maintenant être validées par le Sénat, sont issues d’une concertation politique menée à Libreville entre le président Ali Bongo Ondimba et l’opposition, du 13 au 23 février dernier. Durant ces dix jours, élus du parti au pouvoir comme opposants ont échangé leurs idées dans « une atmosphère conviviale », et ont « tiré des conclusions qui vont dans le sens de l’apaisement », a affirmé Louis-Gaston Mayila, président de la coalition d’opposition PG41 à RFI, à l’issue de ces réunions.
Quelques jours plus tôt, du 8 au 11 février, la Cour constitutionnelle avait, elle, effectué une campagne de sensibilisation définissant les différents aspects du processus électoral. Et, le 24 janvier, le Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze avait promis que son gouvernement s’emploierait à réunir « toutes les conditions nécessaires au dialogue politique ».
Si les autorités au pouvoir s’efforcent depuis quelques semaines de promouvoir le dialogue, c’est parce que le pays s’apprête à vivre en août prochain, pour la première fois de son histoire, un triple scrutin présidentiel, législatif et local. Et qu’il ne souhaite pas revivre la crise aiguë qui avait suivi la réélection controversée d’Ali Bongo Ondimba, 64 ans, dont treize au pouvoir. À l’époque, l’opposition avait rejeté les résultats, annoncés après quatre jours d’attente : d’après les chiffres officiels, le chef de l’État sortant l’emportait avec 49,80 % des voix, contre 48,23 % pour son adversaire, Jean Ping. Des violences avaient alors éclaté entre forces de l’ordre et manifestants qui exprimaient leur mécontentement dans les rues de la capitale gabonaise.
Des divergences vivaces avec l’opposition ?
Malgré des efforts engagés pour garantir « des scrutins aux lendemains apaisés », dixit le chef de l’État, le dialogue politique au Gabon est, pourtant, encore loin d’être acquis. Certains leaders de l’opposition, à l’instar de Paulette Missambo, présidente du parti de l’Union nationale (UN), et d’Alexandre Barro Chambrier, à la tête du Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM), n’ont pas souhaité participer à la concertation présidentielle. « Une opportunité manquée », a estimé ce dernier à l’AFP, qui regrette que les sujets sur « la transparence des élections » n’aient pas été suffisamment abordés. Bonanventure Mve Ondo, philosophe et professeur à l’université Omar-Bongo de Libreville, s’interroge lui aussi sur les débouchés réels de cette main tendue présidentielle. « Plus qu’une concertation, il aurait fallu un vrai débat politique, et surtout inscrire cet événement dans une démarche proactive. Les décisions prises à l’issue de ces discussions sont-elles suffisantes ? Vont-elles permettre d’aller véritablement de l’avant ? Ce sont des questions qui, pour moi, restent en suspens. »
Charles M’Ba, cadre de l’Union nationale (UN) et ancien ministre des Finances d’Omar Bongo Ondimba, n’est pas plus convaincu par ces rencontres instituées par le pouvoir. « Les mots d’amour c’est bien, mais les preuves d’amour c’est mieux, résume-t-il. Écouter ses adversaires, c’est une bonne chose. Maintenant, il faut travailler. Aujourd’hui, le pays est en paix, oui, mais cela ne m’empêche pas d’être inquiet pour les mois à venir. »
D’autant plus qu’Ali Bongo Ondimba, plus tôt dans son mandat, a exprimé une tout autre conduite face à ses opposants. Alain Djally et Hervé Mombo Kinga, proches de Jean Ping, Marcel Libama, cadre syndicaliste, le journaliste Juldas Biviga? tous, durant l’année 2017, ont été interpellés dans le cadre de leurs activités, et subi des violences. Des « arrestations arbitraires » dénoncées par Amnesty International, qui précise par ailleurs que Juldas Biviga a été « roué de coups » durant sa détention. « Souffrant de blessures aux chevilles, aux côtes et aux oreilles », son état a nécessité un transfert à l’hôpital. Hervé Mombo Kinga, lui, accusé d’« incitation à la violence » et d’« outrage au chef de l’État » après la diffusion publique de vidéos, a été maintenu à l’isolement pendant un mois et demi.
Plus récemment, c’est Jean-Rémy Yama, président de Dynamique unitaire, la plus grande coalition syndicale du Gabon, qui a subi le courroux des autorités. Le 27 février 2022, alors qu’il s’apprêtait à se rendre à Dakar pour recevoir des soins médicaux, ce membre actif de Tournons la page-Gabon (TLP-Gabon) a été interpellé à l’aéroport de Libreville par des représentants de la Direction générale des contre-ingérences et de la sécurité militaire. Il a ensuite été emmené vers une destination inconnue. Le 2 mars 2022, Jean-Rémy Yama a finalement été accusé d’« abus de confiance » dans une affaire de construction de logements de fonction pour enseignants, et placé en détention provisoire à la prison centrale de Libreville. Un sort réservé aux opposants bien loin, donc, de l’apaisement prôné aujourd’hui par le président.
? comme à l’intérieur du camp Bongo
Ces tensions persistantes avec l’opposition, encore d’actualité à quelques mois du scrutin, ne sont pas les seuls orages qu’a connus le gouvernement lors de ce mandat présidentiel : à l’intérieur même du camp présidentiel, ces sept dernières années ont été mouvementées. Fin 2019, une vague d’interpellations politiques a ainsi conduit à la révocation d’une vingtaine de proches de l’ancien directeur de cabinet du chef de l’État, Brice Laccruche, pour des faits présumés de détournements de fonds publics. À la surprise générale, le Franco-Gabonais a lui aussi été limogé, incarcéré et condamné à cinq ans de prison pour différentes affaires. Ces arrestations, menées sous le couvert de la lutte anticorruption, illustrent les divisions à l’?uvre dans l’entourage proche d’Ali Bongo Ondimba. Le président, « celui que l’on appelle à mi-voix ?l’autre?, n’a que partiellement suivi la politique d’équilibre régional et ethnique de son père, préférant s’entourer d’une petite clique d’hommes sûrs. [?] Il s’est donc fait beaucoup d’ennemis dans son propre camp », écrivait fin 2018 Florence Bernault, professeure à l’université du Wisconsin, dans un article publié sur le site The Conversation.
Le 7 janvier 2019, un peu plus d’un mois après l’AVC du chef de l’État, la présidence a même vacillé. Ce matin-là, alors que le président est en convalescence au Maroc, un groupe de mutins mené par le lieutenant Ondo Obiang pénètre de force au siège de la Radiotélévision gabonaise (RTG). Trois militaires de la garde républicaine apparaissent alors à l’écran en treillis et un fusil d’assaut à la main, l’officier disant vouloir « sauver le pays du chaos ». La tentative de putsch a finalement rapidement tourné court. Deux putschistes ont été abattus par les forces de sécurité et Ondo Obiang et les militaires, arrêtés.
Mais ces sept années de troubles politiques ont laissé des traces, et « lourdement abîmé la confiance des Gabonais envers l’État, mais aussi envers tout le système qui le constitue : son administration, son système scolaire et judiciaire et sa police », déplore Charles M’Ba. Et s’en remettre à l’opposition reste encore difficile pour la population, non seulement en raison des menaces qui pèsent encore sur certains de ses représentants mais également à cause de son impossibilité à s’unir. « Toute la difficulté est là, souffle Bonaventure Mve Ondo. On n’a pas l’impression qu’il y a un projet. Pourtant, après 2016, il y avait une attente, un espoir. Mais rien n’a bougé. » Pour l’avenir et pour la garantie d’un réel apaisement, le philosophe espère « de nouveaux mécanismes politiques, comme un gouvernement d’union nationale ». « Tous les acteurs politiques aujourd’hui sont tournés vers la quête du pouvoir, au lieu d’être préoccupés par le sort des Gabonais qui eux, font tout ce qu’ils peuvent pour survivre au jour le jour. » (Le Point)