Après la chute du président Laurent Gbagbo, ils étaient 11 000 Ivoiriens à fuir la crise post-électorale pour trouver refuge au Ghana. Pour ces exilés de la première heure, la crise politique que traverse aujourd’hui la Côte d’Ivoire rappelle douloureusement celle de 2011.
Justin Koné Katinan était ministre du Budget dans le gouvernement de Laurent Gbagbo. À la chute du régime en 2011, il a dû trouver refuge au Ghana. Il se dit aujourd’hui très inquiet de la situation politique en Côte d’Ivoire, qu’il juge « catastrophique » au lendemain de l’élection contestée d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat.
« Je suis en exil depuis le 13 avril 2011. Mon propre fils est décédé, je n’ai pas pu aller l’enterrer à Abidjan. C’est une tache qui reste dans mon cœur. Et je ne suis pas le seul, beaucoup de gens sont dans la même situation que moi. Au nom de quoi ? De nos opinions politiques ? Ce n’est pas acceptable. »
« Nous avons vécu cela, mais ça n’a pas apporté la paix à la Côte d’Ivoire »
« Les populations ivoiriennes sont inquiètes, et les réfugiés encore plus, rapporte l’ex-ministre. La situation ne cesse de se dégrader, et je ne suis pas certain que ça va s’arrêter tout de suite. Ce ne sont pas les arrestations, les condamnations, les procès [qui vont changer les choses]… Nous avons vécu cela, nous. J’ai vécu des années de procès, le président Laurent Gbagbo aussi, mais ça n’a pas apporté la paix à la Côte d’Ivoire. »
Plus de 8 000 ressortissants ivoiriens ont quitté le pays ces derniers jours pour fuir les violences post-électorales. Un chiffre qui inquiète Justin Koné Katinan. « Les frontières terrestres sont fermées, mais les gens se débrouillent, passent par les lagunes… Il faut qu’ils quittent le pays pour sauver leur vie. C’est une honte immense pour la Côte d’Ivoire. Et ça, c’est l’œuvre d’Alassane Ouattara. »
« Nous aurions souhaité être ces derniers exilés »
Une inquiétude que partage Damana Adia Pickass, vice-président de la Coordination du Front populaire ivoirien (FPI) en exil, réfugié lui aussi au Ghana. « Nous sommes dans notre dixième année d’exil. L’exil, tu ne peux pas le raconter à quelqu’un. L’exil, tu ne peux pas le souhaiter à quelqu’un. C’est pourquoi quand nous apprenons que les camps de réfugiés ivoiriens au Ghana commencent à se remplir à nouveau, que les populations commencent à fuir à nouveau la Côte d’Ivoire, nous sommes meurtris dans notre âme. Nous aurions souhaité être ces derniers exilés. »
Malgré tout, ce fidèle de Laurent Gbagbo veut croire en la résilience de la Côte d’Ivoire. « Si nous n’avons pas disparu en 2002, si nous n’avons pas disparu en 2011, nous ne disparaîtrons pas en 2020. Nous vivons un conflit extrêmement dangereux, extrêmement violent, extrêmement grave. Mais la Côte d’Ivoire a des ressorts solides. Nous allons retomber sur nos pieds. »
« L’exil n’est pas une bonne chose »
Loin de la capitale, les nouveaux exilés de ce mois de novembre viennent grossir les rangs des réfugiés de 2011, qui vivent pour la plupart toujours dans les trois camps d’Ampain, Fetentaa et Egyeikrom. Parmi eux, Dali Dassé, un ancien militant pro-Gbagbo résidant depuis près de 10 ans au camp de réfugiés ivoiriens d’Egyeikrom, au sud-ouest du pays. « Être réfugié, raconte-t-il, ce n’est pas une vie. L’exil n’est pas une bonne chose. On y perd tous ses droits. »
Lui aussi trouve « dramatique » la situation en Côte d’Ivoire, et s’inquiète du nouvel afflux de réfugiés ivoiriens au Ghana. D’autant que, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), une partie de ces nouveaux arrivants sont d’anciens exilés qui avaient été rapatriés récemment en Côte d’Ivoire, et qui ont été forcés de fuir à nouveau. (rfi.fr)