Le 15 décembre, des manifestants ont gagné les rues de Mogadiscio, la capitale somalienne, pour protester contre le report des élections parlementaires prévues le 10 décembre. Au moins quatre personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées durant ce mouvement de contestation réprimé à balles réelles. Comme de nombreux Somaliens, notre Observateur craint que le pays ne rechute dans une guerre civile, dont les répercussions sont encore perceptibles aujourd’hui.
Des centaines de Somaliens ont manifesté, mardi 15 décembre. Ils ont appelé à la démission immédiate du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Mohamed Farmaajo, élu en 2017 et dont le mandat arrive à son terme le 8 février. Il avait été décidé que les membres du Parlement seraient élus dans les deux chambres au plus tard le 27 décembre, date à laquelle le mandat du Parlement actuel prend fin, et que l’élection présidentielle serait organisée début février.
Or, des partis de l’opposition contestent la composition de la commission électorale, nommée par le gouvernement dans un geste jugé unidimensionnel, et qui comprend des membres du gouvernement en place ainsi que des figures de l’armée. Créée par le gouvernement le 5 novembre, cette instance appelle à la création d’une nouvelle commission électorale indépendante.
C’est dans ce contexte de tension que des centaines de protestataires ont gagné les rues de la capitale Mogadiscio et se sont confrontés aux balles des gendarmes fédéraux. Bilan : au moins quatre morts et plusieurs blessés, selon des médias locaux.
Des images de la mobilisation ont été partagées sur les réseaux sociaux.
Cette vidéo, publiée le 15 décembre, montre un homme visiblement blessé par balle après que des échanges de tirs ont éclaté pendant une manifestation anti-gouvernementale.
D’autres vidéos montrent des groupes de jeunes civils armés de fusils, avançant parmi les manifestants, qui tirent en direction des forces de l’ordre.
“C’est la première fois que je vois les gendarmes tirer sur des manifestants”
Notre Observateur Hussein Sabrie, activiste social et professeur universitaire habitant Mogadiscio, se trouvait près du cortège de la manifestation le 15 décembre. Il témoigne de l’atmosphère de crainte qui règne actuellement en Somalie :
Je me trouvais mardi juste à côté de la manifestation. J’entendais les tirs dans la rue. J’entends des coups de feu tous les jours, mais c’est la première fois que je vois la gendarmerie tirer à balles réelles sur des manifestants. Il y a avait des groupes d’hommes armés dans le secteur, qui étaient là en guise de garde du corps d’un certain opposant, élu du Parlement, qui se rendait à des funérailles dans une maison du quartier. Et ces hommes armés-là n’ont aucun rapport avec les manifestants, mais ils ont ouvert le feu de leur côté en réponse aux coups des gendarmes, comme on voit dans la vidéo.
Les hommes armés à Mogadiscio sont engagés pour protéger les élus parlementaires. Parfois ils arborent un uniforme, mais la plupart du temps ils sont en civil. Chaque membre du Parlement a entre 8 et 10 gardes du corps qui l’escortent. Ces jeunes hommes ne sont pas des employés fonctionnaires, la plupart sont des parents lointains de l’élu en question.
L’endroit où les gens manifestaient se trouve au nord-ouest de Mogadiscio. C’est un quartier peu sûr, qui est déserté d’habitude par les agents de l’ordre. C’est aussi un secteur sensible où le groupe terroriste Al-Shebaab [groupe jihadiste somalien créé en 2006 et affilié à Al-Qaïda, NDLR] a commis des meurtres et des attentats par le passé.
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Le lendemain de la manifestation, les partis d’opposition ont appelé à une seconde mobilisation, mais le gouvernement local l’a interdit, et les gendarmes ont été déployés dans plusieurs secteurs de la ville et autour des maisons d’opposants pour les surveiller. Plusieurs boulevards ont été fermés à la circulation depuis mercredi matin. Des barricades ont été placées pour empêcher tout rassemblement. De plus, les gens ont trop peur des tirs à balles réelles maintenant pour oser sortir et manifester. Jeudi, comme mercredi, il n’y a pas eu de mobilisation, mais les routes ont été ouvertes de nouveau au public avant le coucher du soleil.
“Nous craignons qu’une guerre civile n’éclate en Somalie”
Le Conseil de l’Union des candidats à la présidence, une coalition de 14 opposants candidats à l’élection présidentielle, a dénoncé la répression et la poursuite des manifestants, en appelant à libérer les personnes qui ont été arrêtées pour avoir participé aux marches de contestation. Le même Conseil avait créé de son côté une commission électorale parallèle le 5 décembre, accusant le président Mohamed Farmajo d’être “responsable des conséquences de son ambition de truquer et ébranler les élections”.
Hussein Sabrie conclut, non sans appréhension :
Nous craignons qu’une guerre civile n’éclate en Somalie à cause de ces accusations de fraude électorale si le gouvernement ne parvient pas à organiser les élections comme prévu. De plus, Mohamed Farmajo présente des similitudes avec l’ancien dictateur Mohammed Siad Barre [contre lequel s’est levée une contestation armée en 1978, qui a mené à la guerre tribale civile jusqu’en 1991, NDLR].
Cet internaute souligne des similitudes entre la participation de milices armées en 2020 et la situation de chaos au début des années 1990, lorsque les combats entre factions armées ont conduit le pays à un effondrement total de l’ordre public. Il commente : “Les mêmes symptômes cancéreux qui se sont propagés dans la société en 1991. Cette image fait peur aux Somaliens (…) Il est regrettable de répéter les mêmes scènes d’armement et tout détruire dans le pays au nom d’une folle obsession par le pouvoir”. Selon notre Observateur, ces hommes armés sont des gardes du corps d’un membre du Parlement présent dans le quartier. (france24)