Les nouveaux ministres japonais ont, pour la majorité d’entre eux, plus de 60 ans. En cause : les règles du Parti libéral démocrate, qui rendent l’accès à la fonction impossible pour les jeunes.
Le trombinoscope du nouveau gouvernement japonais ressemble presque aux panneaux de bienvenue à l’entrée de certaines «rojin home» (maison de repos). Hormis le ministre de l’Environnement, Shinjiro Koizumi (39 ans), «un fils de», la majorité des autres a plus de 60 ans, moyenne d’âge de l’ensemble. Mais ils prétendent néanmoins incarner l’avenir du pays.
C’est un «gouvernement de travailleurs» assure le Premier ministre, Yoshihide Suga (71 ans). Surtout de vieux amis, entre hommes. Elu parce qu’il est adoubé par des caciques du Parti libéral démocrate (PLD), les faiseurs de roi, il est en même temps forcé de les laisser en place au parti ou dans l’exécutif, retour d’ascenseur oblige. Si bien que l’âge moyen des cinq principaux dirigeants de cette omnipotence formation dépasse 71 ans. Il n’y a pas une femme dans ce quintette. Au gouvernement, celui qui était vice-Premier ministre et ministre des Finances du gouvernement Abe, Taro Aso, rempile. Il est à ce poste depuis fin 2012. Inamovible. Chef de faction qui s’est effacé de la liste des «post-Abe» pressentis afin de soutenir Suga, il ne peut, du coup, être dégagé malgré les 80 printemps (qu’il fêtera dimanche), sa mauvaise humeur, ses bourdes verbales.
Les règles du PLD
La raison de cette gérontocratie est certes en partie liée au vieillissement de la population, mais pas seulement, explique à Libération le politologue Tsuneo Watanabe. «C’est le système du parti qui fait que les jeunes ne peuvent pas être ministres. Dans les règles du PLD, on ne peut pas accéder à cette fonction avant d’avoir gagné cinq fois au moins à des élections. Les rares exceptions sont les jeunes très populaires comme Shinjiro Koizumi, le fils de l’ex-Premier ministre Junichiro Koizumi. Les femmes aussi peuvent bénéficier de dérogations, mais elles sont peu nombreuses.»
Si peu que les deux seules que Suga a fait entrer dans son nouveau gouvernement ont déjà figuré dans un précédent cabinet. Et l’une d’elles, Seiko Hashimoto, est à un poste temporaire, puisque cette ancienne sportive de 55 ans est chargée des Jeux olympiques. «Le PLD a pourtant des jeunes talentueux, mais ils n’ont aucune chance d’arriver à des postes élevés tant qu’ils ne seront pas vieux», estime Tsuneo Watanabe selon qui «la seule solution pour sortir de piège, c’est l’alternance». Elle n’est pas pour demain, vu l’état de l’opposition.
Des jeunes découragés
Si le Japon, qui annonçait il y a sept ans un grand plan pour l’informatisation des établissements scolaires ou de l’administration, accuse aujourd’hui un retard considérable c’est aussi parce que les membres des gouvernements précédents n’avaient pas les compétences requises, en raison notamment de leur âge : Yoshitaka Sakurada, 68 ans quand il était ministre chargé de la cybersécurité sous Abe, ignorait ce qu’était une clé USB et n’avait jamais utilisé un ordinateur.
Dans un pays où près de 30% de la population a plus de 65 ans, la politique tend à favoriser les vielles personnes, plus politisées que les générations suivantes, en partie découragées de ne pas accéder à des fonctions élevées. Mais ces jeunes ne se rebellent pas face à la mainmise sur le pouvoir des hommes âgés, voire très âgés, de peur d’être mal vus. Ce cercle vicieux constitue pourtant un vrai handicap quand il s’agit de penser une politique pour les jeunes, notamment les femmes, de les encourager à travailler ou à faire des enfants. Suga promet des mesures face à la dénatalité, mais s’en donne-t-il les moyens ? (Libération)