Entre le refus de la police russe d’ouvrir une enquête sur son empoisonnement, la saisie de son appartement moscovite et de ses comptes en banque… Le retour au pays de l’opposant de Poutine, qui risque de nouvelles poursuites, se complique.
Depuis son hôpital à Berlin, Alexeï Navalny poste sur son compte Instagram comme on envoie des cartes postales. Tous les deux ou trois jours, une nouvelle photo vient illustrer sa lente convalescence, assortie d’un texte parfois drôle, parfois émouvant, dans lequel il raconte son traitement, remercie sa femme d’avoir pris soin de lui, tourne en ridicule l’explication avancée par Vladimir Poutine à Emmanuel Macron selon laquelle il aurait volontairement ingéré du novitchok pour créer un scandale. Il multiplie aussi les interviews : au journal allemand Der Spiegel le 1er octobre, dans lequel il accuse ouvertement Vladimir Poutine d’être derrière son empoisonnement (des propos jugés par le porte-parole du Kremlin «insultants et inacceptables») ; à l’intervieweur star Iouri Doud le 5, à la BBC en russe le 6, à The Economist le 17, pour y affirmer une nouvelle fois sa détermination à revenir en Russie dès que possible.
C’est pourtant peu dire que celui que le Kremlin surnomme maintenant «le patient berlinois» pour ne pas avoir à prononcer son nom n’est pas le bienvenu dans son propre pays. Entre le refus obstiné de la police russe d’ouvrir une enquête sur son empoisonnement, la saisie, le 24 août, de son appartement moscovite et de ses comptes en banque, et les amendes records infligées à son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption (FBK) et à ses proches, le harcèlement judiciaire atteint des niveaux encore inédits. Le 31 août, Lioubov Sobol, une proche d’Alexeï Navalny, partageait sur son Twitter une capture d’écran de son compte en banque personnel, affichant «-34 millions de roubles» (environ -340 000 euros). C’est le résultat de l’une des amendes infligées au Fonds et à ses dirigeants.
Cadeau empoisonné
La pression ne vient d’ailleurs pas uniquement des structures étatiques russes : l’oligarque Evgueni Prigojine, patron des mercenaires russes déployés un peu partout dans le monde (les fameux «Wagner»), considéré comme faisant partie des intimes de Vladimir Poutine, et souvent visé par les enquêtes du FBK, avait d’ailleurs racheté en bloc toutes ces dettes le 26 août, et déclaré à la presse russe être «déterminé à mettre [ces gens] sur la paille».
Le 15 août, Evgueni Prigojine a été visé par des sanctions personnelles, gels d’avoirs et interdictions de déplacements, de l’Union européenne et du Royaume-Uni. Avec lui, six hauts fonctionnaires russes punis pour avoir instigué ou laissé faire l’empoisonnement. Une «liste Navalny» qui, pour certains observateurs, est un cadeau empoisonné à l’opposant russe, compliquant encore plus son retour au pays en l’exposant à de nouvelles poursuites judiciaires. (Libération)