Depuis plusieurs mois, la France fait face à une série d’attaques sur son territoire. Des violences qui se distinguent toutefois de celles survenues il y a quelques années, mais qui relancent à nouveau le débat autour de la lutte contre la haine en ligne.
À l’ombre d’une deuxième vague de Covid-19, la menace terroriste a refait surface en France, après une série d’attaques survenues ces dernières semaines à Paris et à Nice. “Les menaces à l’encontre de la France n’ont jamais cessé, elles ont toujours été régulières mais il y a eu un point d’inflexion avec la republication des caricatures de Mahomet, juste au moment de l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015 (le 2 septembre, NDLR). Puis, l’approbation d’Emmanuel Macron a été vécue comme un affront par un certain nombre de groupes, d’individus, voire de dirigeants”, explique à France 24, Laurence Bindner, cofondatrice de JOS Project, plateforme d’analyse des discours extrémistes.
Les événements se sont tristement enchaînés. Une attaque à l’arme blanche perpétrée le 25 septembre près des anciens locaux du journal satirique a précédé l’assassinat le 16 octobre de l’enseignant Samuel Paty et enfin l’attentat survenu dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Nice faisant trois morts. “Chacun de ces événements s’est ajouté au bruit et à la tension déjà existante, pour déboucher sur une fureur grandissante, qui a pu galvaniser certains individus”, ajoute la spécialiste.
« Des attaques de basse intensité »
Des groupes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique ont déversé sur la Toile de nombreux messages ces derniers jours, appelant à attaquer de nouveau la France et se félicitant de l’assassinat du professeur d’histoire. Pourtant, la haine contre le pays dépasserait désormais la seule sphère jihadiste.
Depuis quelques mois, les autorités craignent moins la menace d’un attentat préparé de l’extérieur que des actions individuelles. “Nous avons aujourd’hui plus de raisons de craindre des attaques endogènes même s’il ne faut jamais sous-estimer celles projetées de l’extérieur. Le groupe État islamique a essuyé plusieurs défaites sur le terrain et n’a plus les mêmes capacités de projections qu’il y a cinq ans. On a assisté ces dernières semaines à une série d’attaques de basse intensité, avec des personnes qui passent à l’action seules et avec les moyens du bord”, analyse encore Laurence Bindner.
“Un pur fanatisme”
Mais si les analystes s’accordent à dire que les groupes terroristes ne sont plus en mesure d’organiser un attentat de très grande ampleur en Occident, la menace que représentent ces individus agissant seuls, se révèle plus dangereuse. “L’affaire des caricatures a eu un retentissement considérable au sein du monde musulman. De nombreuses personnes se sont senties attaquées personnellement dans leur croyance, ce qui a élargi le spectre des individus susceptibles de passer à l’acte”, estime Wassim Nasr, journaliste à France 24 et veilleur analyste spécialiste des mouvements jihadistes.
Car, selon lui, les attaques terroristes commises depuis septembre “relèvent non pas du jihad politique, mais d’un pur fanatisme”. “Ces personnes se sentent attaquées dans leur foi, mais n’ont pas un projet politique proprement dit, comme par exemple diviser la société française ou le départ des armées françaises du Sahel. En revanche, le fait qu’elles agissent seules et sans attaches avec la sphère jihadiste rend leur surveillance quasi impossible”.
Preuve que les critiques visant la France dépassent la sphère jihadiste (et le cadre anonyme), de grandes figures du monde musulman ont aussi violemment critiqué le gouvernement, comme le Premier ministre pakistanais Imran Khan et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Un cran supplémentaire a été franchi, jeudi, après que l’ex-Premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad écrive que, selon lui, les musulmans pouvaient “tuer des millions de Français”, peu après la mort de trois personnes, dont au moins une égorgée, dans la basilique de Nice. Le message a depuis été retiré jeudi 29 octobre par Facebook et Twitter.
“Un mauvais diagnostic”
Dès lors, si la régulation par la loi des réseaux sociaux pour lutter contre les contenus haineux semble faire consensus, toute la question est de savoir comment. “Le sujet est extrêmement délicat car on marche sur une ligne de crête entre la nécessité d’avoir une liberté d’expression et un interventionnisme efficace. Se pose aussi le problème du volume des messages. Sur Facebook, on estime qu’un demi-million de commentaires sont publiés par seconde…”, remarque Laurence Bindner.
Une semaine après l’assassinat du professeur dans les Yvelines, le Premier ministre Jean Castex avait annoncé que la plateforme Pharos serait “renforcée sans délai” par de nouveaux effectifs. Ce service spécialisé chargé du recueil des signalements illicites sur Internet compte une trentaine d’investigateurs de la gendarmerie et de la police, chargés de recueillir plus de 200 000 signalements par an (228 545 signalements en 2019), selon le ministère de l’Intérieur. Des “moyens encore trop insuffisants” face au “niveau de violence qui continue de progresser”, estime la spécialiste.
“Mais avant de prendre des mesures et d’établir de nouvelles lois, il faudrait d’abord qu’on apprenne à discerner ce qui relève du fanatisme, de l’islam politique ou du jihad armé. Le problème est que l’on mélange plusieurs notions”, estime Wassim Nasr. Et de s’interroger : “Comment peut-on trouver le remède si on pose le mauvais diagnostic ?”. (France24)