vendredi, mai 17, 2024
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Au Liban, l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth prend l’eau

Plusieurs ministres, inculpés par le procureur Fadi Sawan, ont fait pression pour empêcher la découverte des responsables de l’explosion du 4 août.

L’annulation, pour cause de Covid, de sa visite prévue en début de semaine au Liban a sauvé Emmanuel Macron du «bien plus redoutable virus politique libanais», souligne un éditorialiste du quotidien local Nida al-Watan. Bien de nouvelles déceptions attendaient en effet le président français, dont tous les efforts depuis l’été pour sortir le Liban du ravin n’ont guère été couronnés de succès.

D’abord parce que les dirigeants libanais, qui ont «trahi leurs engagements», selon les mots de Macron, poursuivent depuis des semaines leurs marchandages absurdes pour la formation d’un gouvernement. Toutes les réformes urgentes exigées par la communauté internationale pour venir en aide au pays sont bloquées en l’absence d’un exécutif pour les mener. Dernier avatar en date, l’obstruction de l’enquête de la justice libanaise sur l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth le 4 août, faisant plus de 200 morts et des milliers de blessés.

Le procureur Fadi Sawan, chargé de l’enquête, a annoncé jeudi la suspension de toutes les procédures à la suite des demandes de récusation contre lui présentées par des ex-ministres. Il venait de les inculper en même temps que le Premier ministre démissionnaire, Hassan Diab, qui a refusé lui aussi de se présenter à la convocation du juge.

Respectivement anciens ministres des Finances et des Travaux publics, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, aujourd’hui députés, accusent le magistrat de violer la Constitution en engageant des procédures contre eux sans l’aval du Parlement. Ils réclament son remplacement pour suspicion légitime d’incompétence.

Jeu des communautés

La Cour de cassation doit se prononcer dans les dix jours sur la requête des deux inculpés, qui font partie du mouvement chiite Amal, dirigé par le président de la Chambre, Nabih Berri, l’une des personnalités politiques les plus puissantes du Liban. En attendant que son sort soit scellé, le juge reconnu comme honnête et intègre, se débat depuis le début de son enquête pour résister aux pressions politiques dans un pays où la justice n’échappe pas toujours au jeu des communautés comme à la corruption.

Désigné fin août à la lourde charge d’instruire l’enquête pour déterminer les responsabilités sur l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées depuis plusieurs années dans le port de Beyrouth, le magistrat avait réussi à faire arrêter plusieurs responsables sécuritaires et portuaires ces dernières semaines.

Mais dès qu’il a procédé, le 10 décembre, aux premières inculpations d’hommes politiques du fait de «certains soupçons quant à la responsabilité de ces ministres et à leurs défaillances face à la gestion de la présence dans le port de nitrate d’ammonium», selon l’enquête, Fadi Sawan a dû faire face à une levée de boucliers de la classe politique.

Sans réponse

Le magistrat avait pris la précaution fin novembre, de réclamer dans une lettre officielle au Parlement – dont un organe est habilité à poursuivre les membres du gouvernement – l’ouverture d’une enquête sur plusieurs ministres et parlementaires, puisqu’il s’agit d’une affaire pénale où l’immunité ne devrait pas s’appliquer. Sa demande est demeurée sans réponse jusqu’à la dernière requête des ministres réclamant le remplacement du magistrat. Une démarche considérée comme un moyen, pour les personnalités politiques mises en cause, de gagner du temps.

Les responsables libanais avaient refusé l’idée d’une enquête internationale sur l’explosion du port, malgré les appels, au Liban et à l’étranger, à des investigations indépendantes. Cette affaire apparaît comme une désolante illustration de plus de l’incurie de la classe politique libanaise, pourtant insubmersible malgré son rejet par sa population et la défiance de la communauté internationale à son égard. Sur les réseaux sociaux, certains internautes libanais ont commenté, d’ailleurs, l’annulation de la visite d’Emmanuel Macron en raison du virus. Ils l’ont appelé à briser son isolement et à venir embrasser leurs dirigeants pour les contaminer. (Liberation)

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