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SENEGAL. Macky Sall et Ousmane Sonko, un duel dans la crise

 Plus qu’un bras de fer politique, l’étincelle qui a permis de mettre en lumière une crise à plusieurs facettes. Depuis plusieurs semaines, le Sénégal est en proie à une crise inédite. Après des manifestations meurtrières au début du mois, un nouvel appel à manifester de façon “pacifique” a été lancé pour ce samedi 13 mars.

Au cœur de ce séisme, deux acteurs majeurs: Macky Sall, président du Sénégal depuis 2012, et Ousmane Sonko, figure de proue de l’opposition. Tous deux s’étaient affrontés en 2019 lors de la dernière élection présidentielle. Le premier avait été réélu au premier tour avec 58,26% des voix et le deuxième avait fini sur la troisième place du podium avec 15,67%, alors qu’il était jusque-là inconnu du grand public. Deux ans après, le rapport de force entre les deux hommes se cristallise et provoque une crise politique majeure au sein du pays

Pourquoi maintenant? En surface, tout s’enclenche au début du mois de février lorsque la presse révèle qu’une jeune masseuse employée par un salon de beauté a porté plainte pour “viols” et “menaces de mort” contre le député Ousmane Sonko.

Le parlementaire réfute ces accusations et crie au complot pour l’empêcher de se présenter au scrutin de 2024. Le 3 mars, lorsqu’il prend le chemin du tribunal, son convoi est stoppé par une foule de partisans, puis par la gendarmerie. Le député est placé en garde à vue pour “troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée”. 

Son arrestation entraîne alors plusieurs jours d’affrontements entre jeunes et forces de l’ordre. Les scènes de guérilla urbaine font au moins cinq morts, même si la presse locale avance des chiffres plus élevés, difficilement vérifiables. Lundi 8 mars, un juge inculpe Ousmane Sonko dans l’affaire de viols et ordonne qu’il soit relâché sous contrôle judiciaire. Sa remise en liberté apaise quelque peu les tensions. 

Une tentative d’évincer la “menace” Sonko?

Mais ces événements n’ont fait que consolider le rapport de force entre les deux hommes politiques. “Pour beaucoup, cette arrestation a été vue comme un nouvel exemple de la manière de faire du gouvernement pour évincer ses opposants. Sonko a été la goutte de trop”, explique au HuffPost Mohamadou Fadel Diop, politologue et chargé de recherches pour le Think Tank africain Wathi

En effet, Ousmane Sonko était quasiment inconnu avant 2019, mais il a très vite affirmé sa position auprès des jeunes électeurs. Les autres principaux rivaux du chef de l’État ont, eux, été évincés de la scène politique ces dernières années. Mohamadou Fadel Diop nous cite notamment Karim Wade, fils et ancien ministre de l’ex-président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, ancien maire de Dakar. Tous deux ont été condamnés pour malversations financières.

Quant à celui qui était arrivé en deuxième position lors de la présidentielle 2019, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, il a préféré rejoindre les rangs de la majorité. “Ainsi, Sonko est le seul à pouvoir s’opposer au pouvoir en place”, résume le politologue. D’où l’échauffement d’une partie de la population lors de son arrestation. 

“Ousmane Sonko est une menace pour Sall. C’est son opposant le plus crédible, surtout s’il se représente en 2024. Mais désormais, avec la crise qui a éclaté, il doit faire encore plus peur au pouvoir en place, car cela lui a donné une nouvelle dimension politique à lui et son combat. Cela a révélé une profonde crise aux facteurs multiples”, analyse Mohamadou Fadel Diop. 

Crise économique et libertés menacées

Ces manifestations contre l’arrestation de Sonko ont en effet libéré l’expression des frustrations qui crispent une partie de la population, faisant de l’opposant l’élément fédérateur d’un mécontentement profond. Car derrière ce duel politique se profile en filigrane depuis déjà plusieurs mois une crise économique, sociale, et démocratique d’envergure.

“Le malaise de la jeunesse, les difficultés économiques, la pauvreté, le chômage, la situation des rescapés et des rapatriés de l’immigration clandestine, les restrictions de libertés liées à la pandémie, ont donné une virulence et une violence particulières à cette vague de contestation. L’instauration d’un couvre-feu dans les régions de Dakar et Thiès, par exemple, pèse lourdement sur le secteur informel”, énumère notamment le politologue Maurice Soudieck, interrogé par Le Monde Afrique.

Notons que le couvre-feu a été allégé dans ces régions à la suite des manifestations.

Mohamadou Fadel Diop évoque également auprès du HuffPost une “profonde déception” de la population sénégalaise. Deux ans après la présidentielle, les promesses de Macky Sall n’ont pas été tenues -en l’occurrence le redressement de la situation économique n’a pas eu lieu, notamment à cause de la crise sanitaire- mais aussi les libertés démocratiques commencent à reculer.

“Les institutions du pays sont de plus en plus mises à l’épreuve, la presse et la société civile sont menacées”, dénonce le politologue. La RTS (Radio-Télévision sénégalaise), média public, a été confiée à un responsable du parti de Sall, qui utilise cet organe comme un instrument de propagande au service du régime. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) censure lui les images des manifestations. 

“Et ce qui a de plus frappant, c’est le manque de contre-pouvoirs”, poursuit le politologue. Il pointe également le manque d’indépendance de la justice lors des affaires concernant les opposants au gouvernement, dont des militants qui restent aujourd’hui encore emprisonnés. “Pour le bon fonctionnement d’une démocratie, un président a une certaine obligation de faire en sorte que les contre-pouvoirs soient efficaces sous son gouvernement”, rappelle-t-il. 

C’est pour cela qu’Ousmane Sonko a déclaré, lors de sa sortie de garde à vue, que le président était “illégitime” et a dit souhaiter une “révolution” démocratique.

Une lutte pour garder les acquis démocratiques 

Ce samedi 13 mars, les partisans de Sonko seront dans la rue pour manifester “pacifiquement”, mais ils ne seront pas seuls. “L’opposant a initié les manifestations, mais beaucoup seront dans la rue sans être forcément derrière lui. Ce seront simplement des contestataires qui manifesteront pour ne pas perdre leurs acquis démocratiques”, souligne Fadel Diop. 

Et pour tous ceux-là, ce n’est pas seulement un duel politique entre Macky Sall et Ousmane Sonko qui est en jeu, mais bien l’avenir politique du pays: quel que soit le gagnant, des décisions seront-elles prises pour changer les choses? Et si oui, le seront-elles en faveur de la démocratie ? (OffPost)

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