mardi, mars 19, 2024
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ART. A Bordeaux, lumière sur les artistes africaines et de la diaspora

Les artistes femmes s’invitent au Frac de Bordeaux le temps d’une exposition lancée par la Saison Africa 2020.

« Memoria, récits d’une autre Histoire. » Le titre de cette exposition – prolongée jusqu’en août 2021 en raison de la crise sanitaire liée au Covid19 – résonne dans l’actualité bordelaise. La ville portuaire multiplie les actions mémorielles pour rappeler son passé négrier. En juin 2020, en plein débat sur le déboulonnage des statues d’esclavagistes, cinq plaques de rue portant le nom de négriers s’accompagnaient de plaques explicatives. Plus tôt, en mai 2019, à l’occasion de la Journée nationale de commémoration de l’esclavage et de la traite négrière, la statue de l’esclave affranchie Modeste était érigée sur les bords de la Garonne. C’est à quelques encablures de là que le Fonds régional d’art contemporain de la région d’Aquitaine (Frac) accueille depuis le 5 février 14 artistes femmes dans ce même élan de devoir de mémoire et de représentation. « Quand je suis arrivée au Frac, il n’y avait qu’un seul artiste africain parmi la collection. Aujourd’hui, par le biais d’acquisitions, les artistes africains représentent 4 % de notre fonds, souligne Claire Jacquet, directrice du lieu.

Memoria : récits de femmes, de l’intime à l’universel

Elles viennent d’Algérie, du Nigeria, du Ghana, du Maroc, du Sénégal, de République démocratique du Congo, du Cameroun, ou encore d’Afrique du Sud. Parmi elles, nombreuses sont celles ayant déjà exposé à l’international, en Europe comme en Afrique, à l’instar de Gosette Lubondo, Mary Sibande ou Dalila Dalléas Bouzar. Si leur réputation n’est plus à faire, pour N’Goné Fall, commissaire générale de la Saison Africa 2020, ce « focus femmes » semblait être la voie la plus pertinente pour redonner toute la place que ces artistes méritent dans le paysage de l’art contemporain. À l’heure où, partout dans le monde, la condition et les droits des femmes tiennent une place centrale dans le débat public, cette exposition a le mérite de souligner un pan de la lutte souvent peu représenté. « Les artistes femmes africaines subissent une double peine. Elles sont sous-représentées en raison de leurs zones géographiques, mais aussi en raison de leur genre », illustre Nadine Hounkpatin, commissaire de l’exposition avec Céline Séror.

C’est donc d’abord une histoire de femmes et de filiation qui nous est donnée à voir, dans une première partie de parcours saisissante, en phase avec les questionnements de notre époque. La Sud-Africaine Mary Sibande nous présente Sophie, domestique du temps de l’apartheid, qui retrouve dignité dans des vêtements victoriens. À ses pieds, une pelote de laine rouge témoigne du passé ensanglanté du pays et des résurgences actuelles. Mais vient tisser le fil d’une génération de « super women » symbolisée par la lettre « S ». Sous les coups de pinceau de Dalila Dalléas Bouzar, d’anciennes victimes de la guerre d’Algérie soumises au regard des hommes et de l’armée deviennent Princesse. Une série de 12 portraits peints à partir des clichés du photographe Marc Garanger pris dans les camps de regroupement. « J’ai enlevé les tatouages d’origine pour en inventer d’autres et neutraliser la violence de la guerre pour ne plus montrer ces femmes comme des victimes, mais comme des résistantes, revendique la peintre algérienne. Je voulais proposer un autre héritage, un autre récit de notre histoire aux générations futures. » En colorisant ses portraits, l’artiste a également tenu à représenter différentes carnations de peaux pour s’« ancrer dans l’Afrique ».

Quand les artistes africaines trouvent la lumière

L’invisibilité des femmes noires, une question dont s’emparent la Ghanéenne Enam Gbewonyo et la Franco-Gabonaise Myriam Mihindou, à travers le symbole du bas nylon de couleur chair. Cet accessoire populaire et genré a longtemps été associé à la couleur blanche. Chez la première, le corps féminin noir se réapproprie son identité dans un nœud de collants représentant toutes les teintes de peaux foncées. Tandis que la seconde s’interroge sur la notion d’intersectionnalité, soit le fait pour une femme noire d’être à l’intersection du racisme et du sexisme, dans une vidéo où le bas nylon se retrouve lacéré sur les jambes de la performeuse.

Histoires plurielles

Le deuxième volet du parcours abandonne la condition des femmes pour s’ouvrir à celle des hommes, ceux que l’on ne veut pas voir non plus, comme avec le travail de la Marocaine Bouchra Khalili qui donne la parole aux travailleurs immigrés. C’est enfin un continent utopique que l’on est invité à découvrir. D’abord à travers l’œil de la Franco-Camerounaise Josefa Ntjam et ses installations futuristes, puis avec la Sénégalaise Selly Raby Kane et son film en réalité virtuelle nous projetant dans une capitale africaine fantasmée. Mais c’est bien sur la notion identitaire que l’exposition se referme avec un collage de la Kényane Wangechi Mutu qui vient, à juste titre, décloisonner la notion de genre en proposant une version de la femme dessinant les contours d’une créature hybride. Un message qui laisse présager d’un futur proche où les artistes femmes n’auront plus besoin d’un parcours dédié pour se faire entendre… (lepoint.fr)

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