mercredi, mai 1, 2024
AccueilCULTUREExposition photo. La jeunesse soudanaise fait sa révolution

Exposition photo. La jeunesse soudanaise fait sa révolution

Rendez-vous aux Rencontres d’Arles pour découvrir la révolution soudanaise, sous le regard de huit jeunes photographes, dont cinq femmes.

L’exposition «  Thawra  ! Révolution  ! Soudan, histoire d’un soulèvement  »* réunit les témoignages en images de huit jeunes photographes et acteurs d’un soulèvement populaire qui aura duré 5 mois et entraîné la chute, le 11 avril 2019, de l’inamovible Omar el-Bechir, à la tête du pays depuis 30 ans.

Au mépris de bien des dangers, ils ont documenté cette révolution qui a poussé des milliers de Soudanaises et de Soudanais dans les rues, diffusant leurs photos sur les réseaux sociaux. Pour plus de discrétion, le téléphone portable est bien souvent l’outil indispensable. Ils ne sont pas photographes de profession, on ne vit pas de la photographie au Soudan. Ils voulaient raconter, archiver et conserver la mémoire de ces événements, des preuves de la répression, mais aussi de la détermination des Soudanais pour mettre fin à une dictature, à l’emprise des militaires et des religieux.

Cette exposition est aussi l’histoire d’une rencontre, celle de la photographe française Juliette Agnel, partie au Soudan en janvier 2019 pour photographier le ciel étoilé et les sites archéologiques du désert nubien, et d’une jeune Soudanaise, Duha Mohammed, photographe et designer industrielle, sur la banquette d’un taxi. Duha est aussi invitée par l’association Soudan architecture Forum (SDAF) qui mène ce projet.

Le cri d’une génération

Depuis la fin du mois de décembre 2018, les Soudanais manifestent sans relâche. Les consignes de l’Union européenne, qui appuie Juliette Agnel dans son voyage au Soudan, sont très strictes : pas de diffusion de photos sur les réseaux sociaux, grande prudence, et pas question de se rendre sur les lieux de manifestation. Du côté du pouvoir en place, la surveillance est omniprésente. Duha sera la première Soudanaise avec qui elle pourra échanger. Pendant les sept jours de cette mission dans le désert au nord du Soudan, un peu plus loin de surveillance des NISS (les services de renseignement), Juliette va découvrir le courage de cette jeune photographe, qui prend une part active dans les manifestations et semble inconsciente des dangers qu’elle peut encourir. Duha lui fait découvrir les images d’autres jeunes photographes engagé(e)s. « Quand j’ai vu ses photos et celles de ses ami[e]s, je me suis dit : je n’ai jamais entendu parler de la photographie au Soudan, ces photos sont pas mal ! » Impressionnée par leur volonté de renverser un dictateur, sans arme, par leur courage, dans un pays où l’image a été muselée pendant 30 ans, Juliette veut témoigner à sa manière et se lance dans le projet d’une exposition en France. « À ce moment-là, je n’avais pas idée de ce qui allait se passer et je n’avais pas imaginé faire une exposition de cette ampleur-là ! »

L’actualité la rattrape. Des Soudanais affluent de tout le pays pour manifester dans la capitale et les Rencontres de la photographie d’Arles donnent son accord de principe. « J’ai réfléchi alors à la forme que pouvait prendre cette exposition. C’était au moment où le sit-in commençait [le 6 avril 2019]. Il fallait donc se concentrer sur la révolution qui était entre leurs mains », raconte Juliette. Un deuxième voyage au Soudan s’impose. « J’ai profité d’une exposition de mon travail à l’Institut français de Khartoum, glisse-t-elle. Avec les longues coupures Internet, j’ai compris qu’il fallait que je revienne à Paris avec les photos. » Sur place, avec Duha, elles vont sélectionner 12 photographes. Au final 8, dont 5 femmes, seront retenus. « Le choix s’est fait sur un critère qui va au-delà du témoignage et du reportage. Bien sûr, il fallait éviter des sujets redondants, mais chaque photographe a son vocabulaire, un regard et un travail personnel », explique-t-elle.

Après avoir été annulées l’an dernier, pour cause de pandémie, les Rencontres de la photographie d’Arles ont reprogrammé cette exposition qui entre aussi dans le cadre d’Africa 2020. Dans l’Église des Trinitaires d’Arles, on découvre donc les photos d’ Ahmed Ano (1993), Suha Barakat (1986), Saad Eltinay (1995), Eythar Gubara (1988), Metche Jaafar (1998), Duha Mohammed (1993), Ula Osman (1998), Muhammad Salah (1993). Elles racontent l’histoire de cette révolution qui n’a pas fait la une de la presse internationale. Passée sous silence, la révolution soudanaise a déroulé son propre calendrier : le 11 avril, Omar el-Bechir tombe, lâché par les militaires. Un conseil de transition militaire se met en place. Le 3 juin, le sit-in est démantelé dans un bain de sang. Les manifestations se poursuivent pour que le pouvoir soit rendu aux civils. Finalement, un conseil de transition mixte, militaire et civil est mis en place, en attendant des élections générales, prévues pour 2022.

Les kandaka, la puissance des femmes

Dans cette révolution, le plus marquant reste le rôle joué par les femmes. Elles ont pris possession de la rue, sont aux avant-postes. Elles donnent le tempo. Au son des youyous, elles lancent le départ des manifestations. Sous le joug d’une charia très stricte, elles n’ont rien à perdre.

Les protestations se déroulent presque tous les jours. Dispersés par les militaires, les manifestants se cachent un peu partout dans les maisons, puis repartent. Cela plusieurs fois par jour.

Une jeune fille regarde si la route est dégagée par la police et les services secrets afin que les manifestants puissent quitter sa maison en toute sécurité. El-Abaseya, Omdurman, février 2019.© Metche Jaafar

Cette place des femmes n’est pas si surprenante dans une culture soudanaise imprégnée de l’image de la « Kandaka », ces reines nubiennes qui amenaient les bataillons au combat. Inspirées par ces figures, les Soudanaises, premières victimes du régime d’Omar el-Bechir, ont marché en tête des manifestations, prenant la parole devant la foule. La vidéo d’une jeune femme vêtue de blanc, Alaa Salah, une étudiante de 22 ans déclamant de la poésie sur le toit d’une voiture, rappelant l’image des Kandaka, deviendra l’icône de cette révolution et de la puissance des femmes soudanaises.

Un film au plus près des événements

À côté des photos présentées à Arles, le film tourné par la documentariste Hind Meddeb nous plonge dans l’effervescence du sit-in. La facilité avec laquelle les jeunes femmes et hommes prennent la parole devant la caméra est bluffante. Les femmes crèvent l’écran, elles revendiquent, elles organisent et prennent le micro. Pendant 15 jours, Hind Meddeb a vécu au cœur de cette ville dans la ville, autour du ministère des Armées, filmant de jour comme de nuit. Documentariste, vivant en France, d’origine tunisienne et marocaine, elle a rencontré le Soudan à Paris, en tournant Paris-Stalingrad où elle suit un jeune mineur soudanais. C’est aussi elle qui a écrit les textes qui accompagnent l’exposition, donnant un éclairage sur la révolution, son déroulement et ses acteurs. « Le seul espace où l’on a pu montrer cette révolution, le courage des Soudanais, c’est Arles. C’est pour cela que lorsque les photographes sont arrivés pour inaugurer l’exposition début juillet, ils étaient heureux et avides de s’exprimer sur la place publique. Pour eux, c’est extrêmement important », se réjouit Juliette.

La partie n’est pas encore gagnée pour les Soudanais qui aimeraient que la période de transition ne s’éternise pas ou, pire, qu’elle ne bascule dans une reprise en main par les militaires, à l’image de ce qui s’est passé en Égypte. La situation économique s’est elle aussi aggravée. (lepoint.fr)

ARTICLES LIÉS
- Advertisment -

Les plus populaire

Commentaires récents