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Musée du Quai Branly. Des trésors royaux d’Abomey exposés avant leur retour au BENIN

Le 9 novembre prochain, vingt-six ?uvres historiques du royaume d’Abomey, issues des collections du musée du Quai Branly doivent rejoindre Ouidah, avant de trouver place dans le futur « musée de l’Épopée des amazones et des rois du Dahomey » à Abomey, au Bénin, leur terre natale, plus d’un siècle après leur entrée dans les collections françaises.

Avant, l’institution muséale, qui abrite des milliers d’?uvres africaines en partie pillées pendant la colonisation, expose, en accord avec les autorités béninoises, du mardi 26 au dimanche 31 octobre, les 26 ?uvres d’art qui seront restituées grâce au vote d’une loi française fin 2020. Autour de cette exposition, une semaine culturelle inédite est proposée avec, au programme, des colloques sur le patrimoine du Bénin, des concerts, des rencontres ainsi qu’un cycle de cinéma. L’objectif est de faire de cet événement un temps fort symbolique et historique pour les deux pays. « La restitution formelle desdites ?uvres interviendra à la suite de la semaine culturelle du Bénin au musée du Quai Branly-Jacques-Chirac », précise la partie béninoise.

« Elles seront la fierté du Bénin. Et parce que restituer des ?uvres à l’Afrique, c’est rendre accessible à la jeunesse africaine sa culture, ces restitutions seront aussi la fierté de la France », avait annoncé, enthousiaste, Emmanuel Macron, le 8 octobre dernier. La première concrétisation de l’engagement qu’il avait pris, il y a près de quatre ans, à Ouagadougou.

« Les 26 ?uvres nous plongent dans un récit à diverses vocations ou fonctions, notamment éducative (nos ancêtres ont fait le juste combat dont nous devons nous approprier et poursuivre) ; scientifique (des savoirs sont enchâssés dans l’histoire de ces ?uvres et nous avions besoin de renouveler notre connaissance du passé) et sociale (la restitution des ?uvres est porteuse d’une réconciliation avec notre passé et un potentiel levier de cohésion sociale) », a fait savoir depuis Cotonou, le ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, Jean-Michel Abimbola.

Un processus au long cours qui part d’une prise de conscience de l’opinion publique

Tout n’a pas commencé en 2016, car le Bénin s’est en réalité inscrit dans le sillon de nombreuses associations qui militaient pour cela depuis des années. Ainsi du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), dont le président Louis-Georges Tin signait en 2013 avec l’ancien président du Bénin Nicéphore Soglo un appel pour « la restitution des biens mal acquis du musée du Quai Branly-Jacques-Chirac ». « Il y a mille et une façons de réparer les crimes du passé colonial. L’une d’entre elles serait de restituer les biens mal acquis de la France. C’est pourquoi nous demandons que les autorités françaises réalisent un inventaire national de tous ces biens et qu’elles engagent un dialogue constructif avec les pays concernés en vue de leur restitution », écrivaient-ils alors. En 2005 déjà, Christiane Taubira, alors députée, avait saisi le Premier ministre Dominique de Villepin à ce sujet : « L’Unesco, au sein de laquelle la France occupe une place de choix, postule qu’il appartient à chaque État de gérer son propre patrimoine culturel et historique. Le peuple du Bénin, très attaché à sa culture, ne comprendrait pas un refus de la France à restituer les traces de son histoire glorieuse. Les liens qui unissent le Bénin à la France militent pour la restitution de ces ?uvres d’art. » L’appel n’avait pas été entendu. Il faut dire que, pendant des années, aucune velléité publique n’avait été suivie d’actes concrets de la part de l’État béninois.

Sans attendre les années 2016 et 2017, si décisives, s’est tenue fin 2006, à Cotonou, une importante exposition au succès fulgurant avec 275 000 visites, intitulée « Béhanzin : roi d’Abomey », organisée par la Fondation Zinsou et pour laquelle, avec l’appui du défunt président Jacques Chirac, le musée du Quai Branly a prêté 30 objets, parmi lesquels des regalia, des récades, etc.

Les politiques s’emparent de la question

Dix ans plus tard, donc, le 26 août 2016, le Bénin a officiellement porté devant la République française une requête visant la restitution des biens culturels issus du patrimoine national et se trouvant dans plusieurs musées (musée de l’Homme, musée du Quai Branly) et dans les collections privées de la France. Ces biens, ont fait valoir les autorités, sont pour le Bénin d’une valeur historique, spirituelle et culturelle inestimable et participent de son identité. La réponse française est pourtant sans appel : « Conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution n’est pas possible »tranche le ministère des Affaires étrangères, alors dirigé par Jean-Marc Ayrault.

L’espoir renaît avec l’élection d’Emmanuel Macron, qui affiche d’emblée sa volonté de refonder les relations entre la France et l’Afrique. Le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, il a annoncé la mise en ?uvre dans un délai de cinq ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain, reconnaissant l’anomalie que constitue sa quasi-absence en Afrique subsaharienne.

Un constat amer

Aujourd’hui, selon des experts, 85 à 90 % du patrimoine africain serait hors du continent. Depuis 2019, outre le Bénin, six pays ? Sénégal, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Tchad, Mali, Madagascar ? ont soumis des demandes de restitutions. Au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises. 70 000 d’entre elles au Quai Branly, dont 46 000 arrivées durant la période coloniale.

Un rapport confié aux universitaires français et sénégalais Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, publié en 2018, avait dressé un calendrier de restitutions et un inventaire des dizaines de milliers d’objets que les colons ont ramenés d’Afrique. Il proposait aussi un changement du Code du patrimoine pour faciliter leur retour quand les États africains en feraient la demande.

Ce rapport avait été salué, mais aussi critiqué par certains directeurs de musées, soucieux de la « circulation des ?uvres » au « caractère universel ».

Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai Branly-Jacques-Chirac, salue « l’examen de conscience », impulsé par ce rapport. Néanmoins, ajoute-t-il, si « la question de la provenance des ?uvres est une question centrale », elle doit être soumise à un « très gros travail préalable afin de vérifier leur origine et dans quelles conditions elles ont rejoint les collections nationales », ce qui est souvent « très difficile ». « Tous les objets qui sont dans les collections en Europe n’ont pas été volés, c’est peut-être l’idée qui court actuellement, mais elle n’est pas juste du point de vue historique. Dans quelle proportion ? C’est tout l’objet de notre travail », souligne-t-il.

Le temps du juridique

Beaucoup d’objets sont en effet passés entre plusieurs mains : des administrateurs, des médecins, des militaires, ou leurs descendants en ont fait don aux musées. D’autres ?uvres ont été offertes à des religieux, acquises par les collectionneurs d’art africain au début du XXe siècle, ou encore ramenées lors d’expéditions scientifiques.

Le Quai Branly a entamé un long « travail quasi exhaustif sur les 300 000 ?uvres du musée qui ne concernent pas que l’Afrique (Océanie, Asie et Amériques aussi) pour identifier celles qui auraient été prises de manière violente sans le consentement des propriétaires, par des prises de guerre ou par des coercitions de l’administration coloniale », dit Emmanuel Kasarhérou.

Pour le cas du Bénin, cela a été rendu possible par une loi votée le 24 décembre 2020, permettant des dérogations au principe d’« inaliénabilité » des ?uvres dans les collections publiques, parce qu’elles avaient fait l’objet de pillages caractérisés.

Une dernière occasion de voir ces chefs-d’?uvre

Ces ?uvres d’art qui seront restituées, parmi lesquelles on retrouve des statues royales emblèmes des trois derniers rois de ce royaume fon : Ghezo (mi-homme mi-oiseau), Glélé (mi-homme mi-lion) et Béhanzin (mi-homme mi-requin), des portes du palais royal des trônes, des sceptres royaux ou encore des bas-reliefs et tentures d’Abomey, avaient été pillées lors de la mise à sac du palais d’Abomey par les troupes coloniales en 1892.

Il faut savoir qu’entre 1890 et 1894, dans le sud du Bénin actuel, des conflits puis une guerre opposent le royaume du Dahomey à la France. Une colonne expéditionnaire menée par le colonel Alfred-Amédée Dodds (1842-1922) entre à Abomey, capitale du royaume du Dahomey, le 17 novembre 1892. Les troupes françaises prennent le palais que le roi Béhanzin, dans sa retraite, a quitté, et emportent un ensemble d’objets royaux comme butin de guerre.

Le colonel Dodds devenu général décide d’en donner 26 au musée d’ethnographie du Trocadéro en 1893, puis en 1895. Ces objets sont conservés au musée du Quai Branly-Jacques-Chirac depuis 2003. Deux conservateurs du Bénin sont en France depuis plus d’une semaine pour organiser le retour des ?uvres, « demandé par le Bénin », a précisé à l’AFP Emmanuel Kasarhérou, pour qui cette restitution est « une première réalisation » issue d’« un long travail de recherches ». « Le parti pris » de l’exposition qui s’ouvre ce mardi 26 octobre « se veut didactique et développe différents aspects de l’histoire des ?uvres : de leur création à leur avenir dans leur pays d’origine, en passant par une description précise du conflit colonial, de leur muséographie parisienne pendant plus d’un siècle et des spécificités juridiques », expliquent les organisateurs dans un communiqué.

Au Bénin, où la date exacte de leur retour n’est pas encore connue, elles iront d’abord « dans un lieu de stockage. Puis elles seront présentées dans d’autres lieux de manière pérenne : à l’ancien fort portugais de Ouidah et à la maison du gouverneur, lieux historiques de l’esclavage et de la colonisation européenne, situés sur la côte, en attendant la construction d’un nouveau musée à Abomey », dans l’ancien palais royal des rois du Dahomey, dans les terres, a ajouté Emmanuel Kasarhérou. (Le Point)

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